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chaleur extrême

Climat : il va faire encore plus chaud. Jusqu’où tiendrons-nous ?

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L’été dernier, il a fait très chaud partout dans le monde. On se souvient des épisodes de canicule en France, des incendies géants en Californie, de la suffocation des Australiens. Mais ce n’est rien à côté de ce qui nous attend. Une étude publiée cette semaine nous prévient : les vagues de chaleur record vont se produire à nouveau et ce qui apparaissait comme exceptionnel va devenir maintenant la norme. Cette annonce vient dans un train d’informations alarmantes sur le climat qui posent désormais clairement la question de notre capacité à nous adapter à un monde de plus en plus invivable.
 
Les météorologues, si ce n’est les climatologues, ne savent plus à quel saint se vouer quand ils observent le thermomètre grimper et encore grimper. Les premières journées de juin ont été plutôt fraîches et pluvieuses en France. Mais dans le reste du monde, les températures ont atteint des chiffres alarmants pour un printemps.
 

Pluie de records

Dans l’hémisphère Nord, une chaleur étouffante a frappé plusieurs régions de la planète et singulièrement les grands centres de population.
Lundi, il faisait 48 ° C à New Delhi, la capitale de l’Inde ; une température jamais vue pour un mois de juin. Dans certaines régions de l’Inde, le mercure est même monté à 50 ° C, le niveau le plus élevé jamais atteint par le pays.
 
De l’autre côté de l’hémisphère, à San Francisco, la température a grimpé jusqu’à 37.8°, un record absolu, toute période confondue. La chaleur ne s’est pas cantonnée aux zones dites « tempérées » de l’hémisphère. Elle est montée de façon parfaitement anormale très loin au Nord, jusqu’aux confins de la Scandinavie. Les météorologues d’Helsinki en Finlande ont déclaré que les températures de ces jours-ci n’avaient jamais été enregistrées depuis que la météo existe dans ce pays. Mi-mai, les températures ont dépassé les 30 °C en Russie, du Kazakhstan à la mer Blanche et à l’Oural. Au bord de l’océan Arctique, on a relevé 31,2 °C à Koynas, une ville de 350.000 habitants, située à 65° N de latitude. Plus de 30 ° C a l’intérieur du cercle polaire arctique, du jamais vu en cette période de l’année.
Au Japon, fin mai, une vague de chaleur sans précédent a battu des dizaines de records et notamment celui de la température la plus élevée jamais enregistrée dans l’archipel nippon au mois de mai : 39.5 ° C.
 
L’été dernier, une chaleur exceptionnelle a touché 22 pour cent des régions peuplées et agricoles de l’hémisphère Nord entre les mois de mai et juillet. Les États-Unis ont connu leur mois de mai le plus chaud jamais enregistré, la Californie a connu son mois de juillet le plus chaud et de nombreuses villes européennes ont enregistré leurs températures les plus élevées jamais enregistrées, tandis que des villes d’Asie, du Moyen-Orient et d’Afrique ont également franchi de nouveaux jalons. En France, en 2018, on n’avait jamais mesuré une température moyenne annuelle aussi élevée : 13,9 °C. Soit 1,4 °C au-dessus des moyennes de la période 1981-2010. Si un écart de 1,4 °C peut sembler infime, il représente en réalité la différence thermique entre Paris et Toulouse. Une situation similaire a été observée en Allemagne, en Autriche, en Pologne et en Suisse, qui ont toutes enregistré en 2018 leur record de température annuelle.
 
L’étude que vient de publier la revue scientifique Earth’s Future s’est penchée sur ces températures extrêmes pour tenter de savoir si ces vagues de chaleur vont se généraliser. Les chercheurs sont formels : « Nous sommes entrés dans un nouveau régime climatique avec des vagues de chaleur extraordinaires d’une ampleur et d’une force jamais vues auparavant ». Grâce à des études de modélisation, les chercheurs suisses et britanniques prédisent une intensification des vagues de chaleur dans les prochaines années. Celles de l’été dernier ne sont qu’un avant-goût. Et pourtant, elles sont inédites, les chercheurs affirmant ne les avoir jamais rencontrées dans leurs analyses historiques : « Elles sont sans précédent avant 2010 ».  
 

