La filière de méthanisation en France est en proie aux doutes : malgré une consommation qui devrait doubler d’ici à 2018, avec une progression de 10 %, les objectifs fixés pour la filière à l’horizon de 2020 ne seront pas totalement atteints, du fait notamment des difficultés à rentabiliser les unités de production de biogaz. Deux études se sont penchées sur cette filière : l’Académie des technologies dans une étude intitulée « Le biogaz » qui, tout en reconnaissant que le contexte économique actuel – local et international – n’est pas favorable à l’essor de cette énergie renouvelable, appelle les pouvoirs publics à lever les freins techniques, économiques et réglementaires pour développer la filière biogaz. Et le Cabinet Xerfi qui juge que la lenteur du développement du biogaz tient à des problèmes techniques d’adaptation du matériel par rapport aux intrants et à des acteurs très éclatés qui gagneraient à se structurer.
Le biogaz connaît depuis une quinzaine d’années un retour sur la scène mondiale comme source d’énergie renouvelable d’origine naturelle : il est le produit de la dégradation de la matière organique, d’origine animale ou végétale, par des microorganismes dans des conditions dites « anaérobies » c’est-à-dire en l’absence d’oxygène. Le phénomène de méthanisation est par ailleurs très largement observable dans la nature.
Son exploitation industrielle permet le bouclage d’un cycle d’économie circulaire des ordures ménagères et des déchets organiques industriels ou agricoles. Elle peut aussi être intensifiée, à l’image du système allemand de production fermentaire qui utilisait jusqu’à très récemment le maïs comme source de matière première.
La filière française du biogaz décolle progressivement : estimée à 390 millions d’euros en 2015, son chiffre d’affaires devrait plus que doubler pour s’établir à 920 millions d’euros d’ici 2020, selon les prévisions des experts du cabinet d’études Xerfi du 11 mars 2016, qui ajoutent que la consommation finale de biogaz va plus que doubler sur la période 2015-2018, alors qu’elle n’avait progressé « que » de 50% entre 2012 et 2015.
Le producteur français d’électricité Vol-V, qui détient aujourd’hui dix projets de production ayant obtenu l’autorisation d’exploiter, a annoncé son intention de faire du biométhane son second centre de profit en 2020.
Selon les chiffres du ministère de l’Environnement, 40 MW ont été raccordés l’année dernière, niveau comparable à celui observé chaque année de 2011 à 2014. Fin 2015, 421 installations produisent de l’électricité à partir de biogaz, pour une puissance totale installée de 365 mégawatts (MW). Mais l’année à venir pourrait marquer une progression puisque le ministère remarque que la puissance des projets en file d’attente « augmente sensiblement, de 18% sur un trimestre, et atteint 116 MW fin décembre 2015 ».
Rappelons aussi que si la contribution au bilan énergétique national de la filière biogaz est encore faible (seulement 2 % des énergies renouvelables consommées), elle pourrait néanmoins représenter, selon les dernières estimations du ministère de l’écologie, plus de 10 % de l’exploitation française de gaz en 2020.
Cependant, l’Académie de technologies a entrepris depuis plusieurs années une revue systématique et sans concessions des technologies de production des énergies renouvelables, sur les plans technique, économique et réglementaire. Elle a auditionné les meilleurs spécialistes français du domaine, tant les chercheurs du secteur académique que les industriels présents dans ce secteur en cours de développement.
Ce rapport dresse un panorama et des perspectives en demi-teinte pour cette filière où il est reconnu que le contexte économique n’est certes pas favorable au développement de cette filière à court terme : le retour sur investissement pour les agriculteurs est long (de 15 à 20 ans), et la récupération des déchets hautement méthanisables reste difficile dans les conditions de collecte actuelles. Ce contexte défavorable explique sans doute que la filière biogaz peine à se déployer en France.
L’Académie rappelle ainsi que la France arrive aujourd’hui en quatrième position en Europe, derrière l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Italie pour la production de biogaz. Elle estime cependant que les objectifs du Plan Climat, stipulant une part de 23 % des énergies renouvelables dans l’énergie finale en 2020, ne pourront être atteints sans un développement important de la méthanisation.
Il existe en France un fort potentiel de croissance de la méthanisation. Car même si, à terme, l’essentiel des ressources utilisables en méthanisation sera d’origine agricole, les bio-déchets urbains au sens large (des ménages aux gros producteurs) sont intéressants à mobiliser.
Côté R&D, la production du biogaz est une technologie mature et n’a pas besoin de grands programmes de recherche et développement, mais plutôt d’une optimisation des procédés et de perfectionnements technologiques pour faire monter en puissance les installations industrielles.
L’augmentation de la production française de biogaz dépend largement des politiques publiques mises en place et des soutiens, tant réglementaires que financiers dont elle peut bénéficier. Or, si les incitations économiques vont dans le bon sens, l’engagement insuffisant des pouvoirs publics (le bio-méthane était absent du « Grenelle de l’environnement ») et une complexité administrative excessive freinent les porteurs de projet et les collectivités.
Les freins sont également techniques : le rapport cite l’exemple des conditions techniques d’exploitation, notamment la garantie du « zéro rejet liquide » pour les installations de méthanisation, difficile à respecter.
Et réglementaires : la commercialisation des substrats organiques, indispensable à l’équilibre économique de la filière de valorisation, est de fait difficile car le statut réglementaire des digestats demeure flou.
En conclusion, l’Académie des technologies estime que ces freins sont surmontables à court et moyen termes. Elle appelle les pouvoirs publics à lever les freins techniques, économiques et réglementaires pour développer la filière biogaz. La mise en œuvre du dispositif de soutien des filières « bois-énergie » et « méthanisation » annoncée en février par la ministre en charge de l’environnement représente une opportunité en ce sens.
De son côté, le cabinet Xerfi prècise que l’Etat a lancé deux programmes d’encouragement : le plan Energie Méthanisation Autonomie Azote (EMAA) et l’appel à projets 1.500 méthaniseurs. Mais ces installations ne seront opérationnelles qu’après 2020, le temps que les unités soient construites. Le décollage de la méthanisation en France est donc fortement attendu. Mais il arrivera tardivement et ne permettra pas d’atteindre les objectifs que s’est fixé l’Etat : « Le retard accumulé en 2014-2015 est trop important à combler. La trajectoire initiale prévoyait une accélération de la consommation finale de biogaz dès 2012. Or, ce décollage n’aura vraiment lieu qu’en 2016 laissant une fenêtre trop étroite pour parvenir aux objectifs fixés en 2020 (873 ktep) ». Pour arriver à 1.000 unités en 2020, il faudrait évoluer à un rythme effréné de plus de 150 unités par an entre 2016 et 2020. Un rythme inatteignable au regard de l’incertitude qui plane toujours sur les mécanismes de soutien de la filière.
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