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Rapport GIEC

Alerte climatique : qui va nous sauver du drame annoncé ?

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Peut-être faudra-t-il se souvenir de cette journée du lundi 8 octobre 2018. Elle a commencé par la publication d’un pavé de 400 pages : le rapport du GIEC, l’organisme international vigile de notre climat. Son verdict est un coup de semonce : le climat s’emballe et si rien n’est fait nous allons tout droit – et beaucoup plus vite que prévu – vers la catastrophe. Les climatologues du GIEC sont inquiets mais ils s’efforcent de se montrer optimistes : il y a encore des choses à faire pour éviter la collision fatale. Des mesures d’ordre individuel comme gouvernemental peuvent être prises. Un petit espoir. Tout petit.
Le même jour, l’académie Nobel rendait son verdict et consacrait deux américains Prix Nobel d’économie pour leurs travaux sur les relations entre climat et finance. Selon eux, c’est le marché qui va nous sauver de la catastrophe annoncée. Encore un peu plus de capitalisme libéral, d’innovation technologique et de mondialisation et nous serons saufs, et incidemment, enrichis grâce à la lutte climatique. Mais à quel saint faut-il donc se vouer ?
 
Le rapport du GIEC publié le 8 octobre décrit avec force détails la menace d’emballement au-delà d’1,5°C de réchauffement (par rapport aux niveaux préindustriels) : canicules, extinctions d’espèces, déstabilisation des calottes polaires avec à la clé montée des océans, inondations, disparitions de milliers de kilomètres de lignes de côte, mise en danger de millions de personnes, partout sur la planète. Les climatologues avaient calculé que ce seuil de dépassement des 1.5° pourrait intervenir dans plusieurs décennies. Cela nous laissait un peu de temps pour souffler. Faux espoir, car l’échéance peut être plus courte, vers 2030, peut-être même avant. Un horizon à échelle de vie d’homme.  Les 6000 études qui ont nourri la synthèse des climatologues du GIEC sont formelles : le seuil de 1.5° sera atteint plus tôt que prévu, et si les États s’en tiennent à leurs engagements pris lors de l’Accord de Paris, le réchauffement atteindra +3°C à la fin du siècle. « C’est de l’urgence extrême », a réagi depuis Genève le secrétaire général de l’Organisation météorologique mondiale (OMM), Petteri Taalas: « Nous nous dirigeons plutôt vers +3 à 5°C en ce moment ».
 

Scénario catastrophe

Le scénario du GIEC semble nous mener tout droit vers un monde qui ne ressemblera plus du tout à celui que nous connaissons. Un monde invivable. Lors d’une conférence donnée à Paris le 6 septembre dernier dans le cadre des rencontres BiomimExpo, le climatologue du GIEC, Jean Jouzel, confiait que ce qui nous attend, en France, à Paris, d’ici 2030, ce sont des températures de l’ordre de 50° pendant de longues périodes de l’année. Ce que craignent le plus les scientifiques, c’est l’emballement du climat. Passé un certain seuil, plus rien n’est maîtrisable ni prévisible. Des effets irréversibles s’amplifiant sans limitation possible pourraient se produire. Ce seuil, personne ne le connaît vraiment mais les climatologues sont nombreux à penser qu’à +2°C, nous entrons dans une zone de risque maximum. Pour Pascal Canfin, Directeur général de WWF France, « le réchauffement climatique s’accélère et l’humanité est en passe de perdre le contrôle sur la machine climatique ».
 
Face à cette perspective, les climatologues du GIEC s’efforcent de ne pas sombrer dans un pessimisme mortifère.  Il faut absolument rester en dessous de ce seuil. On peut – on doit –inverser la tendance et stabiliser les températures à +1.5°C. Pour cela, les émissions de CO2 doivent chuter bien avant 2030 (-45% d’ici 2030) et le monde atteindre une « neutralité carbone » en 2050 : autrement dit, il faudra cesser de rejeter dans l’atmosphère plus de CO2 qu’on ne peut en retirer.
 
Villes, industries, énergie, bâtiment… tous les secteurs sont appelés à de « profondes réductions d’émissions », à « une transition sans précédent ». Le GIEC insiste sur l’énergie – charbon, gaz, pétrole générant les trois quarts des émissions – et propose plusieurs scénarios chiffrés. « Il n’y a pas de temps à perdre », a prévenu le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres sur Twitter. « Il n’est pas impossible de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, nous dit le rapport du Giec. Mais il faudra une action urgente, collective, et sans précédent dans tous les secteurs ». « Les années à venir seront les plus déterminantes de notre histoire », explique à l’AFP la Sud-Africaine Debra Roberts, coprésidente du GIEC.
 
 

Des efforts sans précédent

Ce recul massif d’émissions nécessaire exigera « une transition rapide et de grande portée en matière d’énergies, d’usage des sols, de transports, bâtiment et systèmes industriels », un mouvement « sans précédent » car impliquant tous ces secteurs à la fois. Les énergies renouvelables devraient passer de 20 à 70% de la production électrique au milieu du siècle, la part du charbon serait réduite à poussière, la demande d’énergie devra baisser, l’efficacité énergétique croître…
L’industrie devra réduire ses émissions de CO2 de 75-90% d’ici 2050 par rapport à 2010 (comparé à 50-80% pour 2°), les transports passer aux énergies bas carbone (35-65% en 2050 contre moins de 5% en 2020).
Selon le rapport, quelque 2.400 milliards de dollars d’investissements annuels seront nécessaires entre 2016 et 2035 pour la transformation des systèmes énergétiques, soit 2,5% du PIB mondial. Un coût qu’il faut mettre en regard avec le coût, bien plus élevé, de l’inaction, soulignent les scientifiques.
 
