Alors que le Conseil des ministres de ce 20 janvier doit adopter l’avant-projet de loi visant à inclure dans la Constitution « la préservation de la biodiversité et de l’environnement » selon les termes de la Conférence citoyenne pour le climat, la question se pose de savoir comment les Français perçoivent une initiative constitutionnelle qui, si elle aboutissait, les amènerait à participer au premier référendum organisé en France depuis une quinzaine d’années. Or la salve de critiques qu’elle a suscitée lors de son annonce mi-décembre invite à identifier quel risque d’opinion l’exécutif encourt à soutenir une initiative constitutionnelle qui a, entre autres, été vivement critiquée, notamment par l’opposition de gauche.
A l’occasion du lancement du processus référendaire, l’Institut de sondages Ifop vient de sortir la première enquête mesurant l’adhésion des Français à ce projet de « verdissement constitutionnel » et, plus largement, aux autres mesures (1).
Les chiffres clés
Réalisée auprès d’un échantillon national représentatif de 1 000 Français, une étude de l’Ifop pour Depanneo montre qu’un référendum sur le sujet serait certes approuvé par une majorité d’électeurs mais dans le cadre d’une abstention massive.
- Le référendum pour l’environnement est une initiative de la Convention citoyenne pour le climat et du Président de la République encore largement méconnue : seuls 60 % des Français en ont entendu parler – dont 25 % avec précision –, principalement des personnes déjà bien au fait des questions d’écologie.
- A peine plus d’un électeur sur trois (36 %) déclare vouloir participer à ce référendum, soit un taux très faible qui, s’il se confirmait, le situerait parmi les référendums les moins mobilisateurs de la Ve République (ex : référendum sur la Nouvelle Calédonie en 1988, référendum sur le quinquennat de 2000).
- Ce faible engouement tient notamment au fait que ce référendum est perçu par une large majorité de Français (61 %) comme un « coup politique ». Un soupçon classique sous la Ve République à l’égard des Présidents envisageant de recourir à l’arme référendaire.
- Mais si le scrutin avait lieu, l’approbation à la réforme de l’article premier de la Constitution n’en serait pas moins massive (79 %), en particulier dans les rangs des Français les plus jeunes (95%) et les plus sensibles à la cause environnementale (96% des sympathisants EELV, 91% des Français se sentant très écologistes).
- Il est vrai qu’en dépit du scepticisme, les Français partagent largement l’idée que cette réforme aura des effets positifs pour l’environnement (60 %) et dans la lutte contre le réchauffement climatique (54 %).
Analyse
1) Quelle notoriété de ce projet de référendum ?
Singulier dans l’histoire des institutions de la Cinquième République par son processus de lancement – l’impulsion est venue de la Convention citoyenne pour le climat et non directement du Président -, le référendum pour l’environnement demeure largement confidentiel pour beaucoup de Français qui ont du mal à en définir précisément le contenu.
En effet, ce projet du référendum annoncé il y a un mois par Emmanuel Macron ne semble pas encore avoir imprimé dans l’opinion. Seuls six Français sur dix (60 %) déclarent en avoir entendu parler, dont à peine un quart (25 %) savent précisément sur quoi les électeurs seront consultés.
La notoriété du référendum sur l’environnement
Certes, l’initiative du président de la République semble encore lointaine, tant la tenue du référendum dépend du bon vouloir du Sénat, mais il est notable de constater que la notoriété du scrutin est plus forte parmi les catégories de la population habituellement mieux informées de la vie politique – comme les personnes les plus âgées (73 % des seniors de 65 ans et plus en ont entendu parler), les plus diplômées (67 %) ou les cadres (65 %) – mais aussi les personnes sensibles aux questions d’environnement comme celles s’identifiant comme « très écologistes » (74 %).
2) Quel potentiel de participation ?
Sans surprise, à ce stade de l’annonce, et considérant la faible connaissance du projet de référendum, à peine plus d’un tiers des électeurs inscrits (36 %) déclarent vouloir participer à ce référendum.
Avec un tel niveau de participation, le référendum sur l’environnement se placerait parmi les référendums ayant le moins mobilisé de la Cinquième République comme celui sur le statut de la Nouvelle-Calédonie de 1988 (36,9 % de participation) et le référendum sur le quinquennat de 2000 (30,2 %). Marqué par une campagne inaudible et un large consensus sur le passage au quinquennat, ce dernier avait vu à l’époque sa participation – selon des estimations réalisées à l’époque par l’IFOP – passer de 42 % en juin 2000 à 36 % début septembre [[Etude IFOP pour le Journal du Dimanche réalisé du 7 au 8 septembre 2000 auprès d’un échantillon de 961 Français, âgés de 18 ans et plus]], puis à peine 30 % le jour du scrutin.
