Et si nous avions trouvé « la manière la moins chère et la plus ingénieuse pour combattre le réchauffement climatique qui impacte les forêts de nos jours » ? C’est en tout cas le pari d’un jeune ingénieur américain, Topher White, qui, avec l’aide de sa startup RainForest Connection (RFCx) implantée à San Francisco, a créé un système d’alerte en temps réel, sur la base de téléphones recyclés, destiné à protéger les forêts tropicales affectées par l’exploitation illégale et le braconnage.
Dans le cadre de l’initiative mondiale Call to Earth lancée par CNN, Topher White, spécialiste de la conservation et lauréat du prix Rolex en 2019, raconte au micro de Richard Quest, journaliste CNN, comment il a pu mettre en place un système d’alerte en temps réel, sur la base de téléphones recyclés, qui permet d’enregistrer depuis les arbres les bruits de la déforestation et de l’exploitation illégale des forêts et lutter contre les tronçonneuses et camions des braconniers.
Les bruits de la forêt tropicale : gazouillis des oiseaux, bourdonnement des insectes, bavardage des singes, … grondement des tronçonneuses.En visitant une réserve de gibbons en Indonésie durant l’été 2011, Topher White a été frappé par les bruits de la forêt tropicale : les gazouillis des oiseaux, le bourdonnement des insectes, le bavardage des singes, …Mais ce que l’ingénieur américain ne pouvait pas entendre, c’était le grondement des tronçonneuses et le bruit des bûcherons illégaux qu’il savait être en train de démolir sans relâche les arbres, mettant ainsi en danger l’habitat naturel des gibbons.
Cela lui a donné une idée : Et s’il pouvait modifier de vieux téléphones portables et créer un appareil capable d’écouter les bruits de destruction – et alerter instantanément les gardes forestiers du lieu ?
Topher White explique : « Lors d’un volontariat environnemental dans une réserve naturelle en Indonésie il y a quelques années, j’ai été surpris de voir des personnes abattre des arbres. J’ai réalisé qu’il était vraiment dommage que l’organisation pour laquelle je travaillais ne puisse pas s’en rendre compte et entendre les tronçonneuses. Nous n’avions pas d’électricité, d’eau courante, de route… mais nous avions du réseau. J’ai donc eu l’idée d’utiliser d’anciens téléphones portables et de créer un appareil capable de détecter les bruits de destruction et d’alerter instantanément les gardes forestiers quant aux lieux où ces exactions sévissent. »
Un an plus tard, White retourne dans la forêt tropicale indonésienne pour tester sa création. Non seulement son appareil fonctionne, mais il affirme que son équipe a débusqué en mois de 48 heures un groupe de bûcherons illégaux.
Des dispositifs de détection puissants
Grâce à son association Rainforest Connection, Topher White reconditionne de vieux smartphones Android dans des boîtes en plastique recyclées, équipées d’un microphone supplémentaire, d’une batterie et de panneaux solaires. Les appareils assemblés ressemblent à des fleurs mécaniques et sont fixés à des arbres situés en hauteur dans la canopée, souvent jusqu’à 50 mètres.
« On a recours à de vieux smartphones capables d’enregistrer des bruits qui résonnent dans un périmètre de 1,5km, ce qui représente une surface conséquente dans une forêt… Nos appareils enregistrent tous les sons de la forêt tropicale et les transmettent ensuite au cloud où notre logiciel fonctionne avec différents types d’IA pour détecter toutes sortes de choses, comme des tronçonneuses, des camions d’exploitation forestière, des gens, des coups de feu. Nous pouvons ensuite envoyer des alertes en temps réel par le réseau cellulaire aux locaux sur place. »
Les téléphones recyclés utilisent les réseaux de téléphonie mobile existants qui, selon White, sont disponibles même au plus profond de la jungle. Ils enregistrent des sons 24 heures sur 24. Une fois que les Rangers reçoivent l’alerte sur leur propre téléphone, ils peuvent déterminer si l’activité est suspecte en fonction de son emplacement, explique Topher White. Rainforest Connection dispose désormais de plus de 150 dispositifs actifs utilisés par des partenaires locaux pour protéger des zones de forêt tropicale dans cinq pays, dont le Pérou, le Cameroun et le Brésil.
La détection de l’exploitation forestière illégale s’appuie généralement sur des enquêtes aériennes ou des satellites, qui peuvent prendre des jours ou des semaines pour alerter les gardes forestiers de la perte de couverture forestière, ainsi que sur des patrouilles de gardes forestiers. Rainforest Connection affirme que ses téléphones sont une alternative plus rapide et moins chère. Mais la technologie est confrontée à ses propres défis, parfois même à ceux de la nature.
