La déferlante numérique de l’IA et de la robotisation touche tous les secteurs économiques, y compris ceux que l’on croyait les plus à l’abri des sirènes de la high-tech. Les avocats font leur mue si ce n’est leur révolution. Le digital, le big data et même la blockchain entrent dans les cabinets et bousculent allègrement toutes les traditions.
Le moteur de la révolution des cabinets vient des États-Unis et porte le nom de LegalTech. Cette expression, relativement vague, recouvre plusieurs initiatives et différents modèles d’application en fonction des segments de clientèle ciblés. Toutes les acceptions s’appuient sur la dynamique de l’Intelligence artificielle dont le cabinet Market & Markets prédit une croissance de plus de 62 % par an d’ici 2022.
C’est toute la profession qui va être impactée. De la recherche jurisprudentielle à la génération automatique de documents juridiques en passant par les plateformes d’intermédiation et de mise en relation, le domaine suscite une effervescence qui gagne de plus en plus de terrain. En France, les startups du LegalTech ne sont pas en reste par rapport à leurs collègues anglo-saxonnes.
Les plus nombreuses et précurseurs sont celles qui proposent aux particuliers ou aux entreprises des documents juridiques en ligne. Pour créer sa SARL, inutile désormais de passer par un avocat, il suffit de télécharger les statuts et autres documents de constitution pour que votre société naisse, au moindre coût. Ce type de service n’est pas nouveau et de nombreuses sociétés occupent ce créneau (Captain Contrat ou Rocket Lawyer par exemple), mais il s’améliore et se profile en fonction des cibles visées. C’est ainsi que la société wity vient de lever 4.7 millions d’euros pour un service destiné aux startups. Les jeunes pousses pourront, y trouver toute sorte de documents, mais aussi de conseil juridiques, comptables et financiers, pour les aider dans leur germination.
Au début les avocats voyaient d’un mauvais œil ce type de services ; mais aujourd’hui nombreux sont ceux qui y participent. Les plateformes offrant de plus en plus de services, elles deviennent un endroit idéal pour mettre en relation un client avec l’avocat le plus adéquat. Ainsi, plutôt que de se retrouver marginalisés, les avocats sont devenus des partenaires actifs de ces LegalTech. Il est vrai que le marché des créations d’entreprises qui devrait être le cœur de métier des avocats d’affaires est, selon l’Agefi, à plus de 30 % désintermédié. Et 50 % est pris en charge par les experts-comptables. La place est étroite pour les avocats qui voient dans ces nouveaux outils une façon de conquérir un marché prometteur.
Si le marché à destination des entreprises est vaste, celui à destination des avocats eux-mêmes ne l’est pas moins. Certaines startups se sont ainsi positionnées sur le service aux avocats : analyses de données jurisprudentielles, algorithmes de prédiction des décisions judiciaires et aux litiges commerciaux ou sociaux. C’est le cas de la plateforme Predictice, fondée par des avocats et des data scientists. Elle noue des liens de partenariats avec des cabinets d’avocats d’affaires de plus en plus friands d’Intelligence artificielle. Il est vrai que les algorithmes permettent de gagner beaucoup de temps en définissant, à partir de l’analyse de données complexes, l’angle d’une stratégie d’attaque ou de défense. L’IA a battu le champion du monde de Go, pourquoi ne serait-elle pas aussi sinon plus efficace en matière de stratégie judiciaire ?
Dans cette offre de services destinés aux avocats, la veille juridique est sans doute le domaine le plus prometteur. Dans nos sociétés instables ou le droit et la jurisprudence, où les arrêtés et autres règlementations forment des strates juridiques insurmontables, les techniques de Legal Analytics rendent de vrais services. Quand Donald Trump a signé son executive order à l’encontre de certaines catégories d’immigrés, un vent de panique a soufflé et pas seulement dans les communautés concernées. Les juristes, les avocats, les services juridiques et sociaux, se trouvèrent immédiatement mis sur la brèche. Dans l’urgence, une initiative collective a vu le jour pour construire en hâte une plateforme destinée à s’orienter dans le maquis des législations et aider les avocats à se mettre à jour, quasiment en temps réel. Dans le prolongement de cette initiative est née la plateforme Airport Lawyer destinée à aider les individus concernés par le décret Trump et à les mettre en relation avec les avocats compétents. La plateforme est actuellement disponible dans 17 aéroports internationaux.