« Chaleur létale »

Des scientifiques de plusieurs pays ont évalué les conséquences des élévations des températures dans les grandes métropoles. Ils viennent de publier leurs travaux dans Earth’s Future.
L’impact du changement climatique se fait spécifiquement ressentir dans les pays aux climats tropicaux, caractérisés par une forte humidité et des températures extrêmes. À cela s’ajoutent le développement socio-économique et la forte urbanisation que connaissent les pays de ces régions, particulièrement en Afrique, qui conduisent à une explosion de la croissance démographique en ville. La combinaison de ces deux facteurs impacte fortement les conditions de vie des personnes vivant dans les villes africaines, notamment au niveau des températures extrêmes, voire mortelles. « Nous considérons que le seuil critique se situe à 40,6 degrés Celsius en température ressentie, soit en prenant en compte l’humidité », relève Guillaume Rohat, chercheur à l’Institut des sciences de l’environnement (ISE) de l’UNIGE. En effet, une forte humidité extérieure perturbe notre capacité de thermorégulation, ce qui peut avoir des conséquences mortelles.
 
Les scientifiques ont introduit une nouvelle expression : « chaleur létale ». Les températures enregistrées et celles à venir mettent clairement en jeu la santé humaine. Cette conséquence est logique ; les humains, comme tous les mammifères sont des moteurs thermiques. Ils fonctionnent en relation avec la température de l’air ambiant ; celle-ci doit être suffisamment basse pour que l’air puisse agir comme un frigorigène, aspirant la chaleur de la peau pour que le moteur puisse continuer à pomper. Dans certaines zones équatoriales de la planète, le réchauffement prévu devrait atteindre 7° C. L’air ambiant est trop chaud pour que le moteur thermique du corps humain puisse fonctionner. A cela s’ajoute, dans les régions tropicales, un taux d’humidité extrême. Au Costa Rica, par exemple, les températures pourraient dépasser les 45 °C avec un taux d’humidité de 90 %. Tout déplacement à l’extérieur peut alors s’avérer fatal.
 
Même si nous atteignons les objectifs de l’Accord de Paris d’un réchauffement de deux degrés, des villes comme Karachi et Calcutta deviendront presque inhabitables et subiront chaque année des vagues de chaleur mortelles. Le stress thermique à New York dépasserait celui du Bahreïn actuel, l’un des endroits les plus chauds de la planète. D’ici la fin du siècle, la Banque mondiale a estimé que les mois les plus frais en Amérique du Sud, en Afrique et dans le Pacifique seront probablement plus chauds que les mois les plus chauds de la fin du XXe siècle. La climatisation peut certes aider, mais elle ne fera qu’aggraver le problème des émissions de CO2 ; en outre, si l’on fait abstraction des centres commerciaux climatisés des émirats arabes, il n’est pas réellement plausible de climatiser toutes les régions les plus chaudes du monde, dont beaucoup sont aussi les plus pauvres. Et en effet, la crise sera plus dramatique au Moyen-Orient et dans le golfe Persique, où en 2015, l’indice de chaleur a déjà enregistré des températures atteignant plus de 50° C.
 
Ces scénarios apocalyptiques sont étroitement liés à la hausse ininterrompue des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Ces gaz — dioxyde de carbone (CO2), méthane (CH4), protoxyde d’azote (N2O), pour les principaux — piègent dans l’atmosphère une partie du rayonnement solaire et le renvoient sous forme de chaleur. Le drame est que le niveau de CO2 dans l’atmosphère n’a jamais été aussi élevé depuis trois millions d’années. Il a atteint le 11 mai 2019 un nouveau seuil symbolique. Son niveau le plus haut dans l’histoire de l’humanité. Plusieurs instituts et observatoires ont annoncé qu’aujourd’hui, le taux de CO2 était de 415,26 parties par million (ppm). Les scientifiques considèrent qu’à l’aube de la révolution industrielle, le niveau de CO2 se situait autour de 280 ppm. En 1958, date des premières mesures, à Hawaï, il atteignait 315 ppm.
Ces chiffres paraissent abstraits et ne signifient pas grand-chose pour la plupart des terriens que nous sommes. Pourtant, ils mesurent précisément nos chances de survie. Et plus les instruments de mesures deviennent précis, plus les données qui apparaissent s’avèrent effrayantes. Un article de Science du 19 avril 2019 établissait ainsi que le réchauffement en cas de doublement de la concentration de CO2 dans l’atmosphère serait plus important qu’on ne le prévoyait jusqu’à récemment (entre 2,5 °C et 4,5 °C). Le réchauffement pourrait, en réalité, dépasser les 5 °C d’après de récentes modélisations.
 

