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Déforestation

Ces banques françaises qui financent la destruction des forêts mondiales

Crédit Agricole, BNP, Natixis ont injecté 2 milliards d’euros dans la déforestation

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D’après les données analysées par l’ONG Global Witness, entre 2013 et 2019, le secteur financier français a financé cinq des six entreprises agro-industrielles les plus nocives directement ou indirectement impliquées dans des activités de déforestation dans les trois plus importantes forêts tropicales du monde, à savoir l’Amazonie brésilienne, le bassin du Congo et la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Ce soutien, à hauteur de près de 2 milliards d’euros, fait de la France le deuxième plus gros contributeur de fonds à ces entreprises dans toute l’Union européenne.

Les incendies de l’Amazonie brésilienne de l’été dernier ont cruellement illustré la guerre que l’humanité peut mener contre la planète. Bien que plus discrètes, des scènes similaires se déroulent chaque année dans les forêts tropicales de la planète pour faire place aux activités des grandes entreprises agro-industrielles, loin des regards horrifiés des téléspectateurs du monde entier. Ces forêts constituent pourtant la première ligne de défense de la planète contre le dérèglement climatique. Une étude célèbre, publiée en 2017, estime que les forêts et autres écosystèmes pourraient contribuer, d’ici 2030, à plus d’un tiers de la réduction totale des émissions de carbone nécessaire pour limiter le réchauffement planétaire à une hausse de 2° Celsius.

Plus de 300 millions d’hectares de couvert forestier ont malgré tout été détruits entre 2001 et 2015, soit presque la taille de l’Inde. Selon une étude récente, environ un quart de cette perte est imputable à des productions de base telle que l’huile de palme et l’élevage intensif de bœufs. Cette étude a également révélé que, en Asie du sud-est, la déforestation liée au développement de commodités comme l’huile de palme est responsable de la disparition de 78 % du couvert forestier.

Face à une opinion publique choquée par les images de la déforestation, il n’est pas étonnant que nombre de banques et d’investisseurs brandissent fièrement des politiques éthiques en matière de relations d’affaires, dans lesquelles ils s’engagent à ne pas financer des entreprises qui détruisent et brûlent de précieuses forêts tropicales. Seulement, ces mêmes institutions financières enfreignent souvent sans aucune limite leurs propres promesses.

L’enquête menée par l’ONG spécialisée dans la lutte contre le pillage des ressources naturelles, Global Witness, révèle à présent l’échelle et l’ampleur de ces flux financiers – et comment des pans entiers de la finance mondiale encouragent la destruction des plus grandes forêts tropicales du monde.

A l’heure actuelle, des entreprises qui abattent des forêts pour produire de l’huile de palme, du bœuf et du caoutchouc peuvent faire financer de nouveaux projets à des taux attractifs proposés par de grands centres bancaires aux États-Unis, en Europe et en Asie. Global Witness a enquêté sur le financement de six grandes entreprises agro-industrielles : trois opérant en Amazonie, deux dans le bassin du Congo et une en Nouvelle Guinée.

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Global Witness a découvert qu’entre 2013 et 2019, elles ont été financées à hauteur de 44 milliards de dollars par plus de 300 sociétés d’investissement, banques et fonds de pension basés aux quatre coins du monde.  Certains des plus grands noms de la finance mondiale – parmi lesquels Barclays, Deutsche Bank, HSBC, Santander et Standard Chartered – ont, entre 2013 et 2019, financé à hauteur de dizaines de milliards de dollars des entreprises participant directement ou indirectement à la déforestation des plus grandes forêts tropicales du monde. De grandes banques d’investissement, dont JPMorgan Chase, Goldman Sachs, Bank of America et Morgan Stanley, sont également impliquées. Les banques françaises ne sont pas en reste : trois de ses principaux fleurons ont financé la déforestation à hauteur de 2 milliards de dollars.

