À l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, célébrée chaque année le 3 mai, un nouveau rapport alarmant de l’UNESCO met en lumière une menace croissante qui pèse non seulement sur la sécurité des journalistes mais aussi sur les fondements mêmes de la démocratie. Selon ce document, les actes de violence et d’intimidation à l’encontre des journalistes couvrant des sujets liés à l’environnement et au dérèglement climatique ont connu une hausse significative, avec au moins 749 cas recensés au cours des 15 dernières années. L’UNESCO appelle à un soutien plus important des journalistes environnementaux et à une meilleure gouvernance des plateformes numériques.
Ces journalistes, dont ceux d’UP’ Magazine, jouent un rôle crucial dans la sensibilisation du public aux enjeux environnementaux, un sujet de plus en plus pressant à mesure que les effets du changement climatique se font ressentir à l’échelle mondiale. Leur mission d’informer est pourtant entravée par des menaces qui vont des attaques physiques et verbales à des campagnes de diffamation, en passant par la désinformation en ligne, qui a elle aussi « considérablement augmenté », selon l’UNESCO.
Pour Audrey Azoulay, Directrice générale de l’UNESCO, « Sans informations scientifiques fiables sur la crise environnementale actuelle, nous ne pourrons jamais espérer la surmonter. Pourtant, à travers le monde, les journalistes sur lesquels nous comptons pour enquêter à ce sujet et garantir l’accès à l’information sont confrontés à des risques inacceptables, et la désinformation sur le climat est omniprésente sur les réseaux sociaux. En cette Journée mondiale de la liberté de la presse, nous devons réaffirmer notre engagement à défendre la liberté d’expression et à protéger les journalistes du monde entier ».
Ces attaques contre les journalistes environnementaux ne sont pas seulement des violations flagrantes des droits humains ; elles représentent aussi une attaque directe contre la transparence et la responsabilité, piliers de toute société démocratique. En empêchant les journalistes de rapporter les faits, ces actes d’intimidation empêchent le public d’avoir accès à des informations vitales concernant leur environnement et leur santé, et limitent leur capacité à prendre des décisions éclairées sur des sujets qui affectent directement leur vie et celle des générations futures.
Dans son nouveau rapport Press and Planet in Danger, l’analyse de l’UNESCO révèle qu’entre 2009 et 2023, au moins 749 journalistes et médias couvrant les questions environnementales ont été victimes de meurtres, de violences physiques, de détentions et arrestations, de harcèlement en ligne ou de poursuites judiciaires. Plus de 300 attaques ont eu lieu entre 2019 et 2023, soit une augmentation de 42 % par rapport aux cinq années précédentes (2014-2018).
Lancé lors de la Conférence de la Journée mondiale de la liberté de la presse 2024 organisée à Santiago du Chili du 2 au 4 mai 2024, le rapport souligne qu’il s’agit d’un problème mondial, avec des attaques perpétrées dans 89 pays de toutes les régions du monde.
Une hausse des agressions physiques
L’Observatoire de l’UNESCO des journalistes assassinés fait état d’au moins 44 meurtres de journalistes environnementaux au cours des 15 dernières années, parmi lesquels seulement cinq ont donné lieu à des condamnations, soit un taux d’impunité alarmant de près de 90 %. Le rapport révèle en outre que d’autres formes d’agressions physiques sont également répandues, avec 353 incidents recensés. Il constate également que ces agressions ont plus que doublé au cours des dernières années, passant de 85 entre 2014 et 2018 à 183 entre 2019 et 2023.
Lors d’une consultation menée par l’UNESCO en mars 2024 auprès de plus de 900 journalistes environnementaux issus de 129 pays, 70 % d’entre eux ont déclaré avoir subi des attaques, des menaces ou des pressions liées à leurs activités. Parmi eux, deux sur cinq ont par la suite subi des violences physiques.
D’après les données récoltées, les femmes journalistes sont plus exposées que les hommes au harcèlement en ligne, ce qui confirme la tendance identifiée dans le précédent rapport de l’UNESCO The Chilling : global trends in online violence against women journalists.
Outre les agressions physiques, un tiers des journalistes interrogés a déclaré avoir été censuré, et près de la moitié (45 %) a déclaré s’autocensurer lorsqu’ils couvrent l’environnement, par crainte d’être attaqués, de voir leurs sources dévoilées, ou par conscience du fait que leurs articles pourraient porter atteinte aux intérêts des parties prenantes concernées.
Une feuille de route mondiale contre la désinformation sur le climat
L’un des principaux résultats de la Conférence de la Journée mondiale de la liberté de la presse sera une feuille de route mondiale de l’UNESCO contre la désinformation sur le climat, qui identifie les rôles que les gouvernements, les médias, les universités et les chercheurs, la société civile et les plateformes numériques peuvent jouer pour soutenir et protéger les journalistes environnementaux et promouvoir l’intégrité de l’information diffusée en ligne sur l’environnement et le dérèglement climatique.
Ces mesures sont essentielles pour garantir que les voix des journalistes ne soient pas réduites au silence et que la vérité puisse continuer à être un pilier central dans la lutte contre le changement climatique.
La Directrice générale de l’UNESCO ouvrira la conférence aux côtés du Président chilien Gabriel Boric. Elle annoncera le lancement d’un programme de subventions destiné à apporter un soutien juridique et technique à plus de 500 journalistes environnementaux victimes de persécutions, ainsi que de nouvelles initiatives visant à promouvoir une réflexion critique sur la désinformation liée au climat et à améliorer la régulation des plateformes numériques, conformément aux Principes pour la gouvernance des plateformes numériques, présentés en novembre dernier.
Alors que la planète fait face à des défis environnementaux sans précédent, garantir la liberté de la presse et protéger ceux qui rapportent sur ces questions devient un enjeu de démocratie fondamental. Sans une presse libre et des journalistes capables de travailler sans crainte de répercussions, il est impossible de maintenir l’intégrité des débats publics et de progresser vers des solutions durables pour notre planète et ses habitants.
« Le monde traverse une situation d’urgence environnementale sans précédent qui menace l’existence même de la génération actuelle et des générations futures. Il faut que tout le monde le sache, les journalistes et professionnels des médias, ont un rôle clé à jouer à cet égard, en informant et en éduquant », déclarait António Guterres dans un message rendu public à la veille de la 31ème Journée mondiale de la liberté de la presse.
Fabienne Marion, Rédactrice en chef