Les premières mesures jamais effectuées sous la langue glacée du glacier Thwaites, en Antarctique, ont révélé un flux d’eau chaude jusqu’alors sous-estimé. Cet afflux de chaleur se mélange à d’autres eaux sous le glacier et empiète sur plusieurs « points d’ancrage » critiques, selon les chercheurs, les fragilisant de toutes parts. Si l’activité se poursuit ou, pire, s’accélère, l’équipe craint qu’elle ne finisse par détacher des quantités massives de glace terrestre qui s’écrouleraient dans l’océan.
Le glacier Thwaites a été surnommé « glacier de l’apocalypse » en raison de sa taille – 192 000 kilomètres carrés, soit un bon tiers de la surface de la France – et de sa vitesse de fonte inquiétante. L’avenir de la calotte glaciaire de l’Antarctique occidental reste de ce fait le principal point d’incertitude concernant l’élévation du niveau de la mer. Si cela se produit, les estimations suggèrent que cela pourrait faire monter le niveau des mers de 80 cm à plus de 3 mètres. Dans ce cas, de nombreuses villes côtières dans le monde seraient en péril.
À l’heure actuelle, le glacier de Thwaites contribue pour environ 10 % à l’élévation du niveau de la mer, mais comme les eaux chaudes et salées ont tendance à converger sous lui, la plate-forme glaciaire pourrait contribuer bien davantage au réchauffement de la planète. Comme si l’on enlevait le bouchon d’une bouteille de vin, la perte de cette plateforme de glace pourrait faire fondre encore plus de glace sur son socle rocheux et la faire couler dans l’océan. L’étude a été publiée dans Science Advances.
En raison de l’éloignement du glacier et des conditions périlleuses de la région, seules quelques mesures ont été effectuées près du bord de la plate-forme de glace, et jusqu’à présent, aucune n’avait été prise dans la cavité située en dessous.
« La bonne nouvelle est que nous recueillons pour la première fois des données nécessaires à la modélisation de la dynamique du glacier Thwaite », explique l’océanographe physique Anna Wåhlin, de l’université de Göteborg en Suède. « Ces données nous aideront à mieux calculer la fonte des glaces à l’avenir. Grâce aux nouvelles technologies, nous pourrons améliorer les modèles et réduire la grande incertitude qui règne aujourd’hui autour des variations du niveau global de la mer. »
Les informations ont été recueillies par un véhicule submersible baptisé Ran, qui a nagé profondément sous l’épaisse glace pour mesurer la force, la température, la salinité et la teneur en oxygène des courants océaniques sous-jacents. Les chercheurs ont identifié trois afflux d’eau chaude, dont un qui avait été sérieusement sous-estimé. Les scientifiques pensaient en effet que les flux d’eau profonde provenant de l’est étaient bloqués par une crête sous-marine située à proximité, mais les nouvelles données de Ran suggèrent que ces courants profonds trouvent encore leur chemin vers la baie.
« Les canaux permettant à l’eau chaude d’accéder à Thwaites et de l’attaquer ne nous étaient pas connus avant les recherches », explique Alastair Graham, océanographe géologue de l’Université de Floride du Sud. « En utilisant les sonars du navire, imbriqués avec la cartographie océanique à très haute résolution de Ran, nous avons pu constater qu’il existe des chemins distincts que l’eau emprunte pour entrer et sortir de la cavité de la plate-forme de glace, influencés par la géométrie du plancher océanique. »
En fin de compte, cela signifie que des eaux chaudes et salées pénètrent dans la cavité située sous la plateforme glaciaire de Thwaites des deux côtés de son principal point de fixation au nord, ce qui pourrait déstabiliser l’ensemble de la structure.
Affaiblissement des points d’ancrage du glacier
On ne sait toujours pas quelle part de cette chaleur disponible contribue réellement à la fonte de ce point de fixation principal, mais les auteurs prévoient que l’énergie transportée par un seul courant local est suffisante pour faire fondre la glace située au-dessus à un rythme de plus de 85 gigatonnes par an.
« Ce point d’ancrage est l’un des derniers éléments de soutien qui limitent le flux de glace provenant de l’amont, et les observations par satellite indiquent que son étendue a diminué au cours des dernières décennies », écrivent les auteurs.
L’effondrement de ce glacier « pourrait avoir des répercussions importantes sur le niveau de la mer à l’échelle mondiale », souligne le Conseil britannique sur la recherche environnementale (NERC) dans un communiqué. Le secrétaire d’État britannique à la Recherche et à l’innovation, Sam Gyimah, parle même d’ « importance vitale ».
La nature considérable de ce risque explique la mobilisation sans précédent d’équipes de scientifiques en ordre de bataille pour ausculter le glacier. L’enjeu est de taille car le continent Antarctique concentre 62% des réserves d’eau douce de la planète ; son dégel devrait notamment contribuer à désaliniser les mers du globe, un mécanisme fatal pour de nombreuses espèces marines, à perturber les courants océaniques qui régulent notre climat et à faire monter le niveau des eaux.