Devoir de vigilance

En mars 2017 la France a promulgué une loi pionnière sur le devoir de vigilance. Celle-ci exige des entreprises françaises, y compris des banques, qu’elles identifient, atténuent et préviennent les violations des droits humains et les dommages environnementaux dans le cadre de leurs opérations.

Or malgré cette loi, trois banques françaises – BNP Paribas, Natixis et le Crédit Agricole – soutiennent des entreprises opérant dans des activités de déforestation. C’est ce que révèle l’ONG Global Witness, dans un rapport qui vient d’être publié. Ces banques affichent une vertu en façade mais financent, en coulisse, la destruction des plus grands massifs forestiers du monde.   

BNP Paribas a signé en 2015 un engagement « zéro-déforestation nette à l’horizon 2020 » relatif au financement des secteurs de l’huile de palme, du soja, du bois d’œuvre et du bœuf au titre de la Banking Environment Initiative. Crédit Agricole dispose aussi d’une politique couvrant la déforestation, sans pour autant s’être fixé d’échéance en matière d’objectifs zéro-déforestation, et se limitant à deux commodités présentant un risque pour les forêts. Natixis déclare quant à elle avoir une politique interne en matière d’huile de palme, les communautés et parties prenantes affectées ne connaissant donc pas les engagements exacts de la banque.

Les banques françaises font partie des entreprises couvertes par la loi de mars 2017. Celle-ci exige que les banques rendent compte des mesures qu’elles prennent pour gérer tout risque que les financements qu’elles octroient contribuent à la déforestation. Or, depuis l’adoption de cette loi, les trois banques françaises examinées n’ont toujours pas rendu compte publiquement, dans leurs « plans de vigilance » annuels, des risques identifiés spécifiquement posés par des entreprises exposées, impliquées dans ou liées à la déforestation et aux violations des droits humains associés.

BNP Paribas et la déforestation au Brésil

BNP Paribas est le numéro un du secteur bancaire français et le numéro deux dans l’Union européenne. Selon l’ONG, cette banque entretient des liens financiers avec plusieurs entreprises dont les opérations présentent des risques élevés de déforestation.

BNP Paribas fait ainsi partie des banques ayant coordonné une « obligation de transition » de 500 millions de dollars US pour Marfrig, le négociant brésilien en bœuf, en juillet 2019. Cette opération est intervenue alors que la déforestation dans l’Amazonie s’accélère rapidement, au profit de nombreux acteurs exploitant la forêt à des fins d’élevage ou pour l’industrie bovine plus largement.

Les analystes de l’ONG ont documenté aussi le rôle de BNP Paribas comme « Joint Lead Manager » dans la souscription d’une obligation d’un milliard de dollars US en mai 2019 pour la filiale de Marfrig, NBM US Holdings. Cette opération est concomitante d’une multiplication des menaces sur les droits humains à travers le Brésil. Dans ce contexte, l’on attendrait des banques et autres acteurs la mise en place d’une diligence raisonnée plus solide.

Toujours selon le rapport, en novembre 2019, BNP Paribas gérait des obligations de Sinochem International d’un montant d’un million de dollars US. Sinochem est l’actionnaire majoritaire de Halcyon Agri. D’après Greenpeace, en 2016, Halcyon Agri a pris le contrôle de plantations de caoutchouc au Cameroun, sur des terres ayant fait l’objet de déforestation dans le passé, pour ensuite défricher 2 300 hectares de terres supplémentaires d’avril 2017 à avril 2018. Ce projet a également été critiqué en raison de son impact sur les communautés tribales des forêts de la région – y compris les peuples autochtones forestiers des Baka  – qui auraient été contraints de partir de chez eux et se seraient vu refuser l’accès à leurs terres coutumières.

Natixis au Gabon

En 2019, la banque d’investissement française Natixis a contribué à hauteur de 50 millions de dollars US à une facilité de crédit renouvelable syndiquée de trois ans destinée à l’un des plus importants groupes agro-industriels au monde, Olam International. Et ce, malgré l’existence d’un rapport établi en 2016 par l’ONG Mighty Earth qui calcule que, depuis 2012, Olam a déboisé des forêts d’une superficie approximative de 20 000 hectares au Gabon. Olam continue d’exploiter la plantation sur les terres qu’elle a défrichées.