La potentielle participation au référendum sur l’environnement – Comparatif avec la participation réelle d’autres référendums sous la Ve République –
De la même façon, si l’on compare le référendum initié par la Convention citoyenne avec les projets de référendum d’initiative partagée lancés ces dernières années, le référendum sur l’environnement souffre également d’un faible intérêt de l’électorat. En effet, si 35 % seulement des électeurs se déclaraient prêts à participer lors d’un référendum sur la privatisation d’Aéroports de Paris, ils étaient près d’un sur deux (49 %) à vouloir se mobiliser sur l’initiative en cours du « Référendum pour les Animaux », dont la thématique se rapproche pourtant de l’environnement et dont l’issue est tout aussi incertaine.
La potentielle participation au référendum sur l’environnement – Comparaison avec d’autres projets de référendums –
Toutefois, nous pouvons souligner que la participation déclarée à ce stade progresse selon le niveau de connaissance des sondés sur le référendum et son sujet, si seuls 27 % des personnes déclarant ne pas avoir entendu précisément de quoi il s’agit. Ces chiffres laissent penser qu’une amélioration de la notoriété du référendum pourraient entrainer une progression de la participation qui demeurerait toutefois insatisfaisante (sous les 50 %), notamment si l’on inscrit cela dans l’urgence écologique et l’explosion de l’écologie parmi les principales préoccupations des Français. En août 2020, 59 % des Français estimaient que la protection de l’environnement était un sujet « tout à fait prioritaire », soit 19 points de plus qu’en 2017[[Etude Ifop-Fiducial pur CNEWS et Sud Radio réalisée du 25 au 27 août 2020 auprès d’un échantillon de de 1 001 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus]].
Zoom sur le profil des Français inscrits sur les listes électorales envisageant d’aller voter si ce référendum était organisé
3) Quelle perception du référendum ?
Pêché originel du référendum en France, l’initiative présidentielle de ce scrutin – et la focalisation qu’elle porte sur sa personne plutôt que sur le sujet du vote – semble avoir complétement neutralisée l’intérêt d’avoir mobilisé une Convention citoyenne de Français tirés au sort afin de légitimer ses propositions. Près de deux tiers des Français (64 %) jugent que le référendum sur l’environnement est avant tout une manœuvre politique ne cherchant pas vraiment à faire avancer la question de l’environnement, marqueur de la défiance politique des Français vis-à-vis du président de la République.
L’adhésion à diverses affirmations concernant le référendum sur l’environnement
Même au sein de catégories favorables, que ce soit au référendum en lui-même comme les écologistes ou au Président de la République comme ses sympathisants, le doute sur les intentions véritables du scrutin sont perceptibles, respectivement 58 % et 36 % y voyant une manoeuvre politique. En dehors de ces deux catégories, les Français reconnaissent largement la manoeuvre du président en particulier à droite, moins sensible à la question écologique (75 % des sympathisants Les Républicains et 73 % des sympathisants « frontistes), mais aussi à gauche (69 % des sympathisants « insoumis »).
4) Quelle approbation ?
Malgré les différents handicaps que connait le référendum sur l’environnement, près de huit Français sur dix (79 %) voteraient en faveur de la modification constitutionnelle, soit l’un des taux d’approbation les plus larges sous la Ve République.
L’intention de vote au référendum sur l’environnement
Ce soutien massif s’exprime particulièrement – et sans surprise – parmi les catégories de la population les plus attachées à l’écologie, comme les sympathisants d’Europe Ecologie Les Verts (96 %). Parmi les indicateurs permettant une lecture claire de l’intention de vote en faveur de la réforme, c’est d’ailleurs le rapport à l’écologie qui détermine le plus clairement cette tendance. Ainsi, 91 % des personnes s’identifiant comme « très écologistes » déclarent vouloir voter Oui contre 51 % parmi ceux rejetant tout sentiment écologiste.
D’autres lignes de lecture se dessinent, notamment le facteur générationnel, sur laquelle les catégories d’âge les plus conscientes des enjeux écologiques se montrent particulièrement favorables à la réforme (95 % des jeunes âgés de 18 à 24 ans déclarent vouloir voter pour la réforme, contre 76 % des personnes âgées de 65 ans et plus.).
5) Quelle perception de l’impact sur l’environnement ?
Le « Oui » massif qui se dégagerait en cas de référendum – en tout cas à ce stade d’une campagne à peine amorcée – s’explique, nous l’avons vu, par l’importance accordée à l’écologie par les Français. Face à cet enjeu considéré comme prioritaire, le référendum se révèle être une bonne occasion de s’y investir. C’est en tout cas l’opinion partagée par 61 % des personnes interrogées estimant que ce référendum serait un symbole important pour montrer l’engagement de la France en faveur de l’environnement.
