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Urgence pour l’accès à l’eau : Mayotte a soif et l’État regarde ailleurs

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La préfecture de Mayotte vient de demander aux habitants de l’archipel de limiter leur consommation alors que les ressources en eau du territoire arrivent de nouveau à « un niveau alarmant et critique ». La saison des pluies n’a pas commencé et le département entre dans la période la plus critique de la crise. Les habitantes et habitants de Mayotte affrontent donc actuellement un pic dans la crise qui les prive d’eau potable depuis des mois. Via un « référé liberté », les associations Notre Affaire à Tous et Mayotte a soif ainsi que 15 victimes requérantes demandent au tribunal administratif de Paris de reconnaître l’impact de la crise sur les droits fondamentaux et la réponse insuffisante de l’État. Pour eux, la situation à Mayotte est le résultat de plusieurs années d’un désengagement de l’État sur ces questions et d’une inadaptation discriminatoire des politiques publiques déployées. Les associations espèrent que ce référé permettra d’ordonner en urgence à l’Etat de prendre des mesures de sortie de crise équitables, à la hauteur du drame sanitaire et humain qui se déroule sur l’île, et durablement adaptées aux problématiques propres à ce territoire français ultramarin.

Depuis plus de sept mois, la crise de l’eau, qui s’aggrave progressivement depuis 2016, s’est intensifiée à Mayotte. Les Mahorais vivent désormais au rythme des coupures d’eau de plus de 48h et ne reçoivent souvent qu’une eau brune et odorante, déjà signalée impropre à la consommation à certains endroits par l’ARS, lorsque les robinets coulent à nouveau. Les conséquences sanitaires sont manifestes, selon Santé Publique France : épidémie de gastro-entérite, mais aussi risques d’épidémies de choléra, d’hépatite A, de fièvre typhoïde et de poliomyélite. L’agence nationale de santé publique évoque ainsi une « menace sanitaire importante », dans un contexte où l’hôpital de Mayotte manque déjà de soignants.

Mayotte a soif, et l’État regarde ailleurs. Pire, il laisse la situation s’empirer depuis des années. En se retirant progressivement de la gestion de l’eau sans tenir compte des particularités mahoraises, il a transféré des responsabilités et compétences de ce service public aux collectivités territoriales, au syndicat de la Mahoraise des Eaux (SMAE) qui fait l’objet de suspicions de corruption et de favoritisme depuis des années, et à l’entreprise Vinci dont des irrégularités sur leurs activités de travaux ont entraîné la suspension du versement des fonds européens entre fin 2020 et mars 2023. Force est de constater que l’État n’assure plus son rôle de pilote du bon fonctionnement de ce service public depuis des années. Même dans la crise actuelle, vouée à s’aggraver du fait des effets du dérèglement climatique, sa réponse ne suffit pas à protéger l’intégrité physique et psychologique de la population : 34 000 000 de litres par jour vont manquer à l’appel.

Une crise de l’eau aigüe à Mayotte

Depuis la fin de la dernière saison des pluies au mois de mars 2023, les habitants de Mayotte vivent au rythme des coupures d’eau potable organisées par la préfecture sur l’île : de 16h de coupure par jour cet été, à deux jours de coupure sur trois à partir de septembre, jusqu’à un accès de 18h à l’eau courante tous les trois jours depuis le mois d’octobre.
Ces tours d’eau, qui sont régulièrement non respectés et qui ne concernent pas les 18% de Mahorais en grande précarité qui ne sont toujours pas raccordés au réseau, représentent une des solutions mises en place pour économiser une ressource qui s’épuise depuis des années sur une île asséchée.

