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Pourquoi l’électricité est-elle de plus en plus chère ?

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Après avoir limité la hausse des prix de l’électricité grâce à son bouclier tarifaire pour les ménages, le gouvernement a décidé, dans le vote du budget 2024, de réaugmenter les tarifs de l’électricité. Conséquence : les prix vont encore augmenter dès le 1er février 2024. Une décision qui risque d’être explosive après la flambée de 2023. Selon la Commission de régulation de l’énergie (CRE), cette hausse estimée est essentiellement liée à l’augmentation des taxes. Mais pas seulement. L’ouverture à la concurrence du marché de l’énergie et son application à tous les consommateurs, le 1er juillet 2007, marque le début de la libéralisation des industries de réseau, comme le démontre l’ancien Contrôleur général honoraire d’EDF, Lionel Taccoen, pour Futuribles. Faut-il y voir la relance du débat sur la libéralisation de ce secteur essentiel ?

Pour les consommateurs, après deux hausses du tarif réglementé en 2023 (15 % en février puis 10 % en août, soit une augmentation de 26,5 % sur l’année 2023), et malgré une baisse des prix sur les marchés de gros, cette nouvelle augmentation des prix de l’électricité va être dure à avaler. D’autant que la fiscalité est restée inchangée, ainsi que les tarifs réglementés de vente de l’électricité. Derrière cette nouvelle augmentation se cache la réintégration de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE). Sous l’effet du bouclier tarifaire, cette taxe avait été considérablement réduite. Alors, comme toute bonne chose a une fin, l’exécutif veut récupérer au moins une partie de ce manque à gagner, estimé à 9 milliards d’euros.
Cette hausse des prix de l’électricité « est une décision gouvernementale » car dans les 10% TTC d’augmentation « ce qui va faire la différence, ce seront les taxes« , a déclaré mercredi 10 janvier sur france info Emmanuelle Wargon, présidente de la Commission de régulation de l’énergie. Mais les taxes n’expliquent pas totalement cette hausse. En vérité, c’est tout le système de libéralisation de l’électricité, ou dérégulation, qui est remis en question, notamment par Lionel Taccoen dans son article « Marcel Boiteux avait raison ».

Quand les Français bénéficiaient de l’électricité la moins chère de l’Union européenne

Marcel Boiteux (1922-2023), économiste de renommée internationale, dirigea EDF pendant vingt ans, de 1967 à 1987. À ce titre, il théorise et met en œuvre la tarification de l’électricité au coût marginal. Cette mise en place d’un système de tarification moderne se veut optimal pour de nombreux types de clients, de l’industriel électro-intensif au particulier.

Chantre du « tout-nucléaire, tout-électrique », il a ainsi permis aux industriels et aux particuliers de bénéficier pendant longtemps des tarifs d’électricité parmi les plus bas d’Europe. Marcel Boiteux n’était pas hostile par principe à la concurrence mais il comprit les dangers de l’ouverture du marché des particuliers : « Dans ce cas, il ne s’agit plus, comme la Commission européenne le fait espérer, d’ouvrir la concurrence pour faire baisser les prix, dénonçait-il en 2007, mais bien d’augmenter les prix pour permettre la concurrence. »

La concurrence en électricité n’abaisse pas les tarifs

Comme l’explique Lionel Taccoen, « Marcel Boiteux prendra ses distances rapidement avec la libéralisation de l’électricité ». Mais avant l’ouverture à la concurrence, il rédigera un article dans Futuribles en juin 2007 sous le titre « Les ambiguïtés de la concurrence » où « il nous met en garde contre la foi trop aveugle accordée en l’espèce au libéralisme par les autorités de Bruxelles. Il montre, en effet, exemples à l’appui, combien il est naïf d’imaginer qu’en tout domaine l’optimum est spontanément atteint par l’économie pure de marché. » Pour lui, la concurrence, qui est supposée entraîner une baisse des prix et une amélioration de la qualité des services, risque en l’espèce de n’entraîner aucun de ces bienfaits.

