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Pesticides : comment ils empoisonnent l’agriculture française

Pesticides : comment ils empoisonnent l’agriculture française

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La France est la première puissance agricole européenne. C’est le pays où les pesticides restent considérés comme un « moyen de production » par une majorité d’agriculteurs qui refusent de s’en passer « sans solution alternative ». Résultat : on retrouve des traces de pesticides dans plus de 70 % des fruits et 50 % des légumes vendus dans l’hexagone. Pourtant, leurs usages sont censés considérablement diminuer d’ici 2030. Mais face aux manifestations d’agriculteurs, aux blocages et aux colères, le gouvernement est amené à faire machine arrière sur le dossier des pesticides. Au grand dam des scientifiques et des organisations environnementales.

Trois jours avant le Salon de l’agriculture et à la grande satisfaction du syndicat majoritaire FNSEA, le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé l’abandon du Nodu, indicateur de référence pour mesurer la réduction d’usage de ces substances, au profit d’un indice européen, au grand dam des ONG environnementales.

Dans le monde, l’usage de pesticides ne cesse d’augmenter depuis 1990. En Europe, il a augmenté de moins de 1% par rapport à 1990, quand il bondissait de 191% sur le continent américain. En France, il a augmenté de 7% en 2021, mais diminué de 29% par rapport à 1990, selon l’agence onusienne FAO.

« La France se classe depuis longtemps dans la moyenne des pays de l’UE en ce qui concerne les quantités de substances actives utilisées ramenées à l’hectare » avec 3,7 kilogrammes par hectare en 2021, derrière les Pays-Bas, premier consommateur européen (10,9 kg/ha), et l’Allemagne (4,1 kg/ha), selon un rapport parlementaire.

Du « progrès » au « poison »

Après la Seconde Guerre mondiale, les pesticides apparaissent comme un « progrès » qui a permis de tourner la page des grandes crises du XIXe siècle comme le mildiou de la pomme de terre en Irlande, responsable de la Grande Famine. Les rendements, qui se sont envolés jusqu’à la fin des années 90, puis ont stagné, pourraient se réduire sous l’effet des crises climatiques. « Quand on utilise massivement des pesticides, on génère des résistances. Donc, de toute façon, les pesticides vont perdre leur efficacité », explique à l’AFP Christian Huyghe, directeur scientifique à l’Inrae.

Après le Grenelle de l’Environnement, la France fixe en 2008 un objectif de réduction de 50% de l’usage des pesticides de synthèse en dix ans. Les deux plans successifs mis en œuvre, Ecophyto 1 et 2, se sont soldés par des échecs. Mais une dynamique est lancée. En 2014, des produits phytopharmaceutiques sont interdits dans les jardins et espaces publics.

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L’année suivante est confiée à l’agence sanitaire Anses, outre sa mission de contrôle, la charge de l’autorisation de mise sur le marché des pesticides. Depuis, la grande majorité des molécules les plus toxiques (CMR1 et 2), qualifiées de « poison » par les ONG environnementales, ont été retirées.

Logiques contraires

Le plan français Ecophyto 2030 maintient l’objectif de réduction de moitié des usages (par rapport à la période 2015-17), mais veut aussi préserver la compétitivité en cherchant des solutions alternatives à 75 molécules — représentant près de 80% des volumes vendus en France, selon l’Inrae — qui sont les plus exposées à un risque de retrait du marché dans les 5-7 prochaines années. Mais les céréaliers contestent ce plan, qui selon eux ne reflète pas les efforts de réduction déjà consentis, de « -46% en 20 ans ». « A partir du moment où on remplace un produit efficace, mais considéré comme nocif, par un produit moins efficace, on est obligé de le passer plus souvent dans les champs », affirme Éric Thirouin, représentant des producteurs de blé.

Pour le chercheur de l’Inrae, il faut sortir de cette « logique par substitution ». « Par exemple, est-ce qu’on peut faire en sorte demain de ne désherber que la moitié d’une surface, d’avoir une combinaison entre baisse des phytos et désherbage mécanique », ce qui permettrait de « ralentir le processus d’émergence de résistance ? », propose-t-il.

« Distorsions de concurrence »

Pour les syndicats majoritaires, ces changements, « pas du tout simples », se solderaient par une chute de la production et une destruction des filières. Ils se réjouissent du renouvellement de l’herbicide controversé glyphosate, de l’échec du projet législatif européen sur les pesticides cet automne, et ont salué un vote du Parlement européen début février pour ouvrir la voie aux nouvelles techniques d’édition du génome (NGT), qualifiés de « nouveaux OGM » par leurs détracteurs. Mais ils dénoncent toujours des « distorsions énormes de concurrence » au sein de l’UE, jugeant que la France est allée seule plus loin et trop vite.

Daniel Sauvaitre, de l’interprofession des fruits et légumes, a ainsi « une très grande crainte pour la production de pommes, avec la fin annoncée pour 2026 du Movento, qui permet de contrôler le puceron cendré »: « nos voisins peuvent utiliser d’autres molécules autorisées en Europe mais pas nous, car la France les a interdites ».

