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alimentation et politique

Comment l’alimentation devient une affaire politique

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Comme un raz de marée. Le Black Friday du 24 novembre dernier a liquidé les stocks ! Et a atteint son but d’origine : faire passer les comptes en rouge des entreprises à l’écriture « noire ». Au bilan, les Français ont dépensé 127000 € par minute soit 735 millions en un jour – dans une hystérie indécente, notamment pour ceux qui, produisant justement nos aliments, gagnent 350 euros par mois ! Mais certains résistent et appellent à consommer autrement. La Camif a lancé le mouvement On donne tout, pour une consommation responsable. « Nous fermons nos rayons et vous invitons, à l’instar de nos collabor’acteurs, à consommer autrement, à partager avec vos proches, tout simplement à ne pas acheter mais à donner » affichait l’enseigne sur son site. Pour Nathalie Damery, directrice de l’Obsoco, (études et conseil sur Consommation et société), « On voit se dessiner deux France, celle de ceux qui continuent de courir après le prix le plus bas, et celle composée des « résistants », à la recherche de nouveaux modes de consommation ».
 

Les préférences des Français ?

LIRE DANS UP’ : Envie lance le « Green Friday », alternative au Black Friday pour 3 jours de consommation responsable

C’est dans la consommation alimentaire que la guerre fait rage aujourd’hui. Entre modèles anciens liés à la grande distribution et les nouveaux circuits de proximité, les acteurs cherchent à capter les valeurs émergentes. Dans un contexte de digitalisation effrénée et alors que les objets connectés et l’intelligence artificielle peuvent transformer nos actes d’achat, les préférences des clients seront déterminantes.
C’est pourquoi elles sont traquées ! La société Dolmen, plate-forme de marketing client – spécialisée dans le recueil de la donnée client, en magasin – a réalisé avec Opinion Way une étude pour sonder les attentes des consommateurs (1). 1058 personnes ont été interrogées à partir d’un questionnaire éclectique : lieu privilégié pour faire les courses.
Ce qui est apprécié dans le magasin choisi, les bonnes évolutions de grande distribution, l’appréciation sur la digitalisation des dispositifs de vente, les attentes vis-à-vis des personnels des magasins, les évolutions attendues… 
Plus de la moitié des Français préfère faire ses courses en grandes surfaces, et surtout les jeunes (à 63%) ou les classes les moins aisées (65%). C’est le prix bas et la qualité qui sont les deux priorités de l’échantillon consulté, et la rapidité du parcours d’achat pour 34% des jeunes.
Chez les personnes qui privilégient les achats chez un commerçant de proximité (10%), la préoccupation est la qualité mais aussi la relation personnelle avec le commerçant (42%).
 
 
Les consommateurs reconnaissent des changements positifs dans les grandes enseignes, et en premier lieu la proposition de produits bio, locaux, ou sans gluten, ainsi que leurs propres marques (un changement salué par les femmes à 52% contre 39% des hommes).
 
Si 23% des sondés considèrent que l’accroissement des innovations constitue le meilleur changement dans les enseignes de la distribution, 51% refuseraient de faire leurs courses dans un magasin sans personnel de vente (du type Amazon Go créé en mai 2017) … A cause de l’absence de contact humain. Et 33% des personnes sondées allèguent la crainte d’un piratage de leurs données. Ce chiffre culmine à 38% chez les 18-24 ans.
Au final, s’ils sont interrogés sur le futur de la grande distribution, 60% des Français appellent de leurs vœux la montée en puissance du commerce local.
 
Si ce plébiscite pour les magasins de proximité est clair, les modalités de développement de ces derniers le sont moins. Pour David Godest, directeur de Dolmen Technologies, « Les commerces de proximité doivent se digitaliser, s’il ne veulent pas  mourir. Leur intérêt est de développer des relations avec leurs clients avant, pendant et après leur passage en magasin ». C’est l’alliance entre technologie et intervention humaine qui semble être la clé : « 98% du trafic issu de l’achat des mots clés ne sert à rien, estime David Godest. Mais dès qu’une voix est disponible au téléphone, les taux de transformation en achats explosent. »
« Le modèle de la grande distribution s’essoufle, souligne Nathalie Damery, car les produits sont trop standardisés. Il faut bien se souvenir que les grandes enseignes ont joué un rôle de service public. Mais tout change très vite depuis le grand Tourbillon de 2008 (2). On a créé des moyens de différencier les produits : les pommes de terre « de Noirmoutier  » par exemple, qu’on peut vendre deux fois plus cher.»
 
