Face au monde qui vient, fait d’instabilités climatiques et de ressources contraintes, les élus locaux ont la responsabilité et le pouvoir de transformer leurs territoires pour le bien de leurs concitoyens, en faire des territoires résilients. C’est pour les accompagner dans leur réflexion et dans leur passage à l’action que le Shift Project publie aujourd’hui un nouveau rapport qui porte sur les spécificités de six catégories de territoires en matière de résilience climatique (Villes, Campagnes, Métropoles, Montagnes, Littoraux et Outre-mer). Il a pour objectif de constituer la pièce principale d’un kit d’alerte et de mobilisation des élus et décideurs locaux en mesure de se mobiliser sur l’urgence à agir résolument pour un changement de trajectoire de leur territoire.
« Le propre d’un territoire c’est qu’il est… local. Si la mondialisation – issue de l’énergie à profusion – a gommé une partie de l’identité des territoires – on trouve désormais les mêmes fast-food, vêtements ou grandes surfaces partout en France –, cela n’est pas allé au point de transformer un littoral en campagne, une ville en village, ou encore une terre de vignoble en pâturage.
Cette diversité de territoires les rend nécessairement un peu – ou beaucoup – différenciés face à la contrainte énergie-climat.
Les plaines auront peu de glissements de terrain et encore moins de submersions marines, mais plus de canicules que les côtes. La distance moyenne parcourue par l’alimentation (dans des camions au pétrole) sera plus élevée dans les Alpes que partout ailleurs, et la dépendance au tourisme aéroporté (au pétrole) plus élevée à Paris que dans les plaines de l’Orléanais.
Par contre, dans tous les territoires, ville ou campagne, mer ou montagne, l’organisation actuelle dépend au premier chef des hydrocarbures : les camions – et souvent avant eux les bateaux – acheminent nourriture, vêtements, pièces de rechange pour les réseaux d’eau, et un milliard d’autres choses ; ils évacuent la production des champs et des usines ; voitures et avions amènent les touristes sur lesquels reposent presque 10 % des emplois du pays ; notre réseau électrique européen ne fonctionne plus sans centrales à gaz et tout territoire dépend de l’électricité…
L’avenir de notre pays va nous confronter à deux évolutions inexorables : la baisse – déjà enclenchée par épuisement géologique – de l’approvisionnement en pétrole, gaz et charbon, et l’intensification d’une dérive climatique causée par l’ensemble des émissions mondiales (et pas juste par les émissions françaises). En même temps que tous les flux sur lesquels repose notre organisation actuelle vont se contracter, l’évolution climatique va devenir plus adverse.
Une première publication du Shift Project avait proposé un certain nombre de propositions que tout exécutif local devrait avoir à cœur de mettre en œuvre pour préparer au mieux son territoire contre l’adversité croissante, et saisir les opportunités s’il y en a, et en particulier former d’urgence les élus et les fonctionnaires territoriaux à la compréhension du problème, complexe et protéiforme, pour ensuite partager cette compréhension avec les acteurs locaux ; ne plus mettre en route des projets qui vont aggraver l’adversité ; modifier la gouvernance (plus transversale et moins en silos) et de se doter d’une stratégie qui soit cohérente avec le contexte.
Pour faciliter le passage à l’action, il a paru pertinent de décliner cette approche en fonction des particularités des territoires. Ce rapport précise donc l’approche selon que l’on s’adresse à une métropole, à une plus petite ville, à la campagne, à la montagne, au littoral, ou à l’outre-mer.
Rappelons-le : la compréhension et l’action sont urgentes. Plus le temps passera sans inflexion forte et plus il y aura de souffrance. Puisse ce travail aider à être au rendez-vous de l’Histoire. »
Jean-Marc Jancovici
Des territoires confrontés à la double contrainte carbone
Les aléas climatiques comme les sécheresses, les vagues de chaleur et les inondations ravagent déjà les écosystèmes. Les scientifiques avertissent que l’été caniculaire qu’a vécu la France n’est qu’un avant-goût de ce qui nous attend. Chaque territoire, chaque activité économique doit dès à présent s’adapter au réchauffement.
La crise énergétique dans laquelle l’Europe est entrée fin 2021 démontre également la profondeur de notre dépendance aux énergies fossiