Les fermes familiales, auxquelles les Nations unies dédient l’année 2014, constituent le premier employeur mondial du domaine agricole. Et bien souvent l’avant-garde de l’innovation écologique.
Pas moins de 2,6 milliards de personnes y travaillent… L’agriculture familiale, loin de l’image poussiéreuse qu’on lui confère, fournit 70 % des denrées alimentaires mondiales ! Et ce, majoritairement grâce au travail des membres de la famille, les fermes familiales n’employant pas ou peu de salariés externes permanents selon l’ONU, qui leur consacre l’année 2014. Si elles disposent généralement de très petites surfaces, moins de 1 hectare pour la plupart, elles représentent pourtant 98 % des exploitations agricoles mondiales.
À contre-courant de l’agriculture intensive
Face à une agriculture industrielle ultra-productive, l’agriculture familiale s’impose donc malgré tout. Un combat de David contre Goliath, déjà gagné sur le plan écologique par les fermes familiales. « Ce type d’agriculture propose un système d’exploitation moins prédateur pour la planète », explique Jean-Michel Sourisseau (1), chercheur en agro-économie au Cirad (2), à Montpellier.
À contre-courant d’une agriculture intensive concentrant la terre et uniquement tournée vers les marchés mondiaux, ces exploitations peuvent s’affranchir de la politique productiviste. Et c’est bien là leur force. Cette indépendance les aiguille vers un plus grand respect des écosystèmes et une production plus pérenne. « La transmission des savoirs de génération en génération y est très importante, note Jean-Michel Sourisseau. Les terres familiales, qui font partie du patrimoine, sont davantage respectées. La substitution des pesticides par des moyens de production plus naturels y est, par exemple, fréquente, ce qui peut inspirer l’agro-écologie moderne. Sans cesse à la recherche d’aliments de qualité, la famille consomme le plus souvent ses propres produits. »
Au-delà de cela, les 500 millions d’exploitations familiales mondiales favorisent aussi la commercialisation de proximité en réduisant la distance entre lieu de production et lieu de consommation. Et, à l’inverse des multinationales agricoles, leurs cultures sont rarement monospécifiques. Une abondance d’espèces cultivées qui favorise la biodiversité. Elles fournissent d’ailleurs la majeure partie de notre riz, de notre cacao et de notre café, généralement issus du commerce équitable.
Alors que certains prédisaient leur disparition, les fermes familiales inspireraient donc le monde agricole de demain. C’est déjà le cas en France, où ce modèle suscite des vocations. Dans un pays où le nombre d’agriculteurs a été divisé par deux en vingt ans et dans lequel 80 % des exploitations possèdent encore une racine familiale, les jeunes agriculteurs français sont nombreux à se tourner vers la filière bio ou les cultures alternatives. Des solutions parallèles qui permettent à de nouvelles formes d’agriculture familiale de se déployer.
Revente dans un supermarché de produits issus de l’agriculture familiale, au Vietnam. Revente dans un supermarché de produits issus de l’agriculture familiale, au Vietnam. ©J.-C. MAILLARD/CIRADIMAGES
Des atouts encouragés par l’ONU
2014 marque l’année internationale de l’agriculture familiale. « Cette initiative des Nations unies donne l’occasion de mettre en lumière ces exploitations. Trois objectifs principaux la rendent honorable : changer la perception du public sur ce type d’agriculture, diriger des recherches dans leur sens, et bien sûr préconiser des politiques publiques agricoles adaptées aux niveaux national et international », précise Jean-Michel Sourisseau, qui coordonne cette année internationale pour le Cirad.
Des objectifs qui se répercutent sur le terrain. Côté recherche, de nombreux projets sont menés dans le monde, notamment par des chercheurs français. Par exemple, des fermiers familiaux de régions semi-arides malgaches et zimbabwéennes ont fait équipe ces dix dernières années avec des scientifiques. Leur but ? Améliorer la productivité du sol cultivé à travers l’agriculture de conservation. « Pour éviter le trop grand travail des sols, le labourage est minimisé au profit de plantes de couverture qui protègent naturellement la terre », indique Jean-Michel Sourisseau.
Une famille de maraîchers à Nkolondom, au Cameroun. ©S. SIMON/CIRADIMAGES
Parallèlement, des fermiers sud-camerounais ont expérimenté l’alternance entre terrain cultivé et terrain en jachère. Une méthode séculaire, aujourd’hui largement abandonnée par l’agriculture classique en proie à la surproduction. Le gel des sols est pourtant nécessaire, puisqu’il permet le reboisement local et la régénération des terrains. Cette reforestation, fortement utilisée par les familles des régions sèches, permet de créer un microclimat humide et frais autour des cultures. Actuellement, les chercheurs français étudient les modèles complexes qui régissent ces rotations entre jachère et culture dans le but de diffuser ce système ailleurs.
Encore de nombreux défis à relever
Côté politique, beaucoup reste encore à faire… Avec l’appui du programme d’aide de l’ONU, les exploitations familiales pourraient bénéficier de soutiens multiples : assistance technique, ressources technologiques, mais surtout politiques agricoles et rurales mieux adaptées. Des mesures qui aideront à contrebalancer les coûts, à court terme, de l’application de telles transformations technologiques.
« Le plus important est de renforcer l’aide aux infrastructures, qui reste peu développée dans les pays du Sud », insiste Jean-Michel Sourisseau. Pour y remédier, les chercheurs français soutiennent de nombreuses associations d’agriculteurs à travers le monde – dont, depuis 2007, les cultivateurs de coton péruviens et les producteurs de lait égyptiens. Ils mènent à bien des études, notamment sur les moyens qui permettraient d’installer au mieux des coopératives agricoles, structures indispensables pour soutenir les fermes dans le transport et le stockage de leur récolte. Des initiatives encore trop faibles, surtout dans les pays les plus pauvres. « Un investissement public est nécessaire, pour implanter par exemple des lieux de dépôt, des réseaux routiers ou des marchés », souligne Jean-Michel Sourisseau.
En France, la région de Montpellier héberge de nombreuses équipes de recherche travaillant sur et avec l’agriculture familiale. Elles s’investissent pour le développement de ces cultures à travers le monde. « Pour que l’agriculture familiale soit promue partout sur la planète. Même au-delà de cette année internationale ! », espère Jean-Michel Sourisseau. Dans ce sens, des rencontres internationales « Agriculture familiale et recherche » sont organisées à Montpellier, du 1er au 3 juin prochains (3). Les chercheurs travaillent désormais main dans la main avec les acteurs agricoles mondiaux : la FAO (4), l’Ifad (5) espèrent faire de l’agriculture juste et durable une réalité.
Arby Gharibian et Léa Galanopoulo – Journal du CNRS – 28 Mai 2014
Notes
(1) Chercheur au Cirad, Jean-Michel Sourisseau étudie le fonctionnement et les stratégies des exploitations agricoles, dans une perspective de développement local et d’appui aux politiques agricoles et rurales. Il coordonne les recherches et les publications du Cirad pour l’Année internationale des Nations unies en faveur de l’agriculture familiale.
(2) Acteurs, ressources et territoires dans le développement (CNRS/UM1/Univ. Paul-Valéry/UPVD/Cirad).
(3) Rencontres organisées par les organismes de recherche du pôle Agropolis international, avec le soutien du ministère des Affaires étrangères et du ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt.
(4) Food Agriculture Organization of the United Nations.
(5) International Fund for Agricultural Development.
– Livre « Agricultures familiales et mondes à venir« , Jean-Michel Sourisseau, Éditions Quæ, coll. « Agricultures et défis du monde », février 2014, 360 p.