Revenons sur ce constat. La production de l’eau potable à Mayotte s’organise à partir de ressources superficielles, des ressources souterraines et maritimes.
Pour ce qui est des ressources superficielles, censées répondre à 80% des besoins des usagers (source : CCEEM, mars 2023), Mayotte dépend de deux retenues collinaires et donc des variables pluviométriques. Début octobre 2023, la retenue de Combani était remplie à 13,6% et celle de Dzoumogné à 7%. Selon les dernières informations gouvernementales, « au rythme des prélèvements actuels, la vidange complète des retenues collinaires interviendra à la fin du mois d’octobre. À compter de cette date, le département disposera de moins de la moitié de ses besoins en eau ». Ces retenues collinaires ne se remplissent plus, conséquence d’une sécheresse historique qui a fait perdre à Mayotte l’équivalent de 40% de ses précipitations en 30 ans selon Météo France, mais aussi d’un délabrement des infrastructures de l’eau.
Pour ce qui est des ressources souterraines, 25 forages répartis sur l’ensemble du territoire assurent 17% des besoins des usagers.
Enfin, les ressources maritimes correspondent à l’eau produite par l’usine de dessalement de l’île, assurant aujourd’hui 3% des besoins, en sous-régime à cause d’un défaut de turbidité de l’eau de mer traitée par l’usine et d’une gestion insuffisante des infrastructures. L’État avait pourtant débloqué 4 millions d’euros en 2022 pour soutenir les travaux nécessaires pour régler ce dysfonctionnement et accroître la capacité de production de l’usine, sans que cela n’améliore la situation.

Aujourd’hui, Mayotte est en situation de pénurie au regard des critères déterminant les besoins élémentaires d’un Français, alors que l’eau disponible à Mayotte ne permet d’envisager la fourniture qu’au maximum de 84 l/j par personne. Sur le plan qualitatif, le constat n’est pas meilleur, puisque la majorité des masses d’eau de l’île sont dans un état écologique « mauvais » ou « médiocre », en raison de pollutions multiples notamment liées aux déchets s (source : Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux 2022 – 2027). L’Agence régionale de santé (ARS) continue d’affirmer que l’eau du robinet est potable, tout en multipliant les communiqués de non-conformité de l’eau.

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Les conséquences sanitaires et sociales de cette situation sont déjà manifestes. Selon Santé Publique France, cela a déclenché une forte épidémie de gastro-entérite, qui aggrave aussi le risque d’épidémies de choléra, d’hépatite A, de fièvre typhoïde et de poliomyélite. L’agence nationale de santé publique évoque ainsi une « menace sanitaire importante », dans un contexte où l’hôpital de Mayotte manque déjà de soignants et où 45% des habitants renoncent déjà aux soins (source : INSEE / ARS).

Par ailleurs, cette crise n’est pas seulement sanitaire : la dignité humaine des habitants est aujourd’hui remise en question. Plusieurs écoles et lycées ont été fermés faute d’eau potable pour les élèves et enseignants, impactant gravement le droit à l’éducation dans une île où 58% des personnes sont considérées en situation d’illettrisme ou d’analphabétisme. Les tensions sociales ont aussi repris autour du partage de cette ressource vitale, dans le département le plus pauvre de France. Enfin, les coupures d’eau font gonfler les factures d’eau en faisant circuler de l’air dans les canalisations, sur un territoire où une grande partie de la population vit avec très peu de ressources : 77 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté national, soit cinq fois plus qu’en France, et avec un niveau de vie médian sept fois plus faible qu’au niveau national (source : INSEE).

Pour Racha Mousdikoudine, présidente de l’association Mayotte a soif, « les Mahorais vivent en situation de crise humanitaire ignorée, loin des standards d’un département français, où ils doivent pourtant continuer à remplir leurs obligations professionnelles, citoyennes et personnelles comme si de rien n’était, avec des répercussions sur leur dignité inimaginables pour toute personne qui ne le vit pas ».

Quelques chiffres pour mieux comprendre les besoins en eau à Mayotte :

Pour Henri Smets, membre de l’Académie de l’eau et spécialisé en droit de l’eau, « on pourrait fixer la quantité minimale pour les besoins élémentaires d’un ménage d’une personne à 100 l/jour».

