Comme si les mégafeux et la déforestation criminelle ne suffisaient pas, une nouvelle urgence écologique frappe la forêt amazonienne : le pétrole qui se déverse d’un oléoduc endommagé depuis une semaine dans l’Amazonie équatorienne a touché une aire naturelle protégée et une rivière qui alimente en eau plusieurs villages de cette région.
Cela ressemble à un film catastrophe à grand renfort d’effets spéciaux : ce 27 janvier était un jour de fortes pluies, explique Cesar Benalcazar, un ouvrier de 24 ans, présent à Piedra Fina, à un peu moins d’une centaine de kilomètres à l’est de Quito. La rivière Quijos était en crue, de gros rochers sont tombés dans la nuit depuis le sommet de la montagne. L’un a chuté « sur sa pointe » en plein sur l’oléoduc. « Lorsque le tuyau a explosé, le pétrole a jailli, comme une bombe à pression », raconte César.
Tous les efforts des ouvriers, sautés aux commandes de leurs engins de terrassement pour contenir la fuite, ont été vains. « Nous avons essayé d’empêcher le pétrole d’atteindre la rivière, mais il a dévalé la pente en cascade », regrette César. Pas eu le temps de creuser un trou ou un bassin avec des pelleteuses pour recueillir le brut avant qu’il ne contamine la rivière.
Environ 21.000 m2 -deux hectares- de la réserve Cayambe-Coca ont été touchés par la fuite de pétrole. D’une superficie de plus de 4.000 km2, ce parc national de Cayambe-Coca est à cheval sur quatre provinces, dans une zone de montagnes et de forêts humides dans le bassin de l’Amazone, entre 600 et 5.790 mètres d’altitude. Il tire son nom du Cayambe, un volcan, et de la rivière Coca qui traverse son territoire. Baigné d’eau, de sources et de cascades, entre hautes montagnes volcaniques et forêts humides du bassin de l’Amazone, le parc abrite une faune très variée et près de 400 espèces d’oiseaux.
Le brut qui s’est échappé de l’oléoduc s’écoule maintenant dans la Coca, une rivière majeure de l’Amazonie qui se jette dans un fleuve, le Napo. Cette rivière et ce fleuve alimentent en eau de nombreuses communautés, y compris des peuples autochtones.
Il faudra vingt ans pour revenir à la nature d’avant
Des galettes dans l’eau, des tâches noirâtres et poisseuses sur le sable : sur les berges de la rivière Coca, les habitants constatent, impuissants, la pollution au pétrole aux abords de leur petit village de jungle de Puerto Maderos, en Amazonie équatorienne. « Ces dégâts ne sont pas pour un ou deux mois, il faudra 20 ans » pour revenir à la nature d’avant : la complainte de Bolivia Buenano, commerçante de 40 ans, résume l’état d’esprit de cette communauté de 700 âmes, perdue dans la forêt. Plus personne ne peut « se baigner normalement dans la rivière, ni boire l’eau d’ici. Il n’y a plus de poissons, il n’y a plus rien », grommelle Bolivia, bottes de plastique jaunes aux pieds et combinaison bleu de travail.
Près de 6.300 barils de pétrole, soit plus d’un million de litres, se sont déversés plus en amont dans une réserve environnementale. Géré par la société OCP, le pipeline de 485 kilomètres de long qui traverse au total quatre provinces, transporte vers la côte Pacifique près de 160.000 barils de brut par jour depuis des puits de pétrole en pleine jungle. Une hérésie écologique.
OCP affirme avoir « collecté et réinjecté 5.300 barils de pétrole dans le système », soit 84% du brut déversé. Le pétrole aurait été recueilli dans des bassins de rétention aménagés en urgence dans la zone de l’incident par des équipes d’ouvriers armés d’engins de terrassement. Malgré ces affirmations se voulant rassurantes, les traces de la marée noire s’étendent sur des kilomètres, dans cette zone de montagnes couvertes de jungles. Bien en aval, au bord de la Coca, en fait une large rivière aux allures de véritable fleuve, les pluies et la force du courant ont cependant déjà emporté le gros de la nappe. De l’aveu même des techniciens qui se sont précipités pour colmater la fuite, et qui ce début de semaine continuaient leurs efforts pour endiguer l’avancée de la nappe noire, la « contamination est à long terme ».
Catastrophes écologiques à répétition
« Nous sommes fatigués parce que ce n’est pas une vie normale », enchaîne Bolivia. « Ce n’est plus une nature saine, c’est une nature contaminée. Et cela continuera tant que l’oléoduc et le réseau pétrolier continueront à être là », critique-t-elle, contemplant, assise, les eaux de la rivière. Ces provinces amazoniennes où elle vit, concentrent de grandes richesses pétrolières mais sont aussi les plus touchées par ces catastrophes écologiques à répétition. En mai 2020, dans cette même zone de Piedra Maderos, quelque 15.000 barils s’étaient déjà déversés dans trois rivières, dont la Coca, au cours d’un incident similaire : un oléoduc endommagé par des chutes de pierres provoquées par les fortes pluies qui s’abattent régulièrement sur cette région baignée d’eau.
L’indignation se propage de bouche en bouche. « Nous sommes les oubliés de Dieu », fustige Rosa Capinoa, dirigeante d’une organisation de communautés indigènes (Fecunae) qui a accompagné l’AFP dans une tournée des zones touchées. « Je sais que ce n’est pas quelque chose qui peut être récupéré du jour au lendemain, cela prendra beaucoup de temps (…). Regardez ! Toute cette catastrophe naturelle est d’une grande tristesse ». « Le pétrole vient d’ici, de nos régions, et nous, en tant que communautés, nous ne profitons de rien », dénonce Mme Capinoa.
L’Equateur dispose d’importantes ressources en pétrole, son principal produit d’exportation. Entre janvier et novembre 2021, le pays a produit une moyenne de 494.000 barils/jour. Entre 1960 et 1990, Texaco, une filiale de Chevron, avait exploité ces réserves pétrolières en forêt amazonienne et avait été accusée d’avoir détruit une partie de la forêt et déversé délibérément des millions de tonnes de déchets toxiques en pleine jungle ou dans les fleuves, sur plusieurs centaines de sites.
À force de le répéter, plus personne ne peut l’ignorer : la plus grande forêt tropicale du monde, l’Amazonie, subit une pression immense, s’approche d’un point de basculement écologique et risque de s’effondrer. Ce « point de basculement » climatique, au-delà duquel la libération de CO2 et de méthane favorisé par la déforestation et les pollutions multiples est inéluctable et le changement de l’écosystème irréversible. Passé ce seuil critique, une partie de l’Amazonie se transformera en savane. Pour les scientifiques, il s’agirait d’une catastrophe : au lieu d’enrayer le dérèglement climatique, l’Amazonie l’accélèrerait.
Avec AFP