La toute prochaine réforme de la PAC s’oriente à nouveau vers un soutien accru à l’industrialisation de l’agriculture. Sans prise de conscience de nos eurodéputés, les paysans, les citoyens et l’environnement pâtiront encore de notre modèle agricole jusqu’en 2027. C’est le constat et l’analyse de la plateforme Pour une autre PAC qui, à une quinzaine de jours du vote de la réforme de la Politique Agricole Commune (PAC) au Parlement européen, s’inquiète sérieusement devant le manque d’ambition des députés européens, alors même que leur engagement sera crucial pour assurer l’avenir de notre système agricole et alimentaire.
Les 43 organisations membres du collectif Pour une autre PAC (1) appellent les eurodéputés, notamment français, à faire le choix d’une agriculture juste, durable et cohérente en changeant profondément la PAC. La plateforme alerte aussi les citoyens sur les enjeux et dangers de notre modèle agricole actuel, et les informe des mesures efficaces qu’il serait possible de faire adopter par le Parlement européen en se mobilisant.
La réforme de la PAC est l’affaire de tous. C’est uniquement ensemble que nous pouvons peser pour une vraie réforme et non une reconduction de notre modèle agricole en l’état.
La réforme de la PAC en bref
Depuis sa création, la Politique Agricole Commune est remaniée régulièrement pour s’adapter aux nouvelles règles commerciales et à la mondialisation de l’agriculture. Le processus pour aboutir à la réforme de la PAC dure longtemps et suppose l’implication de la Commission européenne, du Parlement européen et du Conseil de l’UE. Les modifications apportées à la PAC dépendent de nombreux facteurs dont la recherche de compromis entre les différentes couleurs politiques impliquées dans les négociations. Cela prévaut aussi bien pour les députés européens que pour les ministres de l’agriculture des États membres de l’UE.
Sur la réforme en cours, l’ambition de la majorité des États membres concernant la souveraineté alimentaire, la redistribution des aides et l’environnement est très basse, voire inexistante. La position de la France est plus progressiste que celle de la majorité des autres États membres, notamment sur le volet environnemental. La position française reste cependant bien en deçà du niveau d’ambition défendu par Pour une autre PAC qui craint également que celle-ci soit encore revue à la baisse dans la recherche de compromis entre les États membres.
La réforme de la PAC est l’affaire de toutes : politiques, paysans et citoyens
La crise sanitaire a mis en lumière notre profonde vulnérabilité : des campagnes vidées de leurs paysans et une alimentation dépendante de marchés mondiaux. Pourtant, ne pas produire notre alimentation est une folie. Comment comprendre qu’un pays comme le nôtre importe 50 % de sa consommation en fruits et légumes ? Que quelques secteurs agricoles puissent être paralysés faute de saisonniers roumains ou marocains sous-payés ? Que la France importe chaque année l’équivalent de la surface agricole de la Belgique en soja, majoritairement OGM, pour nourrir les animaux de certains élevages ? Cette crise a démontré l’urgence de reconquérir notre souveraineté alimentaire et de placer les territoires au cœur de cette stratégie.
Parmi la population, la prise de conscience est réelle. Les consommateurs ont entamé un rapprochement vers les producteurs pendant le confinement et cet élan perdure encore aujourd’hui : les magasins de producteurs ne désemplissent pas, les produits bio s’arrachent, etc. Les actes citoyens confirment un désir de denrées respectueuses de la santé publique, de l’environnement et de revitalisation des zones rurales. Désormais, ce sont aux actes politiques de refonder nos systèmes agricoles et alimentaires, à l’instar des « décisions de rupture » pour l’après-crise promises par Emmanuel Macron. Premier pays agricole européen, la France a la responsabilité d’être force de proposition pour engager une véritable refonte de la PAC en vue d’affronter efficacement les défis que nous vivons et qui nous attendent.
