Sous le plancher d’un véhicule électrique se trouve une batterie de plus de 400 kg remplie de minéraux extraits du monde entier. Des millions de tonnes de lithium, de cobalt, de bauxite et d’autres minéraux sont extraits, traités, expédiés et raffinés, parfois au prix de violations des droits de l’homme et de l’environnement. Certains vont même à penser que les moteurs à combustibles fossiles ont l’air en comparaison plus vertueux. Certes, personne ne veut rouler avec du cobalt extrait par le sang et les larmes. Mais cette exploitation minière annule-t-elle les avantages climatiques et environnementaux des véhicules électriques (VE) par rapport à l’essence ?
Michael Coren a étudié pour le Washington Post l’évolution des chaînes d’approvisionnement mondiales pour l’économie des énergies propres. Dans tous les scénarios, il s’avère que la demande de minéraux pour les batteries représente une infime partie des quantités de combustibles fossiles actuellement nécessaires pour alimenter le monde en énergie.
Certes, tout ne se mesure pas en tonnes. Pour que les véhicules électriques (VE) tiennent leurs promesses en matière d’énergie propre, ils doivent éviter de répéter les erreurs de la première révolution industrielle. La technologie étant encore jeune, les mineurs et les fabricants ont encore de la marge pour adopter des méthodes plus propres leur permettant d’obtenir les matériaux dont ils ont besoin et récupérer une plus grande partie de ce qu’ils utilisent.
Comment les VE et les voitures à essence se comparent.
Presque toutes les voitures nécessitent de l’acier, de l’aluminium, du cuivre, du plastique, du caoutchouc et du verre. Ce qui différencie le plus les VE des véhicules conventionnels, ce sont leurs batteries. Un véhicule électrique d’une autonomie de 300 km est équipé d’une batterie lithium-ion qui représente près d’un tiers du poids du véhicule. Le poids des batteries d’une Tesla S (430 à 600 kg), c’est le poids de la 2 CV de jadis (500 kg). Les batteries de Zoe pèsent 326 kg. Une grande partie de ce poids correspond au boîtier de la batterie, aux matériaux de structure et à l’électrolyte liquide qui fait circuler les électrons pour charger et décharger la batterie.
Cependant, près de 160 kg sont des minéraux ou des métaux cruciaux, notamment le cobalt, le nickel, le manganèse, le graphite, l’aluminium et le cuivre, estime Transport and Environment, une organisation non gouvernementale qui fait campagne pour des transports plus propres. Sans compter l’acier et l’aluminium, précise le MIT, un VE nécessite six fois plus de minéraux qu’un véhicule conventionnel.
Nous aurons besoin d’une augmentation massive de ces matériaux dans les années à venir. Les ventes mondiales de VE devraient dépasser les ventes de véhicules à essence dans un peu plus d’une décennie. Quasiment tous les constructeurs automobiles se sont engagés à électrifier leur gamme. L’Union européenne interdisant la vente de la plupart des nouveaux véhicules à carburant fossile d’ici à 2035, la grande majorité des nouveaux véhicules de tourisme seront probablement électriques bien avant le milieu du siècle. Il faudra donc développer les mines actuelles et en lancer de nouvelles.
« Le volume est important et il va devenir très important », déclare Gerbrand Ceder, professeur de science des matériaux à l’université de Californie à Berkeley. Les gigafactories qui voient le jour dans le monde entier pour fabriquer des batteries mettent déjà à rude épreuve le volume de minerais énergétiques propres que l’industrie minière peut produire.
L’extraction de minéraux n’est jamais une affaire propre. Le cobalt provient du Congo, le lithium et le graphite de Chine, le nickel d’Indonésie et de Russie, et les chaînes d’approvisionnement des batteries passent par le Xinjiang, dans la région ouïgoure où le travail forcé est endémique. La Guinée, qui abrite les plus grandes réserves mondiales de bauxite pour l’aluminium, apporte la misère aux communautés locales. En Indonésie, les raffineurs de nickel adoptent une technologie risquée. Les mineurs d’Afrique du Sud, premier producteur mondial de manganèse, sont confrontés à des maladies neurologiques. Ces problèmes environnementaux et sociaux sont réels. Mais comparés au bilan de l’industrie du pétrole, du gaz et du charbon, ils ne sont qu’une goutte d’eau dans l’océan.
L’extraction pétrolière éclipse l’exploitation minière
Pour comparer les VE aux véhicules conventionnels, il faut d’abord se pencher sur la quantité de matériaux que nous extrayons du sol pour les fabriquer et les alimenter. L’extraction de minéraux pour l’économie des énergies propres se mesure en millions de tonnes par an. Pour l’extraction des combustibles fossiles, ce chiffre représente à peine une erreur d’arrondi.
En 2020, la construction d’éoliennes, de panneaux solaires, de VE et d’autres infrastructures d’énergie propre nécessitera 7 millions de tonnes de minéraux, estime l’Agence internationale de l’énergie. Près de la moitié de cette quantité est destinée aux batteries et aux véhicules électriques. En revanche, l’industrie du pétrole, du gaz et du charbon a extrait l’équivalent de 15 milliards de tonnes métriques en 2019. Et l’industrie devra continuer à en extraire année après année pour continuer à fournir de l’énergie. Les technologies d’énergie propre peuvent utiliser ces matériaux pendant des décennies ou, s’ils sont recyclés, à perpétuité.
