On ne présente plus Nicholas Stern, Sir Nicholas Stern. Cet économiste s’est rendu célèbre par son rapport sur le changement climatique publié en 2006. C’était la première fois que le climat sortait de la seule sphère des scientifiques et des écologistes pour être abordée sous un angle macro-économique. Nicholas Stern publie à quelques jours de l’ouverture de la COP 21 un appel au respect de leur engagement par les pays riches d’apporter 100 milliards de dollars aux pays en développement afin de vaincre le changement climatique. Il conclut son appel en touchant le point sensible des dirigeants politiques : « [ils] doivent admettre que le soutien financier aux pays pauvres dans la lutte contre le réchauffement climatique n’est pas seulement un impératif moral, c’est aussi une mesure dans l’intérêt de leurs propres électeurs… et de la population mondiale. »
Une voix forte qui devrait être entendue.
« En 2009, les pays riches de la planète se sont engagés à réunir 100 milliards de dollar par an d’ici à 2020 pour aider les pays pauvres à lutter contre le réchauffement climatique. Depuis, cette promesse est considérée comme le test clé de la volonté du monde développé d’assumer sa part de responsabilité dans cette lutte.
Il est crucial que les pays riches parviennent à cet objectif de 100 milliards. Les pays pauvres doivent être convaincus qu’ils tiendront leur promesse. Si ce n’est pas le cas, la perspective d’un accord international sur le climat pourrait s’éloigner et diminuer la probabilité de réussite de la conférence de l’ONU à Paris en novembre et décembre.
Heureusement, il y a des signes encourageants qui montrent que cet engagement pourrait être respecté. Mais il faut davantage d’argent, notamment de la part du secteur privé. Selon l’OCDE et la Climate Policy Initiative, tous ensemble, les pays développés ont réuni 52,2 milliards de dollars en 2013 et 61,8 milliards en 2014 pour aider les pays pauvre à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à combattre les conséquences du réchauffement climatique devenues inévitables.
Ces chiffres ne sont que des estimations basées sur les informations fournies par les pays développés. Ils constituent néanmoins un indicateur crédible du financement de la lutte contre le réchauffement climatique. Dans l’hypothèse d’une sous-estimation de l’apport du secteur privé, ces chiffres sont inférieurs à la réalité, et dans l’hypothèse d’une surestimation des sommes dédiées provenant de l’aide internationale et des banques multilatérales de développement, ils sont supérieurs à la réalité.
Pour faire leurs estimations, les chercheurs ont pris en compte les principaux investissements du secteur public et du secteur privé dans un large éventail de projets. On peut citer le financement de projets d’énergie renouvelable à petite échelle en Ouganda par le Royaume-Uni, l’Allemagne la Norvège et l’Union européenne, et celui de la Mutuelle panafricaine de gestion des risques (ARC, African Risk Capacity) soutenue par le Royaume-Uni et l’Allemagne qui assure les Etats contre les risques de sècheresse et d’autres catastrophes naturelles.
Les chercheurs indiquent que leurs estimations sont peut-être inférieures à la réalité, car ils disposent seulement de données limitées. Ils soulignent néanmoins le niveau relativement bas des investissements du secteur privé dans des actions destinées à augmenter la résilience des pays pauvres. C’est à la fois un défi et une opportunité : avec des incitations adéquates, les investissements du secteur privé en faveur de la résilience des pays pauvres pourraient croître rapidement, ce qui serait un grand pas en avant pour atteindre l’objectif des 100 milliards de dollars.
Parvenir à cet objectif suppose d’accorder davantage de confiance aux institutions et aux politiques des pays dans lesquels l’argent doit être utilisé. De nouveaux processus sont nécessaires pour réduire et partager les risques. Pour cela, il faut s’appuyer notamment sur les banques de développement et les institutions de coopération bilatérale.
Ce nouveau financement de la lutte contre le réchauffement climatique doit s’ajouter aux budgets toujours plus importants qu’il faudra consacrer au développement durable au cours des prochaines décennies. Il doit permettre entre autres de créer et d’appliquer les mesures, les réglementations et le cadre qui soient incitatifs pour les investisseurs – ce qui pourrait constituer un multiplicateur très puissant.
Selon la Commission mondiale sur l’économie et le climat, au cours des 15 prochaines années il faudra dépenser quelques 90 000 milliards de dollars pour les infrastructures, essentiellement dans les pays en développement et dans les pays émergents qui connaissent une croissance et une urbanisation rapide. Si ces infrastructures dépendent des énergies fossiles, il sera très difficile de diminuer les émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial.
Par contre, si la communauté internationale finance comme il le faut la transition vers des économies à faible émission de carbone, cela stimulera l’innovation et ouvrira la voie à des décennies de croissance durable. Il faut donc que les budgets consacrés à la lutte contre le réchauffement climatique servent à encourager l’investissement public et privé dans des technologies et des infrastructures à faibles émissions de carbone. Cela permettra de diminuer le coût du capital – ce qui est d’une importance cruciale pour étendre des projets à grande échelle et encourager le basculement vers les énergies renouvelables.
Par ailleurs, le financement de la lutte contre le réchauffement climatique par les pays riches contribuera à améliorer la résilience au réchauffement climatique de la plupart des pays vulnérables. Il doit servir à éviter la déforestation et à protéger la biodiversité et les ressources menacées tels les océans. Il doit stimuler l’innovation et ouvrir de nouvelles perspectives d’action sur le plan climatique, en particulier de nouveaux champs de collaboration entre secteur public et secteur privé, par exemple en ce qui concerne les projets de capture et de stockage du carbone.
Une partie des 100 milliards de dollars sera répartie par l’intermédiaire du Fonds vert pour le climat nouvellement créé ; mais les banques multilatérales de développement doivent aussi avoir un rôle central, aux côtés des institutions nationales. Les fonds dépensés en faveur du développement durable et de l’action climatique devraient se renforcer mutuellement. Les ministres des Finances des pays en développement doivent rappeler que la lutte contre le réchauffement climatique stimule la croissance et la réduction de la pauvreté, diminue la pollution de l’air et favorise les économies d’énergie.
En fin de compte, le succès dépendra de la volonté des pays riches à tenir leurs promesses. Leurs dirigeants doivent admettre que le soutien financier aux pays pauvres dans la lutte contre le réchauffement climatique n’est pas seulement un impératif moral, c’est aussi une mesure dans l’intérêt de leurs propres électeurs… et de la population mondiale. »
Nicholas Stern
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
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