L’habitude de la fin du monde

Si les « ppm » qui mesurent la quantité de CO2 dégagés dans l’atmosphère paraissent abstraits, en revanche, les conséquences visibles ne cessent de s’accumuler. Les événements climatiques extrêmes (incendies géants, cyclones dévastateurs, inondations destructrices) se multiplient et… finissent par émousser notre sensibilité. Même parmi ceux qui sont les plus informés sur les dérèglements climatiques, le niveau d’alerte est en-deçà de la réalité. Nous pouvons contempler les dangers du réchauffement du monde mais notre imagination est comme bridée. Peut-être est-ce l’accumulation des données scientifiques, des probabilités consciencieusement établies par les experts qui aboutissent à édulcorer la gravité de la menace. Peut-être aussi parce que nos régions de civilisation dite avancée sont dirigées par des groupes de technocrates qui croient et laissent accroire que tout problème peut être résolu par la science et la technique. Peut-être, enfin, que le négationnisme climatique ambiant incite à la prudence, à la retenue, à la défiance, quand ce n’est au déni. Notre incertitude sur l’incertitude nous incite à croire, comme un acte de foi, que le pire n’arrivera pas ; ou qu’il arrivera ailleurs, plus loin. Face à un problème qui s’avère difficile, voire impossible à résoudre, qui met en perspective notre propre annihilation, la peur n’est pas le bon moteur. Le déni non plus.
 
Reste à se préparer. S’adapter devrait être le maître mot face aux chocs climatiques annoncés. Or une adaptation devant des changements d’une telle ampleur exigent une mutation violente de la société. Et elle ne semble pas prête. En France, un rapport du Sénat appelle à « enclencher une véritable mutation de la société » mais constate que « les politiques d’adaptation souffrent encore d’un déficit persistant de reconnaissance et de légitimité, à la fois dans le débat public et dans les politiques publiques ».  En clair, les politiques n’envisagent les enjeux climatiques qu’à travers le seul prisme de l’atténuation, c’est-à-dire la limitation des émissions de gaz à effet de serre. Cela revient à espérer comme un vœu pieux que nos efforts humains parviendront à corriger nos erreurs et rétablir le fonctionnement normal de la machine climatique emballée. Tel un complexe démiurgique, nous pensons pouvoir dompter la bête climatique. À ce jeu les acteurs sont nombreux et les idées fusent de toutes parts. En revanche, il n’y a plus personne quand il s’agit de traiter les conséquences du dérèglement du climat en limitant ses aspects négatifs, en prévenant le pire, en nous adaptant. Entre « éviter l’ingérable » et « gérer l’inévitable » comme l’écrivent les auteurs du rapport, seul le premier terme semble convenir à l’esprit de nos décideurs contemporains.
 
L’urgence de s’adapter est criante. Les scientifiques ne cessent de le rappeler sur tous les tons. Le dernier cri d’alarme a été lancé ce 5 juin par un groupe de chercheurs australiens, un pays durement touché par le dérèglement climatique. Les conclusions de leur rapport ne vont pas par quatre chemins : « il est fort probable que la civilisation humaine prenne fin » d’ici 2050. D’ici trente ans. Titré “Existential climate-related security risk: A scenario approach”, le rapport insiste et averti d’un « risque existentiel pour la civilisation (…) entraînant des conséquences négatives permanentes importantes pour l’humanité, qui pourraient ne jamais être annulées, en annihilant la vie intelligente ou en réduisant de manière permanente et radicale son potentiel ». Une situation unique, sans équivalent historique. Fin de l’Histoire.
 
 
LIVRES
Laurent Testot, Cataclysmes, une histoire environnementale de l’humanité, Editions Payot & Rivages
Alain Grandjean, Agir sans attendre, Edition Les Liens qui Libèrent
 

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