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Comment Google joue au plus malin avec les décisions de la justice européenne

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Droit à l’oubli et droits voisins, deux affaires, de natures très différentes ont mis aux prises Google, le géant des moteurs de recherche, à la justice européenne. Dans les deux cas, l’un où il est condamné et l’autre pas, Google cherche à jouer au plus fin. Il le fait en usant de sa suprématie jamais concurrencée et de son statut de firme globale, hors-normes si ce n’est hors-sol. Des affaires qui en disent long sur les pouvoirs surpuissants des GAFA et des tentatives extraordinairement difficiles pour les États de les réguler.

Il y a une évidence si évidente que plus personne ne s’en aperçoit plus : il est impossible d’utiliser Internet sans avoir recours à un moteur de recherche. Deuxième évidence, en matière de moteurs de recherche, Google est prédominant, et de très loin puisqu’il traite 93.5 % des requêtes mondiales. Le métier principal de ce géant du web consiste à référencer tout ce qui passe sur Internet. Le moindre document, le site le plus minuscule, l’entrefilet que personne n’a jamais vu passer est là, dans les bases de données colossales de Google. Celui-ci garde tout de vous, de votre vie, de votre activité si tant est qu’elle ait eu le moindre écho ou la moindre trace sur Internet. Et ces infos sont gardées longtemps, très longtemps ; pour l’éternité. Dans certains cas, vous préfèreriez que certaines informations vous concernant disparaissent. Elles sont souvent anciennes et peuvent aujourd’hui vous porter préjudice. C’est ainsi qu’est née la demande des internautes de formaliser le « droit à l’oubli ». Il est très simple : il consiste à demander à Google de déréférencer des informations vous concernant.

Droit à l’oubli et dilemme du droit

Mais les choses ne sont pas aussi simples que cela. Car Google, dominateur des contenus du monde, se veut aussi défenseur de la liberté d’expression. N’oublions pas qu’il s’agit d’une société américaine, fondée par des Américains pour qui le premier amendement de la constitution a valeur sacrée. La liberté d’expression ne saurait être entravée. C’est sur ce fondement que Google porte contradiction à la justice européenne qui lui demande d’effacer, sur demande, des informations personnelles, en vertu de la protection de la vie privée. Liberté d’expression contre protection de la vie privée, la bataille sur le droit à l’oubli perd sa dimension technique pour toucher à celle des droits de l’homme.

La justice européenne a bien consacré en 2014 le droit à l’oubli. Il permet à chaque Européen d’obtenir, sous conditions, la suppression de liens qui s’affichent dans les résultats d’un moteur de recherche après une requête portant sur son nom. La formule paraît simple mais la mise en œuvre plus compliquée.

Quand la directive européenne est mise en application, Google est bien obligé de s’y soumettre, sous peine d’amendes. Mais, jouant sur son statut de firme internationale, qui exerce ses activités partout sur le globe, le moteur de recherche ne s’exécute qu’en Europe stricto sensu, territoire exclusif concerné par la directive. Hors d’Europe, c’est-à-dire partout ailleurs dans le monde, le déférencement n’est pas opéré. Or quiconque a déjà utilisé au moins une fois Internet dans sa vie aura remarqué que la notion de frontière est très vaporeuse et que les sites affichés peuvent venir de n’importe quel endroit du monde. Internet, et c’est ce qui fait sa force, n’a théoriquement pas de frontières.

La CNIL porta l’affaire devant la justice, estimant que les suppressions de liens devaient s’appliquer sur toutes les versions du moteur de recherche dans le monde pour être efficaces. Le groupe américain, soutenu par plusieurs organisations de défense des droits, avait répondu que le respect du « droit à l’oubli » au-delà des frontières de l’UE aurait engendré des risques pour la liberté d’expression, en particulier dans certains pays autoritaires. Google avait donc contesté sa condamnation devant le Conseil d’État français, plus haute juridiction administrative du pays, qui a dans la foulée sollicité l’avis de la CJUE. Celle-ci a répondu, dans un arrêt rendu ce mardi 24 septembre : « Il n’existe pas, pour l’exploitant d’un moteur de recherche qui fait droit à une demande de déréférencement (…) d’obligation découlant du droit de l’Union de procéder à un tel déréférencement sur l’ensemble des versions de son moteur », même si rien ne l’interdit « non plus » ».  En clair, « Le droit de l’Union oblige l’exploitant d’un moteur de recherche à opérer un tel déréférencement sur les versions de son moteur correspondant à l’ensemble des États membres », est-il souligné. Correspondant à l’ensemble des États membres, c’est-à-dire en Europe. Et pas ailleurs.

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« On ne peut pas imposer des effets extraterritoriaux pour le déréférencement d’une personne », a estimé Yann Padova, avocat en charge des questions de données personnelles au cabinet d’avocats d’affaires Baker McKenzie Paris, interrogé par l’AFP. « Que dirait-on si la Chine venait exiger le déréférencement de contenus accessibles aux Français ? », a-t-il questionné. Son confrère Alexandre Lazarègue, avocat au Barreau de Paris, n’est pas du même avis ; il estime que les décisions concernant internet « n’ont de sens que si elles n’ont pas de limites géographiques ». Il renchérit en pointant que « le caractère extraterritorial de nombreuses lois américaines montre qu’il est possible d’étendre l’application d’une règle au reste du monde ».

