Où va ce gouvernement ? Après avoir combattu violemment les manifestations de Sainte-Soline qui défendaient une gestion durable des nappes phréatiques, après les promesses sur l’eau annoncées par le chef de l’Etat à Serre-Ponçon, le ministre de l’Agriculture vient d’autoriser l’utilisation d’un herbicide qui pollue les mêmes nappes et cours d’eau. Le S-métolachlore condamné par les scientifiques de l’Anses pour ses effets cancérigènes, est désormais autorisé par l’Etat. Le ministre en charge arguant refuser que ses décisions soient dictées par des considérations scientifiques. Une décision prise sous la pression du principal syndicat agricole, la FNSEA, qui provoque la colère des organisations environnementales.
L’herbicide S-métolachlore, produit dont le nom est peu connu du grand public mais qui, avec 1 946 tonnes écoulées chaque année, « est l’une des substances actives herbicides les plus utilisées en France », comme le rapporte l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
Un pollueur de l’eau
Utilisé pour désherber, essentiellement dans les cultures du maïs, du tournesol et du soja, le S-métolachlore se dégrade après usage jusqu’à former des dérivés chimiques, appelés « métabolites », rappelle l’Anses. Or ces métabolites se retrouvent dans les sols, les eaux de surface et les eaux souterraines. Récemment, « lors des contrôles des eaux destinées à la consommation humaine, trois métabolites du S-métolachlore ont été fréquemment détectés à des concentrations dépassant les normes de qualité » fixées par la législation européenne, a alerté l’agence sanitaire le 15 février dernier. Et ce, alors que de la présence de l’herbicide en quantité préoccupante avait déjà été détectée en 2021, selon un rapport de l’Anses.
Dans la foulée, l’agence avait décidé « des mesures de restriction dans les autorisations de mise sur le marché des produits à base de S-métolachlore, en particulier une réduction des doses maximales d’emploi pour le maïs, le tournesol, le soja et le sorgho ». Mais en dépit de ces mesures, « les concentrations des trois métabolites du S-Métolachlore sont en situation de dépassement des seuils réglementaires », selon l’Anses.
Interdiction
En conséquence, l’agence a annoncé, mi-février, qu’elle « engage[ait] la procédure de retrait des principaux usages des produits phytopharmaceutiques à base de S-métolachlore », surtout commercialisés par Syngenta, le poids lourd allemand du secteur. « La décision définitive est en cours », avait alors précisé une porte-parole de l’Anses à l’AFP. L’interdiction des principaux usages de ces désherbants, si elle était confirmée par l’Anses, ouvrirait un « délai de grâce » permettant la vente des produits pendant encore six mois et leur utilisation pendant 12 mois.
Les fédérations et associations représentant les producteurs de blé et céréales (AGPB), de maïs (AGPM), d’oléagineux et protéagineux (FOP), de pommes de terre (UNPT) et les planteurs de betteraves (CGB) avaient immédiatement réagi à l’annonce de l’Anses, en faisant part de leur « inquiétude face aux retraits successifs des molécules essentielles à la production agricole et au maintien de filières compétitives ».
À l’inverse, l’ONG Générations Futures avait salué « cette initiative et cette anticipation d’une probable interdiction au niveau européen de la substance », qui « montre que les autorités nationales ont le pouvoir de prendre des décisions sur les autorisations des produits sans attendre les conclusions de l’Europe sur les substances actives ». En effet, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) est chargée depuis 2015 de réévaluer l’autorisation du S-métolachlore. Mais bien qu’elle l’ait classée comme « substance cancérigène suspectée » en juin dernier, elle n’a pas encore rendu sa décision finale, après huit ans d’examen. Une décision d’interdiction de la Commission européenne pourrait ne pas intervenir avant novembre 2024.
Revirement
L’histoire ne s’arrête pas là. Le 30 mars, le même jour où les manifestations de Sainte-Soline se déroulaient, le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, a annoncé, devant le congrès du syndicat agricole majoritaire, la FNSEA, avoir demandé à l’Anses de revenir sur sa volonté d’interdire les principaux usages du S-métolachlore. « Je ne serai pas le ministre qui abandonnera des décisions stratégiques pour notre souveraineté alimentaire à la seule appréciation d’une agence », a lancé Marc Fesneau, « Il faut se baser sur la science pour évaluer avant de décider (…) mais l’Anses n’a pas vocation à décider de tout, tout le temps, en dehors du champ européen et sans jamais penser les conséquences pour nos filières », a-t-il ajouté.
Pour le député socialiste Dominique Potier, la sortie de Marc Fesneau « est une déclaration extrêmement grave qui porte atteinte à l’indépendance de l’Anses ». « Elle remet en cause une loi de 2014 qui fait consensus depuis dix ans et qui prévoit que les ministères abandonnent leurs prérogatives pour faire confiance à l’Anses », a-t-il dénoncé auprès de l’AFP. Le ministre « se met à la main du pouvoir économique à court terme », a encore déploré le député Potier. « Quand un produit est cancérigène, il est retiré, c’est la doctrine française et il ne revient pas à un lobby économique de revenir dessus », a-t-il ajouté.