Dans une situation de non-pénurie, la consommation d’eau par jour et par habitant dans une ville comme Montpellier en 2022 est de 165 litres (source : Régie des eaux de Montpellier). La quantité d’eau pour les besoins élémentaires d’un ménage d’une personne est donc située entre 100 et 165 litres par jour et par personne soit entre 0,10 et 0,16 mètre cubes par jour et par personne (m3/j/p). Sur cette base pour une population estimée entre 310 000 à 400 000 personnes à Mayotte, les besoins en eau par jour et par personne se situent entre 35 000 m3 (minimum pour une population officielle sous-estimée) et 64 000 m3 (normal pour une population potentielle réelle). Par conséquent, on peut estimer que la quantité journalière d’eau nécessaire à Mayotte en 2023 est de 44 000 m3, soit 44 000 000 litres, soit 0,141 m3/p.
Au second semestre 2023, la quantité d’eau disponible consommée par jour et par habitant à Mayotte au deuxième semestre 2023 est de 26 000 m3 (source : AFP), soit entre 65 et 84 litres. En temps normal, la ressource en eau à Mayotte par habitant est déjà très faible puisqu’elle se situe à tout juste 100 litres par jour et par personne. Cette quantité minimale par jour et par personne n’est plus assurée depuis le deuxième semestre 2023.

La réponse étatique à la crise, une réaction insuffisante

Face à cette crise, les pouvoirs publics ont été obligés de réagir. Par un arrêté du 19 septembre 2023, les compétences de l’approvisionnement de l’eau potable ont été transférées au préfet du département de Mayotte. Plusieurs mesures ont été annoncées, comme la distribution de bouteilles d’eau aux 50 000 personnes considérées comme les plus vulnérables, à raison d’en moyenne 2 litres par jour par personne en septembre, passées à 28 litres fin septembre. Dans un contexte toujours plus compliqué, le ministre des Outre-Mer Philippe Vigier a indiqué le jeudi 2 novembre, que « l’ensemble des Mahoraises et des Mahorais aura la possibilité d’avoir des bouteilles d’eau » minérale à raison d’un litre par personne et par jour, à partir du 20 novembre. Cela représente quinze millions de litres d’eau en bouteille acheminés chaque mois de la métropole, deux millions en provenance de La Réunion et de l’île Maurice. Ce volume mensuel correspond à moins de la moitié des besoins journaliers des habitants de Mayotte. D’autres mesures ont également été annoncées, comme des investissements pour des travaux, dont 2 millions d’euros pour une station de traitement d’eau.

Pour autant, les besoins à combler au-delà de ses mesures annoncées, dont on ne sait déjà comment le défi logistique que leur déploiement représente sera rempli, révèlent leur insuffisance. Leur chiffrage et leur cadre restent flou, et ne peuvent correspondre à une réponse claire à la sortie de crise et au solutionnement de ses causes à plus long terme (voir infra). Quand bien même elles seraient déployées telles que prévues fin novembre, on estime les besoins restants à combler à 11 000 m3 par jour (nombre de m3 d’eau nécessaire par jour et par habitant à Mayotte en 2023 – nombre prévisionnel de m3 d’eau disponible par jour et par habitant à Mayotte pour fin novembre 2023, après déploiement des mesures annoncées par le gouvernement = 44 000m3 – 27 000 m3 = 17 000 m3). Ce chiffre peut monter à 32 000 m3 si on lui ajoute les pertes engendrées par les fuites et ponctions illégales sur le réseau, voire à 34 000 m3 si on évalue plus justement la capacité produite par les mesures annoncées par le gouvernement (qui se situerait au maximum à 5000 m3 par jour). Soit 34 000 000 de litres manquants par jour. À noter que ces calculs sont effectués sur une estimation des besoins de 310 000 personnes, recensement officiel de l’INSEE, alors même que la Cour des comptes pointait en 2022 qu’il était très probablement sous-estimé, avec une population qui se situerait plutôt autour des 400 000 personnes.

Enfin, ces besoins sont ceux d’une population qui a adopté la sobriété hydrique depuis longtemps, puisqu’elle consomme 5% moins d’eau que la moyenne française (et 14% de moins que celle d’une population hexagonale numérique équivalente de référence comme celle de Montpellier).