Des efforts qui touchent aussi aux modes de vie des habitants du monde. Chacun est appelé à agir, à changer ses habitudes, ses comportements. Mais avec quels effets ?
En 2017, des scientifiques avaient publié dans la revue Environmental Research Letters l’influence sur le climat de plusieurs de nos décisions : changer ses ampoules électriques, étendre son linge plutôt qu’utiliser un sèche-linge, utiliser une voiture électrique, etc… L’AFP a publié sur Twitter ce 8 octobre une infographie synthétisant les résultats. Les réactions offusquées des lecteurs se multiplièrent aussitôt. En effet, parmi les mesures présentées, celle qui a le plus fort impact sur le climat est … d’avoir un enfant en moins…
 
 
 

Apathie d’un système fou

Alors, ces efforts demandés, les climatologues du GIEC auteurs du rapport y croient-ils vraiment ?  Une étude de l’OCDE publiée il y a quelques jours nous apprenait que sur les 180 signataires de l’accord de Paris de 2015 (COP21), neuf pays seulement ont soumis aux Nations unies des programmes concrets pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. Les gouvernements continuent de consacrer des sommes colossales (500 milliards de dollars par an) pour subventionner le pétrole, le charbon et le gaz. Dans une chronique publiée par le journal Le Monde, Frédéric Joignot parle d’une « criminelle apathie face au drame annoncé ».
 
Apathie d’un système fou lancé sur son erre, celui du capitalisme mondialisé. Des scientifiques ont inventé le concept d’anthropocène pour décrire l’ère dans laquelle la pression des activités humaines sur l’environnement a atteint des niveaux destructeurs. Pollution, extinction d’espèces, désertification, déforestation, surpêche, concentration des gaz à effet de serre… un « capitalisme dévastateur », comme le décrit Naomi Klein, s’est installé dans le paysage de notre monde. Dans son dernier livre Éthique de la considération, (Edition Le Seuil, janvier 2018) la philosophe Corine Pelluchon écrit : le capitalisme implique « la destruction des écosystèmes, l’épuisement des ressources de la Terre, dont les limites et la finitude ne sont pas prises en compte ». Selon ce point ce vue, le terme anthropocène est impropre ; il faudrait plutôt dire « capitalocène ». Ce terme apparaît en 2016 dans le livre L’Événement anthropocène de Jean-Baptiste Fressoz et Christophe Bonneuil pour décrire un capitalisme mondialisé qui s’est construit au moyen d’un « accaparement des bienfaits de la Terre et d’une externalisation des dégâts environnementaux ».
Dans un communiqué l’ONG Attac va dans le même sens : « le rapport du GIEC montre qu’un pic d’émissions doit-être atteint en 2020 – et non en 2030 comme prévu à Paris – et que ces émissions doivent être divisées par deux d’ici à 2030. Une telle trajectoire n’est pas compatible avec la poursuite de politiques libérales, productivistes et croissantistes qui alimentent le réchauffement climatique ».
 

La solution, c’est la cause

Pourtant, au moment où le GIEC présentait son rapport, l’Académie royale de Suède désignait les lauréats du Prix Nobel d’économie. Les Américains William Nordhaus et Paul Romer sont récompensés pour avoir « mis au point des méthodes qui répondent à des défis parmi les plus fondamentaux et pressants de notre temps : conjuguer croissance durable à long terme de l’économie mondiale et bien-être de la planète ». Un prix Nobel vert qui vient à point nommé pour couronner des spécialistes de l’environnement et du dérèglement climatique. Deux Américains qui vont nous donner un peu d’espoir dans le moment d’urgence climatique que nous vivons. Car, eux, ils ont la solution. C’est ce qu’ils prétendent.
 
Les deux nouveaux économistes nobélisés ont souligné dans tous leurs travaux le caractère adaptatif de l’économie de marché capable de toujours se réinventer face à de nouveaux aléas. Selon eux, les caractéristiques intrinsèques du capitalisme – maximisation des intérêts particuliers, capacité continue d’adaptation, invention d’innovations génératrices de progrès techniques – sont autant d’atouts pour faire face à la crise climatique. Nous sommes sauvés car le capitalisme est là ! Grâce à la foi dans la connaissance, la recherche, le partage et la génération d’innovations, le capitalisme va nous sortir d’affaire. « Nous pouvons vraiment réaliser des progrès substantiels pour protéger l’environnement sans pour autant renoncer à assurer une croissance durable », a affirmé Paul Romer lors de sa remise de prix. Si on les suit, face au fléau du dérèglement climatique, le capitalisme n’a rien à se reprocher, il est la solution au problème. C’est en tout cas le message qu’ont voulu donner les membres de l’Académie royale de Suède en décernant ce cinquantième prix Nobel d’Économie.
 
Un message insuffisant s’il est pris au pied de la lettre comme une défense du capitalisme. Un message, en revanche, à méditer s’il incite les économistes à repenser leurs modèles, les financiers à changer leurs modes d’évaluation, les agents économiques à muter profondément pour une nouvelle économie respectueuse de la nature et soucieuse des externalités qu’elle produit. Mais l’urgence climatique nous en laissera-t-elle le temps ?
 
 

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