La députée des Deux-Sèvres, Delphine Batho (écologiste), estime que l’intention affichée du ministre de l’agriculture de « changer de méthode » préfigure une volonté de « changer la loi pour retirer à l’Anses les autorisations de mise sur le marché des pesticides et de les faire revenir dans le giron du ministère de l’agriculture ». « Et là, ce sera la porte grande ouverte aux pesticides les plus dangereux », craint l’ancienne ministre de l’écologie de François Hollande (2012-2013).
Malgré les critiques, le ministre de l’Agriculture persiste et signe. Dans une tribune publiée ce 1er avril sur Twitter, il assume son choix au nom de la « souveraineté alimentaire ». Il appelle également à « poser correctement le débat » et à « changer de méthode pour avancer », regrettant d’être exposé à « la caricature », « comme si le plus grand des défis de notre temps, la lutte contre le changement climatique et l’indispensable transition écologique, ne pouvait se concevoir que comme une bataille rangée ».
✍️ Produits phytosanitaires : poser correctement le débat et changer de méthode pour avancer. pic.twitter.com/9LX9RmHHxm
— Marc Fesneau (@MFesneau) April 1, 2023
Télescopage
Cette histoire est troublante car elle interroge la logique de la politique environnementale du gouvernement. Hasards du calendrier ou expressions du « en-même-temps » macronien, plusieurs prises de position des autorités se sont télescopées donnant un sentiment d’incohérence grave. Les manifestations de Sainte-Soline ont eu lieu pour contester l’accaparement des nappes phréatiques par une poignée d’exploitants agricoles. Certains y ont vu les prémices d’une guerre de l’eau, ressource appelée à devenir de plus en plus rare et précieuse du fait du dérèglement climatique. Les autorités ont choisi de réprimer ce mouvement dans la violence, employant armes de projection, de destination et d’encerclement. Le ministre de l’Intérieur appelant de surcroît à la dissolution de collectifs jugés « éco-terroristes » et à la création d’une cellule anti-ZAD (zone à défendre). « Plus aucune ZAD ne s’installera dans notre pays. Ni à Sainte-Soline ni ailleurs », a-t-il déclaré. « Je refuse de céder au terrorisme intellectuel de l’extrême gauche ».
Quelques heures après, le président de la République décide de prendre la parole à Serre-Ponçon pour présenter le plan eau de son gouvernement. Il consacre officiellement la nécessité de préserver cette ressource vitale.
Or au même moment, à Angers, le ministre du même gouvernement rejette d’un revers de la main des conclusions scientifiques pour autoriser les exploitants de la FNSEA à continuer d’utiliser un herbicide dangereux pour les ressources en eau en général, et les nappes phréatiques en particulier. Une incohérence qui ne s’explique que par la pression exercée par les grands acteurs de l’agro-industrie sur les politiques.
L’argument de la souveraineté alimentaire du pays est brandi systématiquement pour empêcher ou retarder des mesures environnementales qui obligeraient les agriculteurs à des changements de pratique ou de modèle.
Où est le courage ?
Ces incohérences traduisent le manque de courage du gouvernement face aux mesures nécessaires à prendre. Un manque de courage qui autorise certains agriculteurs arcboutés devant les changements qu’ils refusent d’affronter, à adopter des postures violentes. Les actes d’intimidation envers les défenseurs de l’environnement sont de plus en plus visibles en France : incendie ce 31 mars de l’Ofice de la biodiversité à Brest, sabotages et menaces à l’encontre de journalistes ou d’élus écologistes, violences ce 25 mars contre des représentants de l’ONG Sea Shefferd en Vendée, … Des incidents que l’on retrouve à des degrés plus tragiques dans d’autres pays du monde : l’ONG Global Witness a recensé plus de 1733 personnes assassinées pour avoir défendu l’environnement dans le monde entre 2012 et 2021. « Tous les deux jours, un défenseur de la Terre est assassiné dans le monde, et ce n’est probablement que le sommet de l’iceberg » écrit dans une interview au Monde, le rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement, Michel Forst.
Andy Smith, directeur de recherches à la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP) écrit dans une tribune : « Tout se passe comme si l’État avait cautionné l’émergence de ce qu’on peut qualifier de « vigilantisme agricole », autrement dit la tendance de certaines fractions du monde agricole à agir en justiciers en dehors de tout cadre légal et à s’assurer de la reproduction de l’ordre social rural par le recours à la violence et à l’intimidation ».
Le gouvernement a, semble-t-il, fait son choix en criminalisant les défenseurs de l’environnement tout en faisant preuve d’une connivence complice avec les agriculteurs défenseurs d’un modèle appelé à disparaître. Ce choix du gouvernement n’est pas sans entraîner de lourdes conséquences explique Michel Forst : « Lorsqu’on criminalise les défenseurs de l’environnement, c’est la cause elle-même qui est mise au ban de la société ». On pourrait ajouter que lorsqu’un ministre de l’Agriculture fait fi des conclusions des scientifiques sur la dangerosité d’un produit, c’est un recul de l’intelligence auquel on assite.
Avec AFP