Il est urgent de mieux redistribuer les milliards de subventions de la PAC
Après négociations entre les différents groupes politiques du Parlement européen, les eurodéputés vont se positionner sur la réforme de la PAC lors d’un vote en plénière qui se déroulera entre le 19 et le 22 octobre 2020. 9 milliards d’euros, c’est le budget annuel de la PAC en France. Au total, la PAC représente, en 2020, 34,5 % du budget de l’Union (58,12 milliards d’euros).
« Il est urgent de mieux redistribuer ces milliards de subventions ! Aujourd’hui, nous redoutons la tournure que prennent les négociations au Parlement, alors même que cette institution est vue comme plus progressiste que le Conseil. Bien que tous les signaux confirment l’urgence de changer nos systèmes agricoles et alimentaires, nous sommes très inquiets du fait que les eurodéputés français ne revoient leurs ambitions à la baisse dans le seul objectif de trouver des compromis et ainsi asseoir une majorité pour le vote. » déclare Mathieu Courgeau, Président de la plateforme Pour une autre PAC.
Un statu quo sur la PAC condamnerait nos paysans à continuer à disparaître, et notre environnement à continuer à se dégrader encore jusqu’en 2027. Pour une autre PAC appelle les eurodéputés à changer la PAC en priorisant trois enjeux essentiels pour sortir notre agriculture de l’impasse. La PAC doit soutenir la souveraineté alimentaire de l’UE et à l’échelle des territoires, mais aussi la redistribution des aides entre paysans et productions, et l’accompagnement de la transition agroécologique.
Nous sommes tous concernés par la PAC qui sera votée cette année. Pour une autre PAC invite les citoyens à rejoindre la mobilisation européenne en interpellant leurs eurodéputés : Rendez-vous à partir du 12 octobre sur le site www.pouruneautrepac.eu pour exiger de nos élus un vote en faveur d’une agriculture plus juste et durable.
Trois enjeux phares et concrets doivent être priorisés avec l’appui de nos eurodéputés français
La PAC doit soutenir la souveraineté alimentaire de l’UE et à l’échelle des territoires :
Aujourd’hui, la PAC soutient un modèle exportateur basé sur la compétitivité et la productivité, incompatible avec la souveraineté alimentaire et la capacité des paysans à tirer un revenu décent de la vente de leur production.
==> La plateforme Pour une autre PAC demande à :
o ajouter la souveraineté alimentaire dans les objectifs de la PAC.
o autoriser l’utilisation de la mesure “aides couplées” pour les productions à développer, telles que les fruits et légumes frais et les légumineuses.
La PAC doit soutenir l’emploi et les zones rurales : La majorité des aides de la PAC sont allouées à l’hectare : plus une ferme est grande, plus elle touche d’aides. Cela incite à l’agrandissement des fermes et à la spécialisation des territoires. De plus, les petites et moyennes fermes touchent proportionnellement beaucoup moins d’aides par emploi que les grandes fermes. Enfin, le montant d’aide qu’une ferme perçoit par hectare varie selon le territoire dans lequel elle se situe (ex : 280€/ha en Picardie vs 170€/ha dans les Cévennes).
Pourtant, les défis auxquels la prochaine PAC devra répondre sont ceux de l’emploi en zone rurale et de la revitalisation des campagnes. Répondre à ces défis suppose de repenser la logique de distribution des subventions de la PAC.
==> La plateforme Pour une autre PAC demande à ajouter la souveraineté alimentaire dans les objectifs de la PAC par :
o le plafonnement des aides à l’actif obligatoire pour les États membres
o le paiement redistributif obligatoire pour les États membres
o une aide forfaitaire aux petites fermes d’un montant de 5000€
La PAC doit soutenir l’accompagnement de la transition agroécologique : Il existe certes quelques mesures de la PAC propices à la transition agroécologique des paysans, mais elles reçoivent une portion très faible du budget de la PAC. De plus, elles font l’impasse sur l’amélioration du bien-être des animaux d’élevage. La majorité du budget de la PAC va à des mesures qui incitent les paysans à l’inverse de la transition agroécologique, c’est-à-dire au statut quo (enfermer des paysans âgés sans successeur ni dynamique de territoire dans leur modèle actuel) ou à la fuite en avant (agrandissement, sur-mécanisation, usage intensif de pesticides, etc.).