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Plusieurs solutions à la crise de l’eau n’ont jamais été prises en compte sérieusement par l’Etat, qui ne semble pas avoir étudié réellement la situation à Mayotte avant de proposer des mesures pour y répondre. Pourtant, elles sont probablement tout aussi efficaces, si ce n’est plus, que des infrastructures plus lourdes et technologiquement coûteuses – forages et usines de dessalement. Citons notamment l’amélioration du service d’assainissement et de traitement des eaux usées, qui réduirait considérablement les pertes en eau et les risques sanitaires. En effet, 45% des ménages mahorais ne disposent d’aucun moyen de traitement des eaux usées (CESE, octobre 2022). Le Comité de l’eau et de la Biodiversité de Mayotte alerte sur les dysfonctionnements de l’assainissement collectif à Mayotte, géré par le SIEAM, notamment parce que les habitations sont peu raccordées au réseau, puisque nombre d’entre elles n’ont pas l’eau courante. Il est donc important de réaliser des travaux pour améliorer l’accès à l’eau courante des Mahorais.e.s, mesure qui, dans le même temps, permettra des pertes moindre en eau.

Une autre solution de plus long terme est de reboiser l’île. En effet, une étude de l’Office nationale des forêts, datant de 2017, et mentionnée par le CESE en 2022, a démontré que la plantation de 100 hectares de forêts à Mayotte augmenterait de 400 000 mètres cubes la disponibilité d’eau dans les rivières en saison sèche. Les forêts, et de manière plus générale la gestion des paysages, ont un impact important sur la qualité de l’eau (capacité filtrante) ainsi que sur le cycle continental (aussi appelé cycle local) de l’eau. Une opération de reboisement des têtes de bassins versants à Mayotte a été lancée en 2021, financée en majeure partie par l’Union Européenne. Les 40 hectares de reboisement prévus entre 2021 et 2024 pour prévenir érosion et ruissellement sont un début, mais ne sont pas suffisants pour inverser la courbe de détérioration des paysages. D’autres mesures, portées par l’Etat en collaboration avec des ingénieurs et des hydrologues, doivent être mises en place afin de lutter contre les sécheresses de plus en plus longues et violentes à Mayotte.

LA RESPONSABILITÉ HISTORIQUE DE L’ETAT ET DE SES SERVICES DÉCONCENTRÉS

Cette crise est née de la plus grave sécheresse que vit Mayotte depuis 1997 mais est la conséquence directe du désengagement de l’État et de l’insuffisance des moyens déployés par les acteurs locaux. Avant même cette aggravation de la crise, les besoins élémentaires (eau potable, assainissement) des habitant.es n’étaient pas encore assurés pour tous et la ressource en eau par personne était très en dessous des besoins estimés. Une situation de déficit qui ne date pas d’hier puisque, depuis 2020, l’eau disponible est inférieure aux besoins, selon un rapport du Comité de l’eau et de la biodiversité, et la direction de l’environnement, de l’aménagement, du logement et de la mer (Dealm).

Une situation vouée à s’aggraver face à la forte croissance démographique (entre 3 à 5% par an) et aux flux migratoires importants. La demande passera ainsi de 44 000 de m3 d’eau en 2023 à environ 60 000 m3 en 2030, près de deux fois la quantité d’eau habituellement disponible aujourd’hui. Cette vulnérabilité sera également exacerbée par les conséquences du dérèglement climatique dont l’impact sur l’Île est connu et évalué par l’administration française depuis longtemps. Celui-ci réduit déjà de façon croissante la pluviométrie, entraîne un réchauffement des températures et une montée des eaux, et renforce l’intensité des cyclones sur l’île.

La situation mahoraise actuelle trahit ainsi un manque d’anticipation cruel de la part de l’État français. Des coupures d’eau sont ainsi organisées depuis 2016 sur l’île pour économiser la ressource, et étaient passées à deux par semaine dès mars 2023. En se retirant progressivement de la gestion de l’eau sans tenir compte des particularités mahoraises, l’État est responsable de la dégradation de la situation. Pour le journaliste Thierry Gadault, « l’île française des Comores et sa population paient les conséquences de l’immobilisme des pouvoirs publics, locaux et nationaux, et d’infrastructures indignes ».

