Une ferme à Paris ?! SOA Architectes l’a fait… Urbanana est une ferme urbaine, imaginée et conçue après des années d’études et de recherche via le Laboratoire d’Urbanisme Agricole. Depuis 2005 et notamment après avoir remporté le concours Cimbéton avec le projet de la Tour Vivante, SOA anime une cellule de recherche sur la question des fermes urbaines. Ces travaux prospectifs interrogeant les questions de la densité et de la production agricole en ville sont menées comme des études de cas au travers desquels se dégagent des scénarios riches.
Des travaux qui seront bientôt présentés au sein d’un ouvrage* composé d’une dizaine de projets de fermes verticales s’érigeant au-dessus des toits parisiens.
Le concept de ferme verticale fut inventé en 2005 par le professeur Dickson Despommier, de l’université Columbia à New-York. Le sujet de fermes urbaines est souvent cantonné au développement de potagers collectifs ou à la mise en oeuvre de murs végétaux. Les architectes français abordant le sujet de l’agriculture en ville ne sont pas nombreux.
Urbanana est une ferme qui propose une large variété de bananes, aujourd’hui absentes du marché européen en raison de contraintes de mûrissage et de transport. Cultivant des espèces inexistantes en France métropolitaine, cette exploitation intègre un laboratoire de recherche et un espace d’exposition mettant en valeur la filière de la banane. Ayant recours à un éclairage de croissance plus qu’à l’éclairage naturel, son insertion urbaine est peu contrainte et peut se faire plus discrète en adoptant le gabarit du tissu urbain dans lequel elle s’implante. Nichée entre des bâtiments d’habitation, c’est avant tout un projet de façade.
Sa production agricole s’effectue sur une chaîne de rotation qui occupe la totalité de l’espace sur l’équivalent de six étages. Hormis quelques passerelles techniques, un lieu d’exposition ainsi qu’une partie dédiée à la récolte et au traitement des déchets au rez-de-chaussée, cette ferme s’affranchit de la contrainte des planchers. Elle exploite ainsi la lumière naturelle ou artificielle de façon globale. L’absence d’étages et l’occupation de l’espace par les plantations fabriquent une expression architecturale propre à la Ferme Verticale.
En outre, la façade est un élément totalement indépendant qui doit à la fois se porter et assurer un maximum de transparence. Ouverte au rez-de-chaussée qui accueille le public, elle expose les plantations à la vue en partie supérieure et se poursuit en toiture. La grande dimension de cette enveloppe vitrée est portée par une structure tridimensionnelle métallique. Cet ensemble de grande échelle s’apparente davantage à la serre botanique qu’au langage uniquement fonctionnel et économique de la serre agricole.
L’ensemble de ses caractéristiques font d’Urbanana une exploitation agricole facile à insérer dans le tissu urbain. Elle s’implante entre des murs mitoyens et marque parfaitement l’alignement à la manière d’un immeuble tertiaire. Pourtant, sa transparence et son absence de planchers amènent une respiration et une profondeur à l’espace dense et contraint de la rue parisienne.
Elle offre visuellement un parc vertical à proximité immédiate de la rue. Ce paysage végétal est d’autant plus marquant qu’il est constitué d’arbres fruitiers disposés dans l’espace et largement éclairés. Cette lumière puissante, condition indispensable à la croissance de la banane, profite à l’espace public et se substitue le soir à l’éclairage urbain.
Le caractère technique et mécanisé de la production destine Urbanana à une exploitation intensive par un producteur qualifié.
Pourtant, au vu de sa dimension technique et de l’outillage en jeu, la vocation de cette exploitation dépasse la simple production. En effet, Urbanana met en valeur la filière en exploitant plus largement les vertus de la banane. Les transformations du fruit sont diverses comme la production de billets à partir de sa peau ou l’élaboration de produits cosmétiques et thérapeutiques dérivés de son essence. En somme, son fonctionnement économique s’appuie sur la mise en valeur de la filière plutôt que sur l’unique vente du fruit.
Si l’exploitation de la banane est très mécanisée et demande peu de main d’œuvre, la mise en valeur de la filière crée des emplois et demande des qualifications diverses.
D’un point de vue pédagogique, Urbana est une sorte d’ambassade de la banane ou l’on découvre la multitude des variétés existantes trop fragiles pour être transportées jusqu’en France. L’objectif de cet établissement n’est pas uniquement dédié à la production alimentaire , il s’oriente particulièrement vers la question de la saveur et de la texture des fruits, leur origine, leur nom, leur histoire…
Si Urbanana peut revendiquer une réduction considérable d’émission de gaz à effet de serre et une offre de variétés inédite par rapport à la distribution classique, cette entreprise montre tout autant les conséquences de la consommation d’un fruit qui pousse à l’autre bout de la planète ; un bâtiment mécanisé et chauffé atteindrait un bilan global de pollution inférieur au simple transport du fruit depuis les Antilles…
Or la banane est devenue, comme d’autres espèces exotiques, une base culturelle quasi incontournable de notre alimentation. C’est pourquoi elle a vocation à rester sur le marché européen mais également à devenir un produit de luxe.
Mais la question primordiale que pose un tel dispositif est l’impact sur l’économie des pays producteurs de banane. Et la question n’est pas simple. Si les Antilles ont fait de la banane une ressource déterminante de leur économie, la culture intensive engendre des dérives considérables en matière d’environnement. La productivité recherchée à tout prix, le retard de gestion des déchets, la sollicitation des sols et les méthodes de conditionnement menacent aujourd’hui ces régions de faillite générale.
Il sera pour autant difficile d’envisager Urbanana comme le relais de la mise en place d’une culture raisonnée de la banane aux Antilles.
Révélant la banane comme un produit de luxe, Urbanana est difficilement réplicable en tant que ferme de production alimentaire de grande échelle. Son dispositif mécanique, son chauffage et son éclairage artificiel en font plus un équipement culturel ou une ferme pédagogique.
Depuis 2001, SOA Architectes pratique et revendique la diversité en s’appuyant sur les parcours personnels de Pierre Sartoux et d’Augustin Rosenstiehl : architecture, design, ethnologie, urbanisme et art conceptuel.
A travers ses réalisations, l’agence tente de dévoiler les richesses des lieux dans lesquels elle intervient et développe le sens symbolique et narratif du programme. Ceci tout en formulant une prospective environnementale au travers de propositions qui allient les hautes technologies et les savoir-faire ancestraux.
La production de SOA Architectes est néanmoins marquée par trois volontés majeures :
• Développer une forte démarche théorique fondée sur un travail d’analyse architecturale et sociologique.
• Approfondir de manière innovante et respectueuse des contextes l’esthétique architecturale et urbaine.
• Appliquer une démarche environnementale et équitable dès les premières esquisses
* : Ouvrage qui sera conçu en collaboration avec différents experts : philosophes, sociologues, producteurs, artistes, architectes et une collaboration aussi avec la SAF (Société des Agriculteurs de France).
Pour aller plus loin :
– Le courrier de l’architecte : http://www.lecourrierdelarchitecte.com/article_1662
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