Les betteraviers français, privés de l’insecticide néonicotinoïde acétamipride, qui reste utilisé en Allemagne, ont réclamé sa réautorisation. Pas question de « revenir en arrière », a toutefois tranché début février le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau. Tiendra-t-il longtemps cet engagement face à la mobilisation des lobbies du sucre ?

Rétropédalages

D’autant que, dès le 1er février, face aux manifestations d’agriculteurs dans tout le pays, le gouvernement avait déclaré mettre « en pause » le programme Écophyto jusqu’au Salon de l’agriculture. Une façon de gagner du temps. L’exécutif avait ensuite annoncé que l’indicateur de calcul actuel, appelé le Nodu (nombre de doses unités), ne permettait pas les comparaisons avec les autres pays européens. Autrement dit, qu’il fallait le remplacer par un référentiel européen, le HRI1 (indicateur de risque harmonisé). Celui-ci pondère les quantités de pesticides utilisées par un coefficient, censé refléter leur dangerosité. Les ONG environnementales s’étaient opposées à ce choix, estimant que le changement d’indicateur allait mesurer une réduction des pesticides complètement artificielle.

« L’abandon de l’indicateur Nodu signe un nouvel échec politique, sanitaire et environnemental. L’agriculture est dépendante des pesticides, et plutôt que de l’aider à en sortir, le gouvernement laisse faire », s’est insurgé le WWF sur le réseau social X.

La communauté scientifique est profondément inquiète des retropédalages du gouvernement sur ces questions qui ne font que retarder la « bifurcation indispensable vers des activités humaines soutenables, enviables et respectueuses des communs tels que l’eau, les sols, l’air et la biodiversité. » Dans une tribune au Monde, plus de 1000 d’entre eux rappellent que « les conséquences de la pollution diffuse causée par les intrants de synthèse (fertilisants minéraux, pesticides de synthèse), dont les coûts sont indexés à celui de l’énergie, ainsi que la poursuite de la dégradation des écosystèmes tels que les zones humides, les haies, les sols, les cours d’eau et les nappes, sont unanimement reconnues par la communauté scientifique comme délétères pour la santé humaine et environnementale, la biodiversité et le fonctionnement des agroécosystèmes et des écosystèmes connexes ».

Une inquiétude qui n’est pas sans fondement : une étude publiée par l’ONG Générations futures ce 22 février révélait que 73.1 % des fruits non bio vendus en France contiennent des résidus de pesticides, les légumes en contiennent quant à eux 45.8 %. Chaque jour, des annonces de grands distributeurs paraissent dans la presse pour rappeler des produits contaminés. Hier, 25 février, c’est Leclerc qui rappelait massivement des lots d’orange dont la teneur en pesticides les rendait impropres à la consommation.

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Des poisons qu’on aurait dû éliminer depuis longtemps

Dans une enquête de UP’ Magazine sur le marché (juteux) des pesticides, nous citions les propos de  Baskut Tuncak, le rapporteur spécial des Nations unies sur les substances toxiques et les droits de l’homme. Il rejette fermement l’idée que les risques posés par les pesticides puissent être gérés en toute sécurité. « Il n’y a rien de durable dans l’utilisation généralisée de pesticides très dangereux pour l’agriculture », déclare-t-il. « Qu’ils empoisonnent les travailleurs, éteignent la biodiversité, persistent dans l’environnement ou s’accumulent dans le lait maternel, ils ne sont pas durables, ne peuvent pas être utilisés en toute sécurité et auraient dû être éliminés progressivement depuis longtemps ».

Il poursuit, en forme d’alerte : « Nous sommes au milieu d’une explosion invisible de l’utilisation des pesticides dans les pays à faible et moyen revenu qui sont mal équipés pour gérer de tels risques.

Les gouvernements n’ont pas la capacité suffisante pour surveiller les conditions dans d’innombrables fermes et plantations, analyser les échantillons alimentaires et environnementaux, suivre la santé des travailleurs saisonniers et migrants, enquêter sur les allégations de faute grave dans les fermes et les plantations, ou vérifier l’intégrité des informations fournies par les scientifiques financés par l’industrie. Des témoignages des travailleurs à l’effondrement de la biodiversité, les impacts sont incontestables, mais le système est truqué de telle sorte qu’ils sont également impossibles à prouver ».

Ces propos démontrent si besoin était que la conservation d’un modèle d’agriculture industrielle basé sur des cultures imprégnées de pesticides toxiques n’a qu’un intérêt : celui des entreprises qui fabriquent ces produits. Ces derniers n’ont pas leur place dans un monde qui se veut durable et dans des sociétés qui veulent assurer un environnement vivable et une alimentation saine à leurs citoyens. Comme toujours, c’est ici affaire de résistance face aux pressions des lobbies qu’ils soient agrochimiques ou agricoles.

Alexandre Aget, UP’ Magazine

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