Rechercher un avocat spécialisé dans tel ou tel domaine s’avère parfois difficile. Des plateformes naissent chaque jour avec pour objectif de mettre en relation des avocats sélectionnés sur des critères précis avec leur client potentiel. C’est le cas de lawcracy ou de jurifiable.com qui vous permet de choisir en ligne l’avocat spécialisé pour un divorce, un prud’homme, un litige sur une succession ou un contrat. En quelques clics, la plateforme sélectionne grâce à un algorithme spécifique les professionnels le plus adaptés à votre problématique et vous transmet un comparatif de devis comme certains sites le font déjà pour la recherche d’un plombier ou d’un crédit à la consommation. Jurifiable avance permettre déjà la mise en relation avec une centaine d’avocats sélectionnés dans plus de 1000 villes françaises.
Certaines plateformes font grincer des dents certains avocats sourcilleux sur la déontologie. C’est le cas du site legalup dont le positionnement repose non seulement sur la mise en relation avec un avocat mais aussi dans la recherche de solvabilité du client.
On le voit, l’avocat à l’ancienne qui attend dans son fauteuil que les clients viennent est une espèce en voie de disparition. Bien qu’étant une des professions les plus réglementées qui soit, le métier d’avocat tend à se transformer radicalement. Des pans entiers de son activité vont disparaître. Les secrétariats juridiques et autres services destinés uniquement à la rédaction d’actes voient leurs jours comptés. Certaines interventions qui ont fait la fortune de certains cabinets tendent à s’automatiser. C’est le cas des actions de contestation des amendes de sécurité routière et même de certaines procédures de divorce. En Suisse, le site divorce.ch permet aux couples d’entamer des procédures de séparation en ligne pour moins de 500 €. Une autre plateforme, DoNotPay, qui se targue d’être le « premier robot avocat au monde », permet de mettre en œuvre, automatiquement, une procédure contre une compagnie de transport qui n’aurait pas respecté ses horaires.
Nombre d’avocats font part de leur inquiétude face à l’arrivée de ces technologies et services qui bouleversent leur métier. Ils craignent les entorses au sacro-saintes règles de déontologie qui les gouvernent, ils redoutent la concurrence qu’ils jugent déloyales avec des robots. D’autres sont pressés de prendre le train en marche, de participer à ce maelstrom plutôt que de rester sur la touche. Le Conseil National des Barreaux, l’organisation nationale représentative des quelque 65 000 avocats de France, a ainsi inauguré en grandes pompes, en mai dernier sa propre plateforme d’intermédiation et de services. Son président, Pascal Eydoux explique : « La demande des justiciables – particuliers comme entrepreneurs – évolue et exige que nous soyons présents sur le marché du numérique. Nous avons créé l’annuaire national des avocats, géré par le Conseil national des barreaux, mis à jour sur les informations transmises par les Ordres et qui, par conséquent, nous permet de garantir que sur la plateforme du CNB n’interviendront que des avocats dans le respect de la déontologie de la profession, sous la régulation des Ordres. » Il ajoute, à destination des plateformes concurrentes :« Les plateformes commerciales, quant à elles, ne peuvent garantir que le service qu’elles proposent est un service d’avocat, en termes de compétence et de déontologie ».
Face à ce tsunami digital, les avocats arguent de leur expérience et leur expertise. Certes, il sera toujours possible de télécharger des contrats fabriqués par un robot, mais un contrat mûrement pensé et rédigé par un avocat n’aura que plus de valeur. Les anglo-saxons parlent déjà de « smart contracts » : des contrats labellisés par un grand nom du barreau, voire protégés par une séquence blockchain et qui garantirait à son destinataire une exécution sans faille.
Pour Sonia Cissé, collaboratrice senior en charge des activités TT chez Linklaters, cabinet qui a reçu à deux reprises le prix « Innovative Lawyers » du Financial Times, interrogée par l’Agefi : « Je ne pense pas que les avocats pourront un jour être remplacés par des robots, d’autant plus que pour qu’une machine effectue une recherche correctement, il faut qu’elle soit orientée par l’humain. Ces technologies permettront avant tout de libérer du temps pour les juristes qui pourront s’atteler à des tâches plus stratégiques. »
Audrey Ariola-Lehenaff, Avocate au Barreau de Nice insiste elle aussi sur la relation entre l’avocat et son client : « La profession d’avocat est avant tout un métier de relations humaines, si le digital peut permettre une mise en relation, il ne devrait en aucun cas remplacer ce que nous appelons l’intuitu personae, c’est à dire la relation de confiance qui se crée d’homme à homme »
Les avocats voient leur métier en train de changer radicalement mais il leur reste un atout que les machines, robots et autres IA ne pourront jamais leur ôter : la dimension humaine. L’IA, sur ce point, a encore des progrès à faire.
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