Régis Marcon, chef étoilé (1), signe une tribune ce lundi 20 avril, publiée dans Le Figaro, pour demander « un déconfinement partiel de la restauration responsable ». Entouré par 17 des plus grands chefs de renom de la restauration française (2), il appelle à sauver « plus d’un million d’emplois ». Une tribune au nom de toute la profession, pas uniquement pour les 1 800 restaurants regroupés au sein du « Collège culinaire » (3), institution garante d’un savoir-faire gastronomique à la française, qui promeut une démarche militante de « Restaurant & Producteur Artisan de Qualité », mais bien pour sauver une culture du goût, de la tradition et des plaisirs de la table pour les 160 000 restaurants français.
En 2010, la gastronomie française est classée « patrimoine culturel immatériel de l’humanité » à l’UNESCO. Même si, en 2006, The Telegraph publiait un article basé sur une enquête du Wall Street Journal menée dans 20 pays, selon laquelle « le monde tourne le dos à la cuisine française ». Même si, en 2014, le New York Times publiait aussi un article intitulé « Can Anyone Save French Food ? » (Qui peut sauver la cuisine française ?) qui prétendait que la cuisine française était devenue fade et prévisible, que 70 % des repas des restaurants français étaient préparés hors site (parfois même surgelés).
Même si … comme le précise The Guardian dans un article de juillet 2019, les Français chérissent toujours leur gastronomie et restent très attachés à la culture du terroir, qui met en avant des vins et des produits locaux. Certains dérapages « clichés » sont pointés du doigt pour une catégorie de bistrots aux traditionnelles nappes à carreaux rouges et blancs et aux menus à la craie alors même qu’ils « préparent » un bœuf bourguignon au micro-ondes… En 2010, lorsque le repas du restaurant français a été ajouté à la liste du « patrimoine culturel immatériel » de l’Unesco, l’article rappelle « qu’on a eu l’impression que le restaurant français était devenu une pièce de musée, et une parodie de lui-même. »
Et c’est aussi tout le propos que l’appel des 17 chefs : utiliser la crise sanitaire actuelle qui les met en danger depuis leur fermeture le 15 mars dernier pour remettre à l’honneur la cuisine et les restaurants français qui représentent depuis longtemps un élément essentiel de l’identité nationale. Mais en innovant ; c’est-à-dire savoir à la fois gérer la tradition et ce qu’il faut conserver et ce qu’il faut actualiser, tout en proposant des conditions de sécurité face à la crise du coronavirus et le déconfinement des populations.
Renouer avec la terre et ses richesses
Pour le chef Marcon, il s‘agit aussi et surtout de soutenir l’achat de produits régionaux durant la crise sanitaire et les circuits courts. En cuisine, ce qui compte avant tout c’est le goût de la nourriture. Pour ce faire, c’est simple : il faut consommer frais et de saison. Il n’y a pas de production industrielle en ferme, donc plus de choix dans les variétés. A condition évidemment de se donner la peine de tester. Savez-vous par exemple qu’il existe des milliers de variétés de pommes ? Combien pourtant en trouvez-vous facilement en supermarché ?
C’est donc une démarche essentielle sur un plan écologique mais également sur un plan gustatif : manger local signifie aussi découvrir de nouvelles saveurs car les produits locaux sont souvent récoltés à maturité, et acheminés le jour-même vu qu’il n’y a pas besoin de long transport. Résultat : quand ils arrivent dans le panier du restaurateur et plus tard dans notre assiette ils sont on ne peut plus savoureux…
Le chef Régis Marcon veut aussi se souvenir des principes fondateurs de sa discipline : le service et la générosité envers la clientèle. Sur France Inter ce matin, il précise : « Nous avons tout intérêt à prendre le plus de précautions nécessaires ». Il définit cette tribune à la fois comme une « préparation de l’avenir et un cri du cœur » de restaurateurs en détresse, craignant la disparition de petits restaurants qui constituent, selon lui, le maillon économique et dynamique dans bon nombre de petits villages.
La cuisine n’est vraie que lorsqu’elle nous rapproche de la nature
Régis Marcon
« Monsieur le Président, les chefs vous demandent de rouvrir les restaurants ! »
« Monsieur le Président de la République, le secteur de la restauration, garant, hier, de plus d’un million d’emplois, est, aujourd’hui, à l’arrêt. Beaucoup d’entre nous risquent de ne pas être en mesure de se relever si la cessation de leur activité se poursuit. Malgré cela, de nombreux restaurants et producteurs, gardiens engagés de notre patrimoine culinaire artisanal, malgré leur grande détresse économique, se sont engagés bénévolement pour soutenir les personnels hospitaliers qui, chaque jour, sauvent des vies.
Le Collège culinaire de France s’emploie depuis un mois à bâtir un nouveau modèle économique pour les restaurants, modèle qui tire toutes les leçons de cette épreuve aussi brutale qu’inédite. Il s’agit de jeter les bases d’une restauration encore plus citoyenne, encore plus engagée, à haute valeur sanitaire, bonne pour notre santé et celle la planète.