Des limites inévitables à la concurrence, par Marcel Boiteux – 25 avril 2007

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La mission qu’avait reçue EDF était, d’une part de produire au coût minimum et, d’autre part, de vendre au prix de revient (« marginal à long terme » au sens des experts) sans chercher à profiter de son monopole pour rançonner la clientèle. Ce comportement vertueux, qui suscite aujourd’hui l’incrédulité, n’apparaissait pas invraisemblable du temps des « trente glorieuses » et de ce que l’on appelait encore « les grands commis de l’Etat ». Le fait est, en tout cas, que – sauf cas très spécifiques – les prix d’EDF étaient pratiquement devenus les moins chers d’Europe. Sans doute la Maison bénéficiait-elle pour ses emprunts d’une sorte de garantie de fait, qui allégeait quelque peu ses charges. Mais ce mode d’allégement était négligeable relativement aux divers procédés par lesquels, avant affectation des bénéfices, l’Etat se nourrissait sur la bête en faisant assumer par l’Etablissement des charges qui, bien au-delà de ses obligations de service public, ne relevaient pas de sa mission. Alors, des subventions pour EDF ? Oui, mais au sens algébrique, dans le sens d’EDF vers l’Etat …

Les Français n’en bénéficiaient pas moins des tarifs avantageux que permettait une gestion décente d’EDF, laquelle reposait largement, d’ailleurs, sur des procédés que le secteur privé n’aurait pas reniés : décomposition de l’ensemble en (quasi) filiales et (quasi) sous-filiales, suivi des résultats de chaque entité et émulation interne, politique systématique de formation professionnelle et préparation spécifique des futurs dirigeants, important budget de recherche-développement, large pratique du calcul économique. Et, par-dessus tout, une caractéristique essentielle : malgré des crises inévitables, parfois exaspérantes lorsqu’elles menaçaient l’image d’EDF, le personnel était fier de son entreprise et fier de contribuer à ses succès ; cela vaut bien tout le reste …

Pourtant, après avoir dit pis que pendre du parc nucléaire d’EDF et de son coût démentiel, on avance maintenant que si les prix de revient d’EDF sont tellement  enviables, ce n’est pas dû à sa prétendue bonne gestion, mais à la « rente nucléaire ». Qu’il suffise de rappeler que si le parc nucléaire a eu une influence heureuse sur les prix de revient d’EDF, ce ne fut pas, bien au contraire, avant la fin des années 80 – alors que les performances tarifaires de l’Etablissement datent de bien avant. Au surplus, ce parc nucléaire, il ne lui est pas tombé du ciel. Cela étant, avec l’ouverture de l’électricité à la concurrence, les prix de l’électricité française ne pouvaient qu’augmenter en tendance3 – ce que je n’avais pas manqué d’écrire à l’époque, sans autre succès que de condescendance … Source : Article paru dans la Revue Futuribles n° 331, juin 2007 Lire la suite

Dans une tribune du Monde de 2021, « Il faut s’interroger sur les défaillances de la libéralisation dans la détermination des prix de l’électricité », les économistes Jacques Percebois et Boris Solier recommandent de fixer le prix de l’électricité sur la base de la production nationale, et non plus européenne : « Puisque les choix en matière de mix électrique divergent de plus en plus en Europe – du nucléaire français à l’éolien danois en passant par le charbon polonais –, ne serait-il pas plus logique de considérer que le consommateur doit aujourd’hui payer un prix qui reflète les coûts de son mix électrique national et non ceux du mix électrique des pays limitrophes ? C’est ce que demandent la France et l’Espagne, mais cela paraît difficilement compatible avec les impératifs de l’ouverture à la concurrence et l’interconnexion croissante des réseaux électriques, qui favorise les solidarités entre pays européens. Quoi qu’il en soit, la sortie des énergies fossiles se traduira à l’avenir par des prix plus élevés de l’énergie. »

Ce même Jacques Percebois, ainsi qu’un président de la Commission de régulation de l’énergie, Jean-François Carenco, confirmaient que « aujourd’hui, des millions de consommateurs ont constaté que la concurrence n’avait pas diminué leurs factures. »

