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Notre système alimentaire est au cœur des crises sanitaires et environnementales

TRIBUNE LIBRE

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Depuis une dizaine d’années, des scientifiques alertent sur le risque de crises systémiques liées à notre système alimentaire. La globalisation et l’industrialisation de l’agriculture, de la transformation et de la distribution, joint à une occidentalisation de l’alimentation, ont accru les émissions de gaz à effet de serre à l’origine du dérèglement climatique, l’érosion de la biodiversité et les pollutions, ainsi que les risques de maladies chroniques et infectieuses. Or ces grands maux apparus depuis environ un siècle, on parle d’anthropocène, sont liés : la déforestation contribue au changement climatique et augmente le risque de zoonoses ; les maladies chroniques sont des facteurs de comorbidité des maladies infectieuses. Des approches plus intégrées, reposant sur les relations entre la santé du vivant (les Hommes, les animaux, les plantes) et la santé de leur habitat (le sol, la planète), sont nécessaires pour éclairer les politiques publiques et les choix des acteurs économiques : c’est le concept d’une seule santé ou « one global health ».

 Un constat partagé mais qui ignore l’interdépendance entre défis

Le dérèglement climatique est un problème majeur pour l’humanité car il impacte tous les domaines du vivant et n’est pas réversible. Atteindre zéro émissions nettes de gaz à effet de serre en 2050, suppose d’arrêter l’utilisation des énergies fossiles, de produire des énergies renouvelables, notamment à partir de la biomasse, mais aussi de séquestrer du carbone dans les sols pour compenser une partie des émissions restantes. Cet enjeu climatique s’ajoute aux effets des pollutions de l’eau et de l’air sur l’érosion de la biodiversité, dans les sols et les paysages, érosion qui génère une réduction des régulations biologiques participant à la résilience des écosystèmes. En agriculture, c’est cette érosion de la biodiversité qui empêche de réduire fortement les engrais de synthèse contribuant aux émissions de gaz à effet de serre, ou certains pesticides dangereux pour la biodiversité et notre santé. 
La déforestation, liée aux cultures traditionnelles itinérantes en pays tropicaux mais aussi aux cultures industrielles (soja et palme) pour les pays occidentaux, est source de 10% des émissions de gaz à effet de serre. Et cette déforestation, elle augmente les interactions entre la faune et le bétail et donc le risque de zoonoses, dont la fréquence s’accroît depuis une cinquantaine d’années.

La santé humaine est aussi menacée par le développement croissant des maladies chroniques (obésité, diabète), qui sont majoritairement dues à notre environnement (nourriture, air, eau), le facteur hérédité ne comptant que pour 20 pour cent environ. Une alimentation de type occidental (déficit important de fibres et d’acides gras à longue chaine -omega 3-, excès d’aliments ultra-transformés et de produits animaux) est l’un des facteurs de risque de développement de maladies chroniques. En outre ces maladies sont des facteurs de comorbidité pour les maladies infectieuses comme la Covid-19, dans un contexte où l’antibiorésistance due aux excès d’antibiotiques pour les animaux et les humains devient un problème majeur pour traiter certaines infections.

Les politiques européennes se sont engagées à diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture d’ici 2050, principalement le méthane et le protoxyde d’azote qui sont majoritairement dues à l’élevage ; elles reconnaissent aussi la nécessité de séquestrer du carbone (actuellement les sols cultivés en déstockent…) pour parvenir à la neutralité carbone. Elles prévoient également la réduction de moitié des pesticides. Ces politiques devraient être actualisées aujourd’hui afin d’enrayer la progression des maladies chroniques et réduire le risque de zoonoses pandémiques.

Relations entre le système alimentaire et les crises sanitaires et environnementales.
Les flèches simples et doubles en trait plein indiquent respectivement les impacts du système alimentaire (la contribution aux impacts) et les interdépendances entre impacts. Les flèches en traits pointillés indiquent en quoi la dégradation de l’environnement sur le fonctionnement du système alimentaire.

 De timides améliorations trop sectorisées

Les politiques actuelles promeuvent le plus souvent des innovations de type paramétrique, conçues séparément pour l’agriculture, l’alimentation et les chaînes de valeurs.

