Finis les clafoutis, les compotiers remplis de cerises gorgées de soleil sur les tables de jardin cet été. Finies les corbeilles de cerises aux étals des marchés. Certes on en trouvera peut-être encore, mais à 50 € voire plus… De la cerise presque au prix du caviar, c’est pour bientôt. La raison ? Un petit moucheron, la drosophile suzukii, d’une part, un insecticide, le Diméthoate, d’autre part ,et enfin une bataille rangée entre arboriculteurs, gouvernement et Commission européenne. Dernières nouvelles d’une illustration symptomatique des difficultés à concilier agriculture traditionnelle, santé publique et économie.
La drosophile suzukii est un petit moucheron d’à peine 2mm, arrivé en France récemment, en 2010, et qui a la fâcheuse habitude de s’attaquer aux fruits rouges et en particulier aux cerises. Il se reproduit à une vitesse fulgurante et un nuage de ces bestioles est capable d’anéantir la totalité de la production d’un verger. Circonstance aggravante, les moucherons attaquent quand le fruit est ben mûr, prêt pour la récolte. Il le fait d’autant plus que le climat est doux, ce qui est particulièrement le cas par nos temps de réchauffement climatique.
Jusqu’à présent, il y avait une arme fatale contre le suzikii. Un insecticide organophosphoré, le Diméthoate. Il est radical pour protéger les cerises contre ce parasite vorace. Mais ce produit est dangereux pour l’homme, les oiseaux et les mammifères. Il attaquerait le système nerveux central et le sang. Ce produit a donc soulevé des inquiétudes légitimes dès 2012, et notamment au Canada. En France, l’Anses -notre agence de sécurité des aliments- a voulu en avoir le cœur net. En 2013, l’Europe, à son tour, s’en est préoccupé. Et puis l’an dernier, c’est Paris qui a refermé le dossier sans attendre la décision européenne, toujours très longue dans ses procédures. Conclusion sans appel du gouvernement français : ce produit est trop dangereux pour la santé publique et l’environnement. Depuis le 1er février, les arboriculteurs n’ont donc plus l’autorisation de traiter leurs cerisiers avec cet insecticide.
Le problème est que l’hiver a été très doux et que nos cerisiers sont menacés. Les arboriculteurs disent ne pas avoir d’autres armes que le Diméthoate pour lutter contre ce satané moucheron. Selon eux, il existe bien quelques autres molécules chimiques alternatives et encore autorisées, comme les spinosines ou le cyantraniliprole, mais ils sont d’une faible efficacité et d’un coût 8 à 10 fois plus élevé que le Diméthoate.
L’autre solution consistant à disposer des filets anti-moucherons sur les arbres fruitiers est une solution jugée irréaliste car très onéreuse : 20 à 30 000 euros par hectare.
Les agriculteurs sont désemparés : « Nous risquons de faire faillite. L’État a accordé à mon fils le droit de s’installer mais ne lui donne pas les moyens pour lutter contre la drosophile suzukii », déplore à l’AFP François Soubeyran de la FDSEA Ardèche. Ses 20 hectares de cerisiers représentent 96% de son revenu.
La situation est d’autant plus dramatique que les agriculteurs craignent de voir arriver cet été sur le marché, des cerises étrangères, à moindre prix, car elles ne sont pas concernées, elles, par l’interdiction du Diméthoate.
Face à cette situation, et ne voyant pas d’autres issues que d’abattre leurs arbres à la tronçonneuse (ce que certains arboriculteurs du Luberon ont déjà commencé à faire la semaine dernière), les agriculteurs demandent un moratoire : l’autorisation d’utiliser encore un peu le Diméthoate pour traiter ce mois-ci la production de cette année.
Le gouvernement, en la personne du ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll en a décidé autrement. Assurant qu’il s’agit pour lui de préserver les intérêts économiques des producteurs tout en protégeant le consommateur, il a demandé à la Commission européenne d’interdire en urgence le Diméthoate dans toute l’UE, ainsi que la mise sur le marché de cerises provenant de pays ou d’États membres dans lesquels l’insecticide est autorisé.
Le ministre donne un ultimatum de sept jours à la Commission européenne ; sans réponse de sa part, la France déclenchera une procédure de sauvegarde.
C’est ce qui s’est passé vendredi. La France n’a obtenu aucune réponse de Bruxelles. Le ministre a donc décidé d’interdire purement et simplement l’importation de cerises traitées au Diméothate. Ce type de mesure est déclenchée très rarement, ce qui en souligne l’exemplarité.
La France avait saisi la Commission européenne depuis le 1er mars pour interdire cette molécule afin d’éviter toute distorsion de concurrence entre les producteurs européens. L’Italie et l’Espagne ont déjà interdit ce produit mais d’autres pays producteurs s’en servent encore. Face à cette demande, la Commission avait saisi l’EFSA, l’autorité européenne de sécurité des aliments. Mais celle-ci, soumise comme d’habitude à l’intense pression des lobbies industriels de la chimie, a encore une fois botté en touche, prétextant « l’absence de données » concernant les effets de cette molécule sur la santé des consommateurs.
« Le Diméthoate reflète de manière très explicite que, pour sortir des pesticides, il y a un problème de coût », souligne à l’AFP Emmanuel Aze de la Confédération paysanne. Cette organisation demande donc une prise en charge partielle des pertes et un plan national d’aide pour financer l’installation des filets.
Cette solution est, on le comprend, une mesure temporaire qui ne peut durer. Le fond de la question est de mesurer comment les agriculteurs parviendront à sortir des méthodes de culture qu’ils avaient pris l’habitude de pratiquer pour satisfaire aux demandes de la consommation et de la distribution intensive. Vouloir une alimentation saine ne passera pas seulement par les mesures de protection ou de sauvegarde ; cela passera nécessairement par une remise en question des habitudes de production et, conséquemment de nos habitudes de consommation.
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