Les « dispatchers » aux manettes

Les responsables de l’équilibre des réseaux, appelés « dispatchers », doivent prendre des décisions à tout instant. Boiteux explique qu’il n’est pas question pour eux « d’attendre que se fixe librement le prix sur le marché pour lequel l’offre égalera la demande […] ce n’est donc pas le marché mais un dictateur, le « dispatcher » qui, dans l’urgence, « assure l’équilibre entre l’offre et la demande. Ces derniers acquièrent alors « d’un pouvoir de marché » qui leur permet d’exiger et d’obtenir des prix élevés, voire quelques fois excessifs. Les prix de gros s’en trouvent artificiellement gonflés et, au final, les factures aussi. Comme le modèle historique permet, s’il est bien géré, de vendre à prix coûtant bien bas, l’instauration de la concurrence augmentera les prix. »

« En réalité, ce n’est là que la manifestation d’une évolution plus profonde. Le problème des démocraties a toujours été de trouver un juste équilibre entre une trop grande concentration du pouvoir délégué par les élus et, à l’inverse, l’abandon à la loi du nombre et à la démagogie. En particulier, les pauvres étant largement majoritaires, les riches qui leur fournissent du travail auraient rapidement disparu s’il n’existait quelque part un dispositif permettant d’éviter qu’on abuse à leurs dépens de l’expropriation, brutale (la confiscation) ou progressive (la fiscalité). »

« Dans ce système aux consonances anglo-saxonnes, le gouvernement ne décide pas « dans sa sagesse », à la française, après avoir consulté qui il croit devoir entendre pour tester ses intentions. Ce sont les intérêts en présence qui s’expriment par les lobbys, et le gouvernement arbitre. Les lobbys les plus riches, soutenus par les cabinets d’avocats les plus efficaces, et représentés par les personnalités les plus brillantes (ou les plus belles), ont un avantage spécifique qui élimine tout risque de dérive démagogique. D’aucuns diront que c’est là trop se livrer au pouvoir de l’argent. Certes. Mais c’est déjà mieux que d’être abandonné au pouvoir du plus fort, ou à celui de la rue.

Dans la tradition française, le gouvernement était censé transcender le pouvoir de l’argent, et le système des lobbys était présenté aux étudiants de mon époque comme la tare transitoire d’une démocratie américaine encore en formation ( !) . Il semble aujourd’hui que ce genre de scrupules ait définitivement disparu. Mais si, à travers toutes les contraintes qui pèsent sur le pouvoir, l’objectif officiel n’est plus de chercher à satisfaire un intérêt collectif échappant aux égoïsmes des puissants mais, selon la tendance bruxelloise, d’arbitrer entre les pressions économiques en présence pour en dégager la résultante (dans le cadre des principes et règlements en vigueur), le jeu n’est plus le même. » Marcel Boiteux – Futuribles, juin 2007

L’analyse de Marcel Boiteux était exacte

Selon l’article de Futuribles, les imperfections du marché peuvent être corrigées. Comment ? En garantissant que le réseau électrique ne s’effondrera jamais, par exemple en stockant de l’électricité utilisable à tout instant. Le coût serait-il élevé ? Et une telle dépense a-t-elle un sens alors que nous savons que la concurrence ne fera pas baisser les prix par rapport au modèle historique bien géré ? « Cela vaut-il un tel chambardement pour si peu ? » s’interroge Marcel Boiteux. Recommandation : faire effectuer une étude comparable à celle de la Harvard Business School pour l’Europe, ce qui permettrait un éclairage indispensable avant toute réforme du marché. Il a toute chance de confirmer que la concurrence augmente les prix, faisant ainsi échec à la bonne gestion d’un service public ou service d’intérêt économique général admis par la Commission européenne, celui qui vise à la fourniture d’électricité au prix le plus compétitif. « 

Limiter la concurrence ? « Les conséquences seraient considérables, explique Lionel Taccoen : Cela permettrait à EDF de retrouver des fonctions perdues et de faciliter à l’Etat français la reprise de la maîtrise des prix de l’électricité. »

Peut-être trop tôt, mais l’expérience de Marcel Boiteux à la tête d’EDF lui avait montré que l’électricité n’était pas une marchandise comme les autres, et que le service public et les tarifs de l’électricité n’auraient rien à gagner, bien au contraire, à la déréglementation. Il est probable que les usagers continueront encore longtemps à payer le prix de cette réforme malheureuse du marché de l’électricité.

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