En agriculture, l’accent est mis sur les technologies ou les intrants de substitution pour réduire les impacts. Mais de telles politiques sectorisées par problème (les nitrates, les pesticides…..) en considérant les enjeux séparément ne permettent pas de faire face à leur diversité, sans compter les possibles effets rebonds, notamment sur la biodiversité comme l’apparition de résistances aux pesticides.

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En élevage, l’accent est mis sur le bien-être animal et le renforcement de l’autonomie en protéines par le développement de légumineuses à graine pour stopper les importations de tourteaux de soja en partie à l’origine de la déforestation. Mais la réduction de l’élevage n’est jamais envisagée alors que plus des 2/3 des émissions lui sont attribuables. Comment faire dès lors, sachant que les innovations paramétriques ne permettront de réduire les émissions que de 20% ?

Quant à l’alimentation, elle n’est révisée qu’à la marge : quelques encouragements à manger plus de fruits et légumes, plus de fibres, à consommer moins de produits ultra transformés, moins de viande (pour ceux d’entre nous en consommant le plus). Mais ces politiques ne sont pas suffisamment préventives pour la santé et n’incluent pas vraiment les enjeux environnementaux (Plan National Nutrition Santé).

Enfin, le système alimentaire repose toujours sur des économies d’échelle et d’agglomération soutenues par des accords de libre-échange. Si ceux-ci permettent des réductions de prix, ils favorisent toujours davantage la spécialisation des régions et des continents. Ils soutiennent donc la destruction d’habitats naturels impactant la biodiversité, et accroissent notre dépendance aux produits importés. Par exemple la plupart des fruits et légumes qui nous viennent du sud de l’Europe (et dont notre alimentation reste déficitaire) pourraient être cultivés en France, près des zones urbaines, évitant le transport sur de longues distances de produits riches en eau et meilleurs frais, et créant de l’emploi localement.

LIRE AUSSI DANS UP’ : Un délire environnemental : pendant la pandémie, des centaines de milliers de conteneurs vides voyagent sur les océans

L’amélioration du système alimentaire par les seules technologies ou la révision à la marge de notre alimentation ne suffiront donc pas à résoudre nos maux. L’érosion de la biodiversité, aussi bien dans les sols et les écosystèmes que dans notre intestin de plus en plus sujet aux dysbioses devrait être un enjeu central compte-tenu de son effet sur la santé. En outre, ces politiques traditionnellement conçues par domaine ne peuvent pas prendre les effets rebonds (résolution d’un problème mais aggravation d’un autre) ou les possibles incompatibilités entre innovations, et il n’est pas vérifié qu’elles soient suffisantes pour atteindre une multiplicité d’objectifs[1]. En ce sens, même en toute innocence, elles s’apparentent à du greenwashing.

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Des changements de paradigmes nécessaires

En agriculture, la diversification des cultures (rotation, intercultures, cultures associées, agroforesterie…) et des infrastructures écologiques (haies, bandes enherbées…), ainsi que la réduction de travail du sol, sont des leviers incontournables pour fournir une diversité de services à la société.

Un changement de paradigme s’impose donc pour mettre en place une agriculture basée sur la biodiversité des plantes, des paysages et des organismes du sol, sur le renforcement des synergies entre cultures et élevages. Les sols doivent être « nourris » par des apports importants de carbone, par exemple par une couverture permanente, afin de renforcer l’activité biologique et l’accès des plantes à plus de ressources en nutriments et eau. Les cultures intermédiaires multi-services sont un levier incontournable, et aussi une condition pour produire du biométhane sans accroître la pression sur les terres. L’élevage, du fait de son fort impact environnemental, doit être redimensionné pour n’utiliser que les ressources n’entrant pas en compétition avec notre alimentation (prairies permanentes, déchets de l’agroalimentaire), voire n’être qu’un coproduit des cultures. Dans cette configuration l’élevage sera vu comme une opportunité pour produire de l’énergie à partir des déjections, et fournir des nutriments spécifiques comme les acides gras ou vitamines indispensables et qu’on ne trouve pas dans les produits végétaux[2].

Ce changement de paradigme suppose des formes d’agriculture agroécologiques, les seules pouvant contribuer à réduire indirectement le risque de pandémie en diminuant la pression sur les ressources importées, donc la déforestation, et en réduisant l’élevage intensif (le plus consommateur d’antibiotiques et émetteur dans l’environnement). Le choix éclairé des consommateurs, mais aussi des acteurs de la restauration hors foyer, exige évidemment la complète traçabilité de la composition des produits et du mode d’alimentation des animaux. La diversification des cultures permettra de surcroît de diversifier l’offre alimentaire, principe de base d’une alimentation plus saine.