« C’est un point que nous essayons de faire valoir depuis longtemps », déclare Kwasi Ampofo, responsable des métaux et des mines chez BloombergNEF, un groupe de recherche sur les énergies propres basé à Londres. « Même sur une base volumétrique, il est important de souligner le fait que les combustibles fossiles ne sont pas comparables ». Et cela reste vrai même si les VE et les batteries faisaient partie d’une transition massive et mondiale vers l’énergie propre. Dans un scénario limitant le réchauffement climatique à 2 degrés Celsius, l’AIE estime que la quantité de minéraux critiques nécessaires serait environ 500 fois moins importante en termes de volume que l’extraction actuelle de combustibles fossiles.
Bien entendu, les matériaux extraits ne constituent pas une mesure parfaite des dommages causés à l’environnement. Les effets locaux sur l’environnement tendent à s’accroître en fonction de la quantité de matières extraites du sol. L’extraction d’une tonne de cuivre, par exemple, nécessite l’extraction d’environ 100 tonnes de minerai. Mais même en tenant compte de cela, estime Sam Calisch, scientifique à l’organisation à but non lucratif Rewiring America, l’extraction de minerais pour l’économie des énergies propres revient à extraire environ cinq fois moins de matière que ce qui est extrait par l’industrie des combustibles fossiles. « C’est encore énorme », déclare M. Calisch.
L’impact sur le climat des minerais d’énergie propre
Les VE émettent déjà moins d’un tiers des émissions par kilomètre que leurs homologues à essence, en moyenne. Mais qu’en est-il si l’on tient compte des émissions liées à l’extraction des métaux, à la fabrication, au ravitaillement et à l’élimination des VE ?
Noah Horesh, chercheur à l’université d’État du Colorado qui étudie les émissions du cycle de vie dans le secteur des transports, a analysé les émissions des véhicules tout au long de leur durée de vie. Il estime que les véhicules à combustible fossile génèrent environ deux fois plus d’émissions qu’un VE, même en tenant compte des émissions liées à l’extraction des minéraux et des métaux ajoutés. Cette différence ne fera que s’accroître à mesure que le secteur de l’électricité se décarbonise et que la fabrication des batteries devient beaucoup plus efficace. Les personnes qui rechargent leur véhicule avec de l’électricité propre ou qui conduisent des véhicules plus petits peuvent déjà constater une plus grande différence aujourd’hui.
La pollution atmosphérique, l’une des principales causes de mortalité dans le monde, diminuera également. Les combustibles fossiles sont responsables de 4 à 8 millions de surmortalités chaque année liées à la pollution de l’air, selon des études publiées dans les revues Proceedings of the National Academies of Science et Environmental Research.
Un avenir plus propre pour les VE ?
Contrairement à l’industrie pétrolière, il est tout à fait possible d’assainir la chaîne d’approvisionnement en minerais pour les batteries. Les acheteurs, les constructeurs automobiles et les pays exigeant des chaînes d’approvisionnement plus transparentes, les sociétés minières sont poussées, voire forcées, à assainir leur situation. Les nouvelles technologies permettent également de réduire les impacts négatifs. Toutefois, rien de tout cela n’est parfaitement garanti. Lead the Charge, un réseau de défense qui suit les chaînes d’approvisionnement des principaux constructeurs automobiles mondiaux, affirme que nombre d’entre eux progressent dans leurs efforts pour éliminer les émissions, les atteintes à l’environnement et les violations des droits de l’homme. Mais en tant qu’industrie, il reste un long chemin à parcourir.
Néanmoins, nous commençons à voir quelques changements. Les chercheurs et les fabricants de batteries s’efforcent de remplacer le nickel et le cobalt par des métaux tels que le manganèse et le fer, qui sont plus sûrs, abondants, non toxiques et bon marché. « Il n’y a que quelques métaux à la croisée de ce que nous pouvons utiliser et de ce que nous produisons en grande quantité », explique le professeur Gerbrand Ceder. « Mais nous constatons des progrès significatifs dans ce domaine. Les fabricants utilisent aujourd’hui six fois moins de cobalt dans les batteries des véhicules électriques, voire l’ont totalement éliminé ces dernières années. L’année dernière, la moitié des véhicules vendus par Tesla au cours du premier trimestre contenaient des batteries sans cobalt ni nickel.
Le recyclage est déjà très prometteur. D’ici quelques décennies, selon l’organisation à but non lucratif International Council on Clean Transportation, la grande majorité des batteries des véhicules électriques seront probablement collectées et réutilisées pour une seconde vie, par exemple pour le stockage de l’énergie du réseau, ou recyclées, ce qui réduira d’environ un tiers la demande de minerais pour les véhicules électriques. Les batteries automobiles au plomb constituent un modèle : on estime que 99 % d’entre elles sont recyclées. Cela a permis de créer une boucle presque fermée pour la réutilisation du plomb, rapportent des chercheurs dans la revue American Economic Review Insights.
« La transition vers des carburants à faible teneur en carbone n’est pas une solution miracle sans conséquences négatives », déclare Sergey Paltsev, chercheur principal au MIT. « On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Mais c’est beaucoup moins nocif que si nous continuons à utiliser les combustibles fossiles.
Source Washington Post
Faut-il et peut-on remplacer le parc de voitures thermiques par des VE ? Ne nous faisons pas d’illusions, les constructeurs automobiles construisent des VE pour faire du profit, pas pour stoper le réchauffement climatique ! Ne faut-il pas aussi se poser la question de l’urbanisation, comment sont construits nos villes ? Au lieu de subventionner le VE, il serait préférable de développer le transport en commun, gratuit et avec des fréquences de dessertes très importantes (10 minutes maxi). On pourrait imaginer la gratuité des transports en commun pour tous ceux et celles qui refusent la voiture thermique et qui de… Lire la suite »