Alors que la Commission européenne avait promis un étiquetage nutritionnel harmonisé pour aider les consommateurs à mieux choisir leurs aliments, le projet semble avoir mystérieusement disparu des radars. Face au refus de Bruxelles de rendre publics des documents essentiels, les ONG foodwatch et Access Info ont décidé de saisir la justice européenne.
Ce logo est apparu en 2017 et mis au point par le Programme national nutrition santé (PNNS). Il classe les aliments selon un code couleur allant du vert au rouge (de A à E), du très bon au moins bon pour la santé, avec un objectif : délivrer une information claire aux consommateurs sur des bases scientifiques. Mais aussi à inciter les industriels à reformuler les aliments qu’ils produisent pour en améliorer la qualité nutritionnelle. En 2020, la stratégie « De la ferme à la table » annonçait une avancée majeure : un étiquetage nutritionnel obligatoire et uniforme sur le devant des emballages, destiné à guider les choix alimentaires des consommateurs européens. Le Nutri-Score, ce logo en couleurs classant les produits du vert au rouge, devait incarner cette ambition. Soutenu par des chercheurs, l’Organisation mondiale de la Santé et plusieurs pays européens, il était présenté comme un outil simple et efficace pour lutter contre la montée des maladies liées à l’alimentation. Pourtant, des années plus tard, le projet de loi a été relégué aux oubliettes sans explication.
Le combat pour la transparence
C’est pour comprendre ce revirement que l’ONG foodwatch, engagée de longue date pour un meilleur étiquetage nutritionnel, a multiplié les demandes d’accès aux documents auprès de la Commission européenne. Études d’impact, avis d’experts, comptes rendus de réunions : autant d’éléments qui pourraient éclairer le processus législatif et expliquer pourquoi la proposition a disparu de l’agenda politique. Mais Bruxelles a toutefois refusé d’en divulguer l’intégralité. foodwatch a donc déposé une plainte auprès du Médiateur européen (European Ombudsman), qui a donné raison à foodwatch et estimé que la non-divulgation des documents par la Commission européenne relevait de « mauvaise administration ». Pourtant, malgré ce constat, les documents restent toujours sous clé.
L’action en justice
Face à cette impasse, foodwatch a décidé de s’associer à Access Info, une organisation spécialisée dans le droit d’accès à l’information (1). En mars 2025, celle-ci a déposé un recours devant le Tribunal de l’Union européenne pour annuler la décision de refus de la Commission. L’enjeu est de taille : selon la jurisprudence, les documents liés à un processus législatif doivent être accessibles au public avec le plus haut degré de transparence. « Pourquoi la Commission européenne a-t-elle discrètement enterré son projet de présenter un étiquetage nutritionnel à l’échelle européenne, comme prévu dans la stratégie ‘De la ferme à la table’ ? Quelle est l’influence du lobby alimentaire ? Nous voulons obtenir des réponses à ces questions. Un demi-milliard de consommateurs européens a le droit de savoir en un coup d’œil ce que contiennent leurs aliments », a déclaré Suzy Sumner, directrice du bureau bruxellois de foodwatch international.
« Ces informations sont essentielles pour comprendre pourquoi un projet aussi important que le Nutri-Score a été mis de côté », explique Carlos Cordero, président d’Access Info. Foodwatch, qui a révélé l’existence des « Nutri-Score papers », a quant à elle introduit une demande d’intervention pour appuyer cette action en justice.
Pourquoi le Nutri-Score est-il crucial ?
Le Nutri-Score est un logo simple : cinq lettres, cinq couleurs, du vert foncé au rouge, qui indiquent en un coup d’œil la qualité nutritionnelle globale d’un produit alimentaire. Un système validé scientifiquement, soutenu par l’OMS et adopté volontairement par plusieurs États membres, dont la France, l’Allemagne, la Belgique ou encore les Pays-Bas.
Mais faute de cadre européen obligatoire, sa mise en œuvre reste fragmentée. Certains industriels refusent de l’afficher, préférant d’autres systèmes jugés moins stricts. Résultat : le consommateur européen n’a pas accès à une information claire et harmonisée, alors même que les maladies chroniques liées à l’alimentation (obésité, diabète, maladies cardiovasculaires) continuent de progresser.
« Nous n’avons plus de temps à perdre. Le Nutri-Score est un outil de santé publique qui peut sauver des vies et encourager les fabricants à améliorer leurs recettes », insiste Suzy Sumner, directrice du bureau bruxellois de foodwatch.
Une question politique et de lobbying
Derrière ce blocage, une question dérange : l’influence des lobbys agroalimentaires. Si le projet d’étiquetage européen a brusquement disparu, c’est sans doute moins en raison d’un manque d’intérêt public que d’intérêts économiques puissants. Le Nutri-Score, en classant les produits du vert au rouge, met en lumière les excès de sucre, de sel ou de graisses présents dans de nombreux aliments transformés. Pour certains groupes agroalimentaires, voir leurs marques phares affichées avec un « D » orange ou un « E » rouge représente un risque commercial majeur.
Ces industriels ont donc tout intérêt à freiner la mise en place d’un système obligatoire et lisible pour tous. À Bruxelles, le lobbying est intense : organisations professionnelles, cabinets de conseil et représentants d’intérêts multiplient les interventions pour défendre des systèmes alternatifs, souvent moins contraignants ou plus favorables à leurs produits. Résultat : les débats s’enlisent et la Commission peine à trancher.
Pour les ONG, cette situation illustre le déséquilibre entre l’intérêt des consommateurs et le poids des lobbys économiques. foodwatch et Access Info rappellent que la transparence est essentielle : les citoyens ont le droit de savoir si des pressions extérieures ont influencé l’abandon du projet. Car derrière cette bataille institutionnelle, c’est la santé de centaines de millions d’Européens qui est en jeu.
(1) Access Info Europe est une organisation de défense des droits humains qui se consacre à la promotion et à la protection du droit d’accès à l’information. Fondée à Madrid en 2006, Access Info mène une série de projets et d’activités au niveau national et européen visant à tirer parti du droit à l’information pour accroître la participation et la responsabilité, défendre les droits humains et faire progresser la démocratie.








BLABLABLA mais les LOBBIES ont TOUJOURS le dessus …