Des acteurs locaux de l’eau, entre insuffisance de moyens et incompétence

À Mayotte, et plus encore depuis la départementalisation de 2011, plusieurs acteurs se partagent ainsi les responsabilités de la gestion de l’eau.
Le réseau de distribution d’eau est géré par le Syndicat intercommunal des eaux (le SIEAM, rebaptisé depuis SMEAM), fortement critiqué depuis des années pour son fonctionnement interne et ses dépenses. Ces dysfonctionnements affaiblissent encore le système de distribution, déjà défaillant : un tiers de l’eau collectée serait perdue à cause des fuites, du fait des infrastructures, des dégradations lorsque la distribution est réactivée ou de ponctions illégales. Au deuxième semestre 2023, près de 15 000 mètres cubes d’eau par jour étaient ainsi perdus contre 20 000 mètres cubes effectivement produits.

Le 4 août 2018, un an après la première grave crise de l’eau, la chambre régionale des comptes (la CRC) sort un rapport sur le SIEAM de Mayotte qui provoque un électrochoc. Après avoir pointé un problème de gouvernance caractérisé par « une forte concentration des pouvoirs du président », elle dénonce « le pilotage du syndicat, tant sur le plan administratif que sur le plan opérationnel, [qui] est inefficace ». L’absence d’un dispositif de contrôle interne et de gestion nuit au suivi de son activité et le syndicat est connu pour ses pratiques de découpage des appels d’offres de façon à éviter la mise en concurrence. L’ensemble de ses constatations explique en partie les difficultés financières et de gestion opérationnelle des investissements. La CRC n’en reste pas là puisqu’elle fait également un signalement au procureur, ayant détecté des faits potentiellement délictueux dans la gestion du syndicat.

De plus, le Parquet national financier (PNF) a ouvert une enquête en mars 2020 pour usage inapproprié des deniers publics. Au centre des soupçons se trouvent Moussa Mouhamadi, président du Sieam entre 2014 et 2020, des élus locaux et des entreprises pour délits de « favoritisme », « recel et complicité de favoritisme », « détournements de fonds publics », « corruption passive par personne chargée d’une mission de service public ». Pour se défendre, Moussa Mouhamadi avance que les décisions prises devaient être validées par le préfet depuis 2017, renvoyant la responsabilité de la situation à l’État.

Au-delà de la responsabilité du syndicat, plusieurs élus du conseil départemental, des fonctionnaires de la direction de l’environnement, de l’aménagement du territoire et du logement, ainsi que des fonctionnaires responsables de la gestion de l’eau et de la préfecture ont été condamnés pour corruption et prises illégales d’intérêts.

Ce problème de corruption généralisé n’arrange pas l’état d’un service public dysfonctionnel, une problématique aggravée par la départementalisation de 2011. En effet, au-delà de la question du manque ou de la mauvaise utilisation des investissements, se pose celle des défaillances techniques des collectivités qui ne sont pas en capacité d’assurer le pilotage et la gestion technique de tels projets.

Le désengagement fautif de l’État

La catastrophe que subissent les Mahorais.e.s aujourd’hui est le résultat d’une succession d’échecs politiques et d’une inaction étatique flagrante. Moins de la moitié des mesures annoncées en 2017, dans le plan d’urgence construit lors de la dernière grave crise de l’eau, n’avaient été engagées ou terminées qu’en 2022. Ces mesures annoncées entraient en contradiction avec l’esprit de la loi finances 2018 pour les Outre-Mer qui annonçait une perte de près de 84 millions d’euros d’engagements de l’État pour Mayotte, donnant à l’île la position du territoire ultramarin souffrant le plus du désengagement de l’État.