Nous attendons, Monsieur le Président de la République, que soit promulgué dès que possible un décret de « déconfinement partiel de la restauration citoyenne responsable ». Celui-ci incitera l’univers de la restauration, du bistrot de quartier à l’établissement étoilé, à suivre et à développer le nouveau modèle que nous entendons promouvoir. Notre ambition ? De nouvelles pratiques d’excellence en matière de santé alimentaire, au sens large, conformes aux attentes sociales et environnementales du nouveau monde qui advient.
Cinq engagements : Le Collège culinaire de France propose cinq grands engagements, que les restaurants citoyens, déconfinés au plus tôt, s’engagent à respecter. Ce vademecum de la restauration de demain sera consigné dans un livret approuvé par le ministère de la Santé, lequel pourra contrôler sa mise en œuvre. L’attestation d’ouverture dérogatoire sera remplie par le restaurateur, affichée sur la devanture : un engagement visible, revendiqué, à côté du menu.
Nous souhaitons sensibiliser, chaque matin, tout le personnel, à travers une réunion de retour d’expérience sanitaire de la journée précédente. À chacune de ces séances d’une trentaine de minutes, le responsable de l’établissement rappellera les différents points de pratiques et de comportements imposés, et s’assurera de leur observation systématique.
Nos clients doivent être sensibilisés et rassurés : à chaque réservation, nous leur adresserons une vidéo ou un courriel de présentation des mesures de sécurité sanitaire en pratique dans l’établissement. Le client et le restaurateur seront ainsi unis dans un pacte d’engagement mutuel, pour respecter ces mesures à la lettre.
Nous devons tous, à présent, afficher une totale transparence sur l’origine des produits que nous utilisons, mais aussi sur les méthodes de production. Beaucoup de restaurateurs font déjà cet effort : cela doit devenir une règle universelle.
En outre, il convient de s’approvisionner uniquement en produits frais bruts payés au juste prix, rapidement, à nos producteurs-artisans. La liste des produits utilisés dans la confection des plats devra être disponible pour les clients, sur simple demande, ainsi que les coordonnées de contacts de nos producteurs-artisans.
La crise actuelle nous conduit également à revoir les normes sociales. À la réouverture, il faudra partager, sans discrimination, le temps de travail dans le restaurant, en fonction du nombre de personnes nécessaire à la reprise de l’activité. Autrement dit, instaurer une rotation pour que chaque salarié puisse bénéficier de la même reprise de temps de travail. Cela permettra d’alléger le coût du chômage partiel, en bonne intelligence avec le ministère du Travail.
Nous subissons tous, comme des millions de Français et la plupart des secteurs de l’économie, les conséquences d’une crise sans précédent. Il serait illusoire de chercher à retrouver le monde d’avant le Covid-19. Il est temps, en revanche, d’écouter enfin les alertes maintes fois répétées, dans un silence assourdissant, au sujet des bonnes pratiques qu’il n’est plus possible d’ignorer. C’est ce à quoi nous nous engageons.
Monsieur le Président de la République, aidez-nous à faire de cette épreuve terrible une opportunité pour inventer un monde meilleur dans lequel nous aurons plaisir à vivre. Rouvrez les restaurants. Et réinventons la gastronomie et la convivialité citoyenne à la française. Nous sommes prêts. »
(Source : Collège culinaire de France)
Au ministère de l’Économie et des Finances, on appelait il y a quelques jours le secteur à faire des propositions sur les conditions de la réouverture. « Je n’ai pas la réponse pour la reprise mais le plus tôt sera le mieux. Mais il faudra pour cela rétablir la confiance. On va réunir un groupe de travail pour étudier les conditions de réouverture. Et je propose d’ouvrir un site internet dédié pour que les restaurateurs nous fassent leurs propositions sur les conditions sanitaires. S’il y a un secteur dans lequel les reports de charges sociales et fiscales doivent se transformer en annulation, c’est bien celui de la restauration. », avait ainsi indiqué Bruno Lemaire le 16 avril.
Dont acte.
Pour aller plus loin :
- Faire des pâtes : Voir la recette des pâtes « à la Marcon » spéciales confinement
- Cuisiner les légumineuses avec Marcon
(1) Trois étoiles au Guide Michelin pour son restaurant L’auberge-des-cimes à Saint-Bonnet-Le-Froid (Haute-Loire) depuis 2005 – 19/20 au Gault et Millau, cinq toques depuis 2009, cuisinier de l’année en 2001, …
(2) Tribune signée par Yannick Alléno, Frédéric Anton, Christophe Bacquié, Georges Blanc, Éric Briffard, Arnaud Donckele, Alain Ducasse, Éric Frechon, Gilles Goujon, Michel Guérard, Marc Haeberlin, Régis Marcon, Anne-Sophie Pic, Éric Pras, Emmanuel Renaut, Guy Savoy, Mathieu Viannay et Alain Dutournier.
(3) Le Collège culinaire de France a été fondé par quinze chefs français en 2011, avec pour vocation de promouvoir la qualité de la restauration en France et dans le monde. Indépendant des pouvoirs publics et de l’industrie agroalimentaire, le réseau compte à ce jour 1800 restaurants de qualité (bistrots ou étoilés, petites auberges ou grandes tables) et 900 producteurs-artisans de qualité.