L’avocate Sabine Marcellin, fondatrice du cabinet Aurore Legal, nous fait remarquer que cette question du droit à l’oubli n’est pas close pour autant et différentes approches du droit coexistent actuellement dans le monde. C’est le cas de la Cour suprême canadienne qui a considéré dans un arrêt du 28 juin 2017, que le droit à l’oubli a un périmètre mondial. Un imbroglio qui fait les affaires de Google : le géant américain joue au chat et à la souris avec le droit ; en le poussant dans ses retranchements, il joue ainsi au plus malin pour protéger ses intérêts.

Droits voisins sous pression

Google adopte finalement la même tactique dans l’autre affaire qui se noue en ce moment. Celle des droits voisins. De quoi s’agit-il ? En mars dernier une directive a été adoptée par l’Union européenne instaurant un « droit voisin » au profit des éditeurs de presse (qui publient journaux et magazines) et agences de presse. Une mesure censée les aider à faire rémunérer la reprise de leurs contenus sur les plateformes en ligne et autres agrégateurs, pour compenser l’effondrement de leurs recettes publicitaires traditionnelles, tandis que les géants du Net, dont Facebook et Google, se taillent la part du lion des revenus publicitaires en ligne.

Cette directive avait fait l’objet d’une intense bataille de lobbying à Bruxelles, avec une mobilisation sans précédent des GAFA, qui avaient notamment argué qu’elle réduirait la liberté d’expression sur internet. Les entreprises de médias y voyaient au contraire une nécessité pour continuer à produire une information de qualité.

Finalement, la directive a été adoptée et la France l’a transcrite dans le droit français avec mise en application dès octobre prochain. Elle sera le premier pays européen à le faire.

Concrètement, quand le moteur de recherche Google répond à une de vos requêtes en proposant un lien avec une image et le début d’un texte concernant un article de presse (c’est le cas dans Google Actualités), il devra payer des droits d’auteur au média concerné. Une obligation difficile à digérer pour Google qui n’a aucune envie de payer le moindre droit d’auteur. Néanmoins, le géant américain est obligé de se conformer à la loi française.

Afin de résoudre ce dilemme, Google va faire preuve de cynisme et de menaces à peine voilées. Pour se conformer à la loi, il va s’abstenir de présenter dans les réponses aux requêtes faites sur son moteur de recherche le moindre extrait de contenu ou images du média. Dans un communiqué aux médias, Google précise la règle du jeu : « À l’heure actuelle, lorsque nous affichons les résultats de recherches liées à l’actualité, vous voyez un titre, dont le lien renvoie directement vers le site d’information concerné. Dans certains cas, nous proposons également un aperçu de l’article, par exemple quelques lignes de texte ou une petite image appelée « vignette ». « Lorsque la loi française entrera en vigueur, nous n’afficherons plus d’aperçu du contenu en France pour les éditeurs de presse européens ».

Si Google le faisait, il serait obligé de payer des droits. Il fera donc le service minimum. Très minimum puisque les médias seront quasiment invisibles des résultats de recherche, réduits à un « lien sec » vers les infos de l’éditeur. Or c’est une présence forte dans le moteur qui draine une part considérable du trafic des médias. S’ils sont mal référencés par Google, leur audience va chuter voire s’effondrer, et leurs revenus publicitaires suivre la même voie.

Google, magnanime, leur offre néanmoins une solution pour éviter cette catastrophe annoncée : s’ils acceptent explicitement que leurs extraits d’articles et images apparaissent dans Google, le moteur affichera comme avant les résultats, mais bien sûr sans débourser un centime. Les médias sont pris au piège par un Google surpuissant. Carlo Perrone, président de l’association des éditeurs européens de journaux (ENPA), a dénoncé « un coup de force » et un « diktat inacceptable » qui place « les médias devant un fait accompli : soit ils donnent au géant américain leur contenu gratuitement, soit ils seront fortement pénalisés par le moteur de recherche ».

Les médias français peuvent s’estimer heureux car Google leur offre un choix et leur permet malgré tout d’être référencés dans son moteur. Les médias espagnols n’ont pas eu la même chance en 2014 : Google avait purement et simplement fermé son Google Actualités, entraînant une chute spectaculaire de l’audience des médias en ligne ibériques.

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Google assure que ce qu’il défend va dans l’intérêt des internautes, empêchant que les résultats de recherche soient faussés par des considérations commerciales. « Nous n’avons jamais payé pour inclure des résultats dans les recherches et nous ne payons pas pour inclure des liens dans les résultats », car « cela saperait la confiance de nos utilisateurs », assure Richard Gingras, vice-président de Google en charge de l’information. Que voulez-vous, l’argent c’est sale, ça perverti ; c’est une des sociétés les plus riches du monde qui vous le dit. Vous devez la croire.

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