Bien que les sources officielles s’acharnent à répéter que « l’eau, c’est la compétence des élus locaux », comme Philippe Vigier, ministre délégué aux Outre-Mer, l’État porte une responsabilité importante dans la crise actuelle au-delà des réponses immédiates insuffisantes (voir supra). L’enquête du Monde révèle comment celui-ci est complice au travers d’une délégation de service public à une filiale de Vinci, la Société Mahoraise des Eaux (SMAE), aux nombreux conflits d’intérêts et coupable de non-respect de contrats. Parmi les documents révélés, on relève notamment un courrier de la préfecture mahoraise adressé au Sieam sur les deux nouvelles unités de dessalement prévues en 2017 : « il est impératif de rendre opérationnelles ces unités de production au plus vite. Il a été convenu que le Sieam confiera cette opération à son délégataire, le SMAE, par voie d’avenant au contrat de délégation de service public de production d’eau potable ». Les travaux d’extension sont alors confiés à une autre filiale de Vinci, Sogea-Vinci Construction.

Cependant, le syndicat reproche à la SMAE d’encaisser des marges excessives sur ces travaux dès 2018, fait confirmé par la décision de la CRC. Un document cité par le Monde montre que, tandis que la part reversée au syndicat passe de 45 à 27% de 2008 à 2018, les recettes de la filiale augmentent de 11 à 25,8 millions d’euros. De plus, Vinci prend du retard sur les travaux d’extension, ne remplissant pas ses objectifs de contrat, ne cherchant pas à se justifier autrement que par « des difficultés techniques ». Face aux critiques du syndicat, Vinci menace de réclamer 30 millions d’euros en cas de rupture de contrat. Cette situation conduit la direction de l’audit de la Commission européenne à dénoncer, en 2020, « un conflit d’intérêts non déclaré ou insuffisamment atténué », pointant la SMAE fut partie prenante lors de l’attribution du marché à Sogea, deux filiales de Vinci faisant partie du même groupe. Cette dénonciation aboutit à une suspension des fonds européens du projet jusqu’en mars 2023, nouvel obstacle dans la poursuite des travaux.

Les défaillances des acteurs locaux connues par l’administration, les conflits d’intérêts et le non-respect des s par Vinci poussé sur ce marché par l’État sont sans équivoques sur le rôle du désengagement étatique dans cette crise et du général laissez-faire de l’État face à une situation qui réclame des mesures d’urgences exceptionnelles. L’État est pourtant censé être le garant des droits fondamentaux de ces concitoyens. Cette crise, qui apparaît légitimement comme un scandale, continue pourtant face à l’indifférence politique et à l’isolement médiatique.

Photo : Mayotte Hebdo

L’EAU : UN DROIT FONDAMENTAL

 Droit à l’eau et droits fondamentaux face à la pénurie mahoraise

Pourtant, l’eau n’est pas qu’un service public relevant de telle ou telle compétence administrative : c’est un droit fondamental, reconnu en droit international comme en droit français. Ce droit semble rester théorique à Mayotte, comme dans d’autres territoires d’Outre-Mer, faute d’une véritable volonté politique et d’instruments adaptés pour garantir sa mise en œuvre. Cette situation est révélatrice d’une attitude discriminatoire de l’État Français envers ces territoires : jamais on ne pourrait imaginer en France hexagonale qu’un département puisse connaître une telle pénurie d’eau sans que l’État n’en fasse une priorité absolue.

Au niveau international, les droits humains à l’eau potable ont ainsi été reconnus dès 2010 par l’Assemblée Générale des Nations Unies (résolution 64/292) : « le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit de l’homme, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme ». Il y est demandé aux États notamment « d’apporter des ressources financières, de renforcer les capacités et de procéder à des transferts de technologies, grâce à l’aide et à la coopération internationales, en particulier en faveur des pays en développement, afin d’intensifier les efforts faits pour fournir une eau potable et des services d’assainissement qui soient accessibles et abordables pour tous ». Par ailleurs, l’accès « universel et équitable » à l’eau d’ici 2030, en particulier pour les personnes vulnérables, fait désormais partie du sixième Objectif de Développement Durable (6.1).

Dans le cadre européen, en 2012, la Commission a lancé son plan d’action pour la sauvegarde des ressources en eau de l’Europe, stratégie à long terme qui vise à garantir la disponibilité d’une eau d’une qualité suffisante.