Mais le plus frappant est la captation du non-marchand. La création de marchés avec des valeurs immatérielles. C’est ce que fait Intermarché quand il met en avant les « légumes moches » ou Carrefour quand il se met à vendre – depuis le 20 septembre- des légumes issus de « semences interdites ».
Mais cette recherche de gisements d’authenticité et sa captation a des effets délétères, notamment pour ceux qui mènent le combat pour les semences paysannes (Réseau des semences paysannes). Comme l’explique le sociologue Bernard Cova, enseignant-chercheur à Kedge Business School, même si Carrefour a mis en ligne la pétition pour défendre les paysans qui produisent ces semences interdites à la vente, « l’enseigne réduit la démarche du Réseau des semences paysannes à un simple problème commercial. Par sa campagne, Marché interdit, Carrefour désapproprie ainsi quinze années de travail du RSP qui cherche à faire des semences paysannes un Commun, une ressource à gérer collectivement et équitablement par tous les usagers qu’ils soient paysans, transformateurs, commerçants ou mangeurs, et ce pour en faire une cause marchande » (3).
 
Dans cette « course à la vertu », les enseignes jouent leur survie. On sait qu’Amazon, possède Whole Foods Markets – la première chaine de supermarché bio des Etats Unis – et pourrait porter son dévolu sur Carrefour. Alors c’est la surenchère. Casino soutient les projets de permaculture quand Carrefour apporte sa contribution pour aider les agriculteurs qui se mettent au « bio ».

LIRE AUSSI DANS UP’ : Le boum du Bio

Ces jeux laissent penser que la mise en commun de valeurs pourrait être la meilleure façon de sécuriser les transitions. Les Etats Généraux de l’alimentation poussent à l’affichage de choix plus clairs des Ministères, vis-à-vis du modèle agricole du futur. La question du glyphosate est un symbole fort. Elle fait le cœur de la dernière campagne de BioCoop qui souligne que seuls les produits bio répondent aux prescriptions santé ! Bien au-delà des produits qui se targuent de respecter les exigences sur le sel ou le sucre….

LIRE AUSSI DANS UP’ : Bataille du glyphosate : une sérieuse séance de débriefing s’impose

Sur France Inter ce 30 novembre, Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, appelait de ses vœux une revalorisation du travail des agriculteurs prêts à miser sur la qualité des produits. Elle s’en prenait à l’Etat « qui a mis l’agriculture sous perfusion ». Tous les acteurs semblent s’attendre en chien de faïence. Ils attendent des garanties pour bouger, d’autant que l’Etat joue un rôle de prescripteur du bien manger. Le ministère dédié à l’agriculture est devenu « le ministère de votre alimentation », rebaptisé AlimAgri sur Internet.
 
L’obésité, le diabète, le gaspillage sont devenus des problèmes publics. La consommation de viande est en passe de le devenir. Et les liens avec les agriculteurs se reforment, notamment à travers les Amap, ou circuits courts. Il est question de protéger la santé de tous ! De nouveaux modèles voient aussi le jour : Agricool par exemple,  propose de devenir agriculteur urbain ou cooltivateur. Les fermes d’avenir accompagne des projets de permaculture ou de payculture (4). « Nous croyons à la mise en commun de la valeur, insiste Nathalie Damery qui constate que les consommateurs sont saturés de faux arguments ou de discours malhonnêtes. Pour Paul Arièse qui vient de publier une « Histoire politique de l’alimentation » (5), « la seule façon d’assurer la transition écologique, et donc également l’égalité sociale, est de marier des politiques alimentaires qu’il nous faudra réinventer à des politiques agricoles à révolutionner ».
 
 
 
(1)  L’évolution du commerce et sa déshumanisation progressive, octobre 2017, Opinion Way pour Dolmen Technologies.
(2)  Philippe Moatti, « La société malade de l’hyperconsommation », Chez Odile Jacob, 2016
(3)  Bernard Cova, « Jeux interdits ? Comment les entreprises captent la richesse non-marchande », The Conversation, 27 novembre 2017
(5)  Paul Aries, Une histoire politique de l’alimentation, Edition Max Milo, 2016
 
Pour aller plus loin :
 
Conférence de l’Iddri le 12 décembre 2017 ayant pour thème « La grande distribution dans les filières agricoles : quel impact sur la durabilité des modes de production ? »
– Interview de Pascal Canfin : « PAC, la réforme de la dernière chance » – UP’ magazine, mai 2017
 

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