La réforme constitutionnelle a également l’image d’une réforme largement bénéfique, à tout le moins par l’idée qu’elle n’entrainera pas d’effets négatifs perceptibles sur l’économie. Interrogés sur l’impact qu’elle aurait dans différents domaines, 54 % anticipent un impact positif dans la lutte contre le réchauffement climatique et 52 % dans l’agriculture. Même vis-à-vis de l’industrie – pourtant considéré comme l’un des secteurs les plus polluants et donc les plus susceptibles de « subir » les effets d’une norme constitutionnelle plus contraignante – près de quatre
Français sur dix (40 %) anticipent des effets négatifs, contre seulement 22 % des effets négatifs.
Loin de n’être qu’une manoeuvre, le référendum sur l’environnement est aussi considéré positivement par les Français, qui ne séparent pas l’intention politique derrière un projet qu’ils estiment nécessaire pour lutter contre le dérèglement climatique.
L’anticipation du niveau d’impact de la réforme de la Constitution
6) Quelle adhésion aux mesures de la Convention citoyenne ?
Parmi les autres propositions de la Convention citoyenne, les mesures les plus incitatives recueillent le soutien d’une large majorité de Français, que ce soit la création d’un « écolabel » informatif (88%), la création d’aides à la rénovation en direction des plus démunis (86%) ou encore l’obligation de remplacer les chaudières à fioul et à charbon d’ici à 2030 dans les bâtiments neufs et rénovés (73%).
Toutefois, lorsqu’il s’agit d’impacter directement le porte-monnaie des propriétaires en particulier, des réticences s’expriment. Un peu moins de six Français sur dix (58 %) déclarent être favorables à l’obligation pour les propriétaires de rénover leur logement principal d’ici 2040 et moins d’un sur deux (47%) soutiennent l’augmentation des taxes sur les produits transformés, marqueur d’une crainte et d’un rejet de l’écologie classiquement marquée dans l’opinion comme « punitive ».
Le niveau d’adhésion aux mesures pour lutter contre le dérèglement climatique
Le point de vue de Paul Cébille, chargé d’études Senior au Pôle Politique & Actualités de l’Ifop
Au regard de ces résultats, la perspective d’une abstention massive à ce référendum nous semble un bon indicateur du risque politique que ce scrutin pourrait constituer pour un exécutif qui illustrerait son incapacité à mobiliser l’opinion sur des sujets – l’environnement, le climat et l’avenir de la planète – pourtant en tête des priorités des Français mais aussi à recourir à des outils d’expression directe auxquels les citoyens appellent clairement de leurs vœux [[3]]. L’annonce du référendum ne s’étant pas accompagnée d’un soutien de communication suffisante pour porter dans l’opinion le sujet, le risque est donc d’en faire plus un handicap qu’un atout pour la majorité.
Ces deux impératifs de l’opinion publique se retrouvent donc aujourd’hui grandement déçus par l’initiative du président de la République, elle-même issue d’une initiative qui se voulait ambitieuse : la Convention citoyenne pour le climat. L’annonce se voit douchée à la fois par le faible engouement pour le référendum – qui n’a pas été porté par une communication suffisante du Gouvernement – mais surtout par l’idée largement répandue que se cacherait dessous une manipulation purement politicienne, un problème dont il n’est pas seul responsable mais qui autorise à un certain pessimisme quant à la mobilisation populaire pour ce scrutin. La Ve République ne permet pas pour le président de la République, malgré une tentative de dévier la responsabilité, d’utiliser le référendum sans se mettre lui-même au centre du jeu politique.
Toutefois, les Français ne se sont pas encore penchés sur le référendum sur l’environnement et le débat de campagne n’a pas encore eu lieu, ils n’en connaissent donc que relativement peu les tenants et aboutissants. Ainsi, pour l’instant, les électeurs se montrent largement favorables à la réforme constitutionnelle mais n’ont pas encore donné leur dernier mot. Rappelons que lors du dernier référendum organisé en France sur le traité constitutionnel européen, le résultat final n’avait pas grand-chose à voir avec l’état d’esprit de l’opinion au début de la campagne, largement en faveur du « Oui », alors que de nouveaux enjeux sont intervenus pendant la campagne pour renverser les intentions de vote en faveur du « Non ».
(1) Etude Ifop pour Depanneo.com (société spécialisée dans le dépannage et les travaux de rénovation énergétique) réalisée en ligne du 7 au 8 janvier 2021 auprès d’un échantillon de 1 028 Français âgés de 18 ans et plus.
Source : Fondation Jean Jaurès