En France, un droit à l’eau fut introduit en 2006 dans le Code de l’environnement et prévoit que « chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable, dans des conditions économiquement acceptables par tous » (art. L. 210-1). Si ce droit à l’eau devrait être opposable en lui-même, comme le recommande le CESE, le droit à l’eau potable peut aussi être considéré comme partie du droit fondamental à un environnement sain, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’homme, à valeur constitutionnelle depuis 2005 et reconnu comme liberté fondamentale par le Conseil d’État depuis 2022.

Par ces implications, la situation mahoraise contrevient aussi au droit à la vie, à la vie privée et familiale et à la dignité humaine, aux droits de l’enfant à l’éducation, ainsi qu’au droit à la santé.

Mayotte, le cas symptomatique d’une situation discriminatoire

Ce droit semble rester théorique à Mayotte, comme dans d’autres territoires d’Outre-Mer, faute d’une véritable volonté politique et d’instruments adaptés pour garantir sa mise en œuvre. Cette situation est révélatrice d’une attitude discriminatoire de l’État Français envers ces territoires ultramarins : jamais on ne pourrait imaginer en France hexagonale qu’un département puisse connaître une telle pénurie d’eau sans que l’État n’en fasse une priorité absolue.

Dans son avis relatif à l’accès à l’eau du 25 octobre 2022, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) constate ainsi que « l’accès à l’eau potable n’est pas garanti dans de nombreux territoires ultramarins ». La Coalition eau rappelle le constat d’un rapport de 2013 du CGEDD : les Outre-Mer auraient « 40 ans de retard dansla mise en œuvre de la politique de l’eau et d’assainissement ». Les habitants d’une majorité de ces territoires sont ainsi régulièrement confrontés à des problèmes quantitatifs et qualitatifs liés à l’eau potable et à des problèmes de surtarification ; alors même qu’ils sont par ailleurs plus vulnérables que le territoire hexagonal et que certaines de ces problématiques, comme les pollutions de l’eau par le pesticide chlordécone dans les Antilles françaises, sont elles-mêmes dues à des politiques discriminatoires historiques. Par la rupture d’égalité qu’elle induit entre deux territoires d’un même pays, cette situation caractérise une situation de discrimination territoriale environnementale claire. En commençant par la crise mahoraise, il est temps que l’État prenne ses responsabilités et garantisse un accès à l’eau potable en qualité satisfaisante à l’ensemble de ces citoyens, dont font partie les habitants des territoires d’Outre-Mer.

Notre Affaire à Tous et Mayotte a soif déposent un référé-liberté au tribunal administratif de Mayotte pour :
1- Faire reconnaître l’impact de la crise sur les droits fondamentaux des Mahorais : droit à l’eau, droit à l’éducation, droit à la santé, droit à un environnement sain. Cela doit passer par un diagnostic des surcoûts engendrés par la crise de l’eau, des discriminations engendrées par la crise et les réponses à celle-ci, des impacts sur l’éducation des enfants, sur l’impact environnemental de la crise…
2- Imposer à l’État et à ses services le déclenchement du plan d’urgence censé répondre à la crise : le plan ORSEC eau potable, obligatoire pour tous les départements depuis 2020 et censé planifier et organiser les réponses aux crises les plus graves.
3- Rétablir au plus vite la fourniture d’eau potable pour tous, en qualité et quantité suffisante, en priorité au sein des établissements scolaires et de santé. Des mesures précises et chiffrées doivent être prévues pour combler au plus vite les besoins restants de la population, qu’on peut estimer à 34000 m3 par jour, soit 34 000 000 litres. Plusieurs solutions techniques sont envisageables à court, moyen et long terme, et doivent être sollicitées. 4- Savoir comment l’État compte gérer la crise sanitaire imminente déclenchée par la crise de l’eau actuelle, en commençant par établir un diagnostic des impacts sanitaires de la crise sous 6 mois.

Source : Notre affaire à tous

Photo d’en-tête : © Raïnat Aliloiffa /Mayotte Hebdo

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