Pour l’alimentation, il est nécessaire d’adopter un régime plus « végétalisé » pour vraiment atteindre les objectifs de réductions d’émissions de gaz à effet de serre, plus « varié » et plus « vrai », c’est à dire moins dépendant des produits ultra-transformés pour assurer un apport suffisant en micronutriments et minimiser certains additifs à risque pour la santé. Cela correspond à un régime « 3V » : végétalisé (moins de viande), vrai (moins d’aliments utltra-transformés) et diversifié). Il suppose forcément de diversifier les cultures et de revoir la transformation des matières premières agricoles.

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La territorialisation des systèmes alimentaires est le prérequis pour une alternative au modèle actuel. Leur mise en œuvre repose sur quatre principes interdépendants : qualité des produits, autonomie, proximité et solidarité, qui supposent de renforcer la souveraineté alimentaire. La « qualité » désigne des composantes nutritionnelles, sensorielles et culturelles optimales des produits alimentaires. « L’autonomie » suppose l’accroissement de l’autosuffisance en intrants pour l’agriculture et en denrées alimentaires de base : il s’agit de limiter la longueur et la complexité des filières agroindustrielles mondialisées et des dispositifs logistiques et de gouvernance les accompagnant. Le « principe de proximité » nécessite de développer des synergies entre activités agricoles (culture, élevage, forêt) au sein des écosystèmes et de renforcer la valorisation locale des matières premières agricoles, par la formation de réseaux contractuels, favorables au partage de la valeur, pour l’engraissement des animaux, par exemple, et la fabrication d’aliments peu transformés. La « solidarité » passe par des statuts d’entreprises intégrant la responsabilité sociale et environnementale, ou des formes coopératives d’organisation des filières avec une mutualisation des ressources.

Le concept de « santé globale » pour écrire un récit fédérateur sur la transition du système alimentaire

L’évolution du système alimentaire mis en place depuis un siècle pour faire face aux besoins en nourriture d’une population en forte croissance a généré des impacts négatifs aussi bien sur l’environnement et la santé. Les récentes prises de conscience, que ce soit du dérèglement climatique, du rôle de la biodiversité sous toutes ses formes et partout dans le monde, plus récemment de l’augmentation des maladies chroniques non transmissibles, et aujourd’hui de l’augmentation du risque de pandémies ne peuvent qu’avaliser la nécessité impérieuse de changements en profondeur. Elles doivent être un puissant moteur pour bâtir un système alimentaire plus à même de satisfaire nos légitimes attentes sanitaires, environnementales, sociétales et économiques.

Il est clair que de nombreux verrous doivent être levés. Pour l’agriculture, les plans d’action sont encore segmentés par problème (nitrates, biodiversité, climat, antibiotiques, pesticides, eau…) empêchant des changements systémiques. Dans le domaine de l’alimentation, l’étiquetage nutritionnel actuel ne prend en compte ni le degré de transformation des aliments, ni la présence de contaminants, ni l’impact environnemental. Concevoir des systèmes résilients suppose des innovations systémiques dans les façons de produire, transformer, distribuer et consommer, qui associent imagination, sobriété et volonté politique.

Nous avons besoin de politiques publiques nationales et internationales plus préventives et systémiques pour traiter les maux non pas un par un mais dans leur ensemble. Les actions à entreprendre (accords, subventions, normes, taxes…) doivent s’appuyer sur la conscience de l’interdépendance entre la santé des êtres vivants et de leurs habitats, comme sur la prise en compte des problèmes liés aux déséquilibres des écosystèmes (destruction d’habitats, épuisement et dégradation des ressources, maladies). Et cela en urgence ! 

Michel Duru, Directeur de Recherche INRAE-Toulouse

[1] Duru M, Aubert PM, Couturier C, Doublet S 2021 Scénarios de systèmes alimentaires à l’horizon 2050 au niveau européen ou infra : quels éclairages pour les politiques publiques? Agriculture, Environnement et Société (à paraître)
[2] Duru M, Grillot M, Le Bras C 2021 Une approche holistique de l’élevage, au coeur des enjeux de santé animale, humaine et environnementale. Cahiers agricultures (à paraître)

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