« On n’apprécie jamais vraiment à quel point la forêt est vivante tant qu’on ne voit pas comment les insectes peuvent envahir l’environnement », a déclaré Topher White, donnant l’exemple d’une installation au Pérou où « tout allait bien avec les appareils jusqu’à ce que nous nous rendions compte qu’il y avait une sorte de termite qui adorait démonter tous les types de plastique ».
Gardiens de la forêt … et de la planète
Les forêts abritent 80 % des espèces terrestres du monde, plus d’un milliard de personnes en dépendent pour leur subsistance et elles peuvent contribuer à atténuer le changement climatique en absorbant le dioxyde de carbone. Mais le WWF estime que nous perdons 75 000 km2 de forêts par an, soit l’équivalent de 27 terrains de football chaque minute.
L’ONU estime que la déforestation et la dégradation des forêts sont responsables d’environ 11 % des émissions mondiales de carbone.
Pour Topher White, « Chaque kilomètre carré que vous pouvez éviter de déboiser équivaut à retirer mille voitures de la route pendant un an. Compte tenu des millions de kilomètres carrés qui existent, c’est probablement le moyen le moins cher de freiner le changement climatique ».
Mais la destruction illégale des forêts continue d’être lucrative. Un rapport de l’ONU et d’Interpol estime que le commerce mondial de bois illégal représente entre 30 et 100 milliards de dollars par an. La déforestation commence souvent par la vente de bois, mais elle comprend également le défrichement de la forêt pour l’agriculture et les habitations.
« C’est tellement rentable qu’ils vont couper des routes à travers la forêt pour extraire du bois à prix élevé et ces routes deviennent la porte d’entrée pour beaucoup plus de déforestation », explique Topher White. « Si vous pouvez arrêter les routes, vous pouvez arrêter la déforestation à grande échelle. »
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Renforcer l’autonomie des groupes indigènes
Au lieu de s’associer avec des gouvernements, Rainforest Connection souhaite travailler avec d’autres organisations à but non lucratif, des tribus et des communautés locales.
« Toute solution de conservation est locale », explique Topher White. « Bien qu’une grande partie de notre travail fasse appel à la technologie, il est juste de dire qu’il faut tout autant travailler à la création de communautés et à l’adaptation de notre travail à différents endroits ».
Les peuples autochtones gèrent au moins un cinquième du carbone présent dans les forêts tropicales et subtropicales, selon l’Initiative pour les droits et les ressources, une coalition mondiale qui travaille pour les droits des peuples autochtones.
Le rôle des communautés est crucial dans la préservation des forêts.Le rôle des communautés est crucial dans la préservation des forêts et « la technologie ne suffit pas à elle-même. Une fois l’alerte donnée, c’est notre devoir que de créer des partenariats avec des tribus, des communautés locales et des ONG, qui peuvent nous aider à faire la différence. Pour lutter contre la déforestation et l’exploitation forestière illégale, je pense que ces personnes, une fois averties, peuvent avoir un impact bien plus important qu’une douzaine d’ingénieurs de chez Tesla. »Cependant, la protection des forêts peut être dangereuse. « C’est une chose très effrayante pour les populations qui y vivent », confie Topher White. « Dans toute l’Afrique et l’Amérique latine, il s’agit de vastes opérations de marché noir extrêmement rentables, la violence n’est donc pas rare. Et il est moins risqué d’affronter les bûcherons au début de l’exploitation forestière, car ils peuvent faire demi-tour et partir sans qu’un crime ait été commis. Plus vite les gens réagiront, plus vite ils pourront arrêter le camion en route ou la tronçonneuse au moment où elle s’éteint. Les enjeux sont bien moins importants pour les bûcherons et pour les personnes qui les arrêtent. Et, comme l’exploitation forestière illégale dépend de la capacité à opérer sous couverture, les organisations sont réticentes à retourner dans les zones qu’elles savent être sous surveillance. »
Protéger la biodiversité
Outre la lutte contre l’exploitation forestière illégale, l’ONG se lance dans ce que l’on appelle la « bioacoustique » : elle crée une bibliothèque numérique de données acoustiques brutes, qu’elle espère utiliser à des fins de conservation.
Topher White explique que « Jusqu’à présent, nous avons recueilli plus de 100 ans de données audios en continu, pour tous ces endroits incroyables où la nature est très sauvage, où personne ne va. De la même façon que nous utilisons l’IA et le machine learning pour choisir les tronçonneuses, nous construisons des outils pour rechercher différents animaux et espèces. Cela n’a pas encore été étudié en masse mais la bioacoustique est véritablement une révolution aussi significative que l’invention du microscope, quand il s’agit de comprendre l’écologie et la nature. »
Richard Quest, journaliste CNN
Cet article est publié dans le cadre de l’initiative Call to Earth de CNN International dont UP’ est partenaire média. Cette initiative est destinée à rendre compte des défis environnementaux auxquels notre planète est confrontée, ainsi que des solutions.
Première publication dans UP’ Magazine : 25/02/20