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« Nous réfutons fermement les allégations concernant une déforestation irresponsable ou conversion de terres« , a affirmé à l’AFP un porte-parole d’Olam. Il a précisé que son groupe travaillait étroitement avec le Gabon pour trouver « un équilibre entre les besoins de développement et l’impératif de préserver les forêts« .

Crédit Agricole au Cameroun

Crédit Agricole a décidé de conclure une relation d’affaires avec l’entreprise de caoutchouc Halcyon Agri malgré la déforestation engendrée par ses opérations au Cameroun. Crédit Agricole apparaît comme le « principal banquier » dans le rapport annuel 2018 de Halcyon Agri. La banque a également joué le rôle de « Joint Lead Manager » sur une obligation de 300 millions de dollars US pour l’actionnaire majoritaire de Halcyon, le groupe chinois Sinochem en juillet 2017, par laquelle il a directement fourni des services de souscription d’un montant de 10 millions de dollars US.

Interrogée sur ces activités, la banque a déclaré à Global Witness que Sinochem participait à des initiatives de durabilité. La banque a affirmé que Halcyon Agri avait répondu aux problèmes anciens « avec la publication d’une politique de responsabilité d’entreprise en mars 2016 et d’une politique relative à la chaîne d’approvisionnement durable en caoutchouc naturel, ainsi qu’à travers la conclusion de différents partenariats avec des ONG et un processus d’engagement des parties prenantes ».

Changer d’urgence les comportements

La France est pourtant l’un des rares pays à avoir d’ores et déjà reconnu le rôle de sa propre consommation et de ses investissements dans l’aggravation de la déforestation, et elle s’est engagée à y faire face en adoptant une Stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée. À ce titre, la France s’est notamment engagée à rendre les financements responsables et à inciter les acteurs de la finance à intégrer systématiquement la lutte contre la déforestation dans leurs politiques et stratégies d’investissement. Mais ces initiatives, stratégies et législation doivent désormais être suivies de mesures urgentes et ambitieuses pour transformer le comportement des entreprises.

Il y a urgence. Sonia Guajajara, coordinatrice exécutive du réseau des Peuples autochtones du Brésil lance un appel de détresse : « Ces dernières années, les dangers auxquels ont dû faire face les peuples autochtones de l’Amazonie et l’ensemble des biomes du Brésil se sont aggravés. L’agro-industrie est un moteur considérable de déforestation en Amazonie et est à l’origine d’un nombre croissant de menaces à l’encontre des communautés autochtones qui, à travers leur mode de vie, protègent les forêts. On nous fait taire, on nous menace, on nous emprisonne et même, on nous tue. Nos forêts sont les forêts de la planète et le monde court à leur destruction. Nous devons agir ensemble, et il ne nous reste plus de temps. La finance internationale alimente la destruction de nos forêts, de nos maisons, de nos cultures. L’année dernière, nous nous sommes rendus dans douze pays européens afin de lancer un avertissement sur la situation actuelle au Brésil et de réclamer des mesures urgentes pour lutter contre ce barbarisme. Il est primordial que les gouvernements européens adoptent une législation pour garantir que leurs banques et leurs entreprises ne soutiennent pas cette destruction. »

D’après le GIEC, nous n’avons plus que onze ans pour éviter que le changement climatique ne s’emballe et devienne irréversible. Pour éviter ce point de non-retour, nous devons maintenir nos forêts en vie car leur destruction est le moteur majeur des émissions de gaz à effet de serre. Les forêts n’ont pas à être détruites pour que l’agro-industrie puisse cultiver la terre et élever du bétail. Nous n’avons pas à choisir entre la protection des forêts et la production de denrées alimentaires. Ce serait une vision de court terme de le faire.

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