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Consommation de viande : la force de l’habitude

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La consommation de viande est devenue un sujet brûlant. Trop consommée au détriment de la santé et de la planète, accusée de tous les maux, d’attenter au bien-être animal, sujet de société et sujet hautement politique, la viande est dans le rouge. Journées sans viande, mode vegan, alertes santé, rien n’y fait, nous continuons encore et toujours à manger de la viande. Les labos ont beau tenter de nous allécher avec leurs viandes de substitution, le bon steak frites bien saignant a toujours ses adeptes. Une force de l’habitude, parfois érigée en culture, difficile à contrarier. 
 

Omniprésence de la viande dans nos assiettes, plats ultra-transformés, sucreries industrielles… Nos régimes alimentaires sont régulièrement pointés du doigt par la science. La célèbre revue médicale The Lancet a publié le 16 janvier dernier un long article à propos des conséquences de notre alimentation sur l’environnement et la santé.

Les auteurs y lancent un appel à changer radicalement nos habitudes : il s’agit à la fois d’améliorer la santé des populations et de préserver l’environnement, qui rétroagit fortement sur la production alimentaire. Ils préconisent essentiellement de baisser la consommation de viande, de produits sucrés et de préparations industrielles au profit des fruits et légumes, de graines et noix, ainsi que des légumineuses (pois, lentilles…).

Au-delà de la réduction importante des maladies chroniques, ces changements auraient des impacts significatifs sur le portefeuille des ménages. Partant de la dépense hebdomadaire moyenne d’une famille française, une étude publiée par le WWF en 2018 montre qu’un panier flexitarien – dans lequel on réduit fortement la part des protéines animales au profit de protéines végétales – lui coûterait 21 % moins cher que son panier actuel.

Taxer la viande, une méthode inéquitable

Ces études mettent tout particulièrement en évidence les avantages substantiels liés à la réduction de la consommation de viande. Cependant, la capacité des consommateurs à y renoncer est souvent contrariée par des habitudes bien établies.

Selon le Credoc, la consommation de viande des Français a toutefois baissé de 12 % au cours des dix dernières années. En 2007, les Français mangeaient en moyenne 153 grammes de produits carnés par jour, contre 135 grammes en 2016, ce qui correspond à une baisse moyenne de 18 grammes en dix ans.

Dans ce contexte, certains scientifiques préconisent l’imposition d’une très forte taxe sur la viande, difficile à mettre en place concrètement. Des prélèvements élevés sur la viande, produit relativement cher, posent aussi des problèmes d’équité, avec le risque d’exclure les consommateurs les plus modestes. Manger de la viande en quantité modérée est bénéfique pour la santé, la viande apportant toute la gamme des acides aminés, tandis que les plantes manquent de vitamines B12.

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Disposé à payer pour de la qualité ?

La campagne d’information à destination des consommateurs est une autre manière de les sensibiliser, même si son effet s’avère généralement modeste. L’efficacité d’une telle démarche repose sur une bonne connaissance des perceptions des consommateurs et de leur réaction à l’information. Des questionnaires et des études expérimentales permettent de déterminer avec précision leurs préférences.

L’économie expérimentale place un groupe d’individus dans une situation où leur comportement réel est simulé (si c’est en laboratoire) ou influencé (si c’est sur le terrain) afin de révéler leurs inclinations ou leurs propensions à payer pour des produits de différentes qualités. Par rapport aux autres méthodes de détermination des préférences, la méthode expérimentale en laboratoire présente l’avantage de la précision et du contrôle de l’information révélée aux consommateurs.

Il est ainsi possible d’identifier dans quelles conditions les participants sont prêts à dépenser une somme plus élevée : cette « disposition à payer » va par ailleurs évoluer en fonction des nouvelles données qu’ils reçoivent. Ces indicateurs offrent une idée des changements potentiels qui pourraient survenir sur les marchés, sans pour autant refléter les conditions réelles dans les magasins.

Steak de bœuf ou steak de soja

Cette méthode permet par exemple d’évaluer ce qui potentiellement ferait infléchir les carnivores convaincus. En novembre 2015, une équipe de chercheurs a mené à Dijon une expérience sur la viande. 124 participants ont été sélectionnés au hasard, sur la base de la méthode du quota – qui permet d’obtenir un échantillon représentatif des groupes d’âge et du statut socio-économique de la population de la ville.

 

Steak de soja

Dans un premier temps, les individus se voyaient proposer deux steaks de bœuf haché et deux steaks de soja, représentant une alternative végétale proche de la viande. Ils indiquaient alors leurs intentions d’achat pour différents prix, permettant de mesurer leur disposition à payer selon les produits. À cette étape, ils ne disposaient d’aucune information précise.

Dans un second temps, on informait les participants sur l’impact des différents produits sur la santé et sur l’environnement : ils actualisaient alors leurs choix. À la fin de l’expérience, de nouvelles intentions d’achat étaient indiquées, après que la viande de bœuf initiale eût été remplacée par de la viande de bœuf vendue avec un Label Rouge et accompagnée d’explications sur le cahier des charges de ce label.

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Les jeunes plus sensibles aux substituts

On constate d’abord que la « disposition à payer » moyenne pour le steak végétal est inférieure mais relativement proche de celle pour le produit d’origine animale. Cela suggère qu’à l’avenir, la substitution entre les deux types de produits serait possible, notamment si le prix de la viande augmente fortement.

Les informations sur la santé et l’environnement, lorsqu’elles sont révélées, réduisent significativement les intentions d’achat de steaks de bœuf, et augmentent significativement celles de steaks à base de soja, même si ces déplacements sont relativement faibles, avec des variations relatives en valeur absolue inférieures à 8 %.

Il est à noter que les réactions aux informations concernant la « disposition à payer » pour le soja sont nettement plus élevées chez les jeunes consommateurs (+ 8,1 %) que chez les consommateurs plus âgés (+ 4,4 %). Cette sensibilité des jeunes participants confirme, à long terme, les possibilités de substitutions significatives de produits à base de plantes aux produits d’origine animale.

 

Les résultats sont présentés à l’aide de la figure suivante, où les trois étapes sont représentées en abscisse, et les dispositions à payer en euros sont représentées sur l’axe des ordonnées. Notes concernant la figure : Δ * désigne une différence significative à 5 % et Δ ** une différence significative à 1 % telle que testée par le test de Wilcoxon pour comparer un échantillon apparié des dispositions à payer.

Label rouge, le succès de la viande de qualité

L’introduction d’un steak de bœuf de haute qualité entraîne une augmentation statistiquement significative de la disposition à payer des participants pour le bœuf, alors que celle du soja ne change pas significativement. La figure permet de voir que cette augmentation de la « disposition à payer » pour la viande de bœuf labellisée est la plus importante par rapport aux autres variations.

L’effet positif du Label Rouge souligne la sensibilité des participants à la qualité de la viande de bœuf. Le cahier des charges de cette mention garantit des pratiques respectueuses des animaux, des prairies et de l’environnement.

Le débat évoqué plus haut ne devrait donc pas se focaliser uniquement sur la substitution entre produits animaux et végétaux, mais également s’intéresser au développement des labels et à la promotion de viandes de meilleure qualité.

Stephan Marette, Directeur de recherche à l’INRA, économiste, Agro ParisTech – Université Paris-Saclay

Cet article est republié à partir de The Conversation, partenaire éditorial de UP’ Magazine. Lire l’article original.

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