Pour que la prochaine PAC soit au service de la transition massive de l’agriculture européenne vers l’agroécologie paysanne et l’agriculture biologique, la PAC doit orienter et accompagner les paysans vers le changement de pratiques, ainsi que rémunérer les pratiques vertueuses qu’ils mettent en place pour le climat, l’environnement et le bien-être animal.
==> La plateforme Pour une autre PAC demande :
o de rendre les mesures agro-environnementales et climatiques, et la conversion à l’AB obligatoires pour les États membres et d’y allouer au moins 30% du budget du 2e pilier.
o de rendre la mesure verte du 1er pilier, l’ecoscheme, obligatoire pour les États membres et d’y allouer 40% du budget du 1er pilier.
o d’intégrer explicitement le bien-être animal dans l’ecoscheme
D’importants écarts de revenus pour les agriculteurs et éleveurs
En 2017, selon INSEE, la moitié des exploitations affichaient un RCAI par actif non salarié (le revenu moyen des agriculteurs avant paiement des cotisations sociales) inférieur à 20.700 euros (1725 euros brut par mois). En outre, un quart ont enregistré des résultats inférieurs à 7700 euros (642 euros par mois) tandis qu’un quart ont généré des résultats supérieurs à 37400 euros (3116 euros par mois). Enfin, 14% des exploitations ont fini dans le rouge.
– 9 milliards d’euros, c’est le budget annuel de la PAC en France.
– 80%, c’est la part du budget de la PAC que la France alloue aux aides directes au revenu des agriculteurs.
– 0 euro, c’est l’argent investi par l’État français dans le financement de la mesure en faveur du bien-être animal.
– Moins de 5%, c’est la part des agriculteurs européens qui ont changé leurs pratiques en matière environnementale pour pouvoir toucher le paiement vert de la PAC 2015–2020.
Les surfaces agricoles consacrées à l’agriculture biologique
Une partie de l’enveloppe de la PAC est consacrée au soutien de la conversion en agriculture biologique. En 2017, l’Union européenne comptait 12,5 millions d’hectares consacrés à l’agriculture biologique, soit environ 7 % des surfaces agricoles totales. Par pays, c’est l’Autriche qui est leader en la matière, avec 23 % de ses surfaces agricoles en bio. En France, cela représente un peu moins de 6 % des surfaces, mais ce chiffre est en constante progression depuis 2012, où seuls 3,5 % des surfaces étaient en bio.
(1) Les membres du collectif :
Afac-Agroforesteries, Confédération paysanne, Fédérations des associations pour le développement de l’emploi agricole et rural, FNAB, MRJC, RENETA, Réseau CIVAM, Terre de Liens, Terre et Humanisme, UNAF, Agir pour l’environnement, CIWF, Fédération des Conservatoires d’espaces naturels, Fédération des parcs naturels régionaux, Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme, France Nature Environnement, Générations futures, Greenpeace, Humanité et Biodiversité, Les Amis de la Terre, LPO, Réseau Action Climat, Welfarm, WWF, ActionAid France, Agter, ATTAC, AVSF, CFSI, ISF-Agrista, Réseau Foi et Justice Afrique Europe, SOL, Alternatives Agroécologiques et Solidaires, Bio Consom’acteurs, Chrétiens dans le monde rural, Citoyens pour le climat, Commerce équitable France, Les Amis de la Confédération paysanne, Les Greniers d’Abondance, Miramap, RESOLIS, Secours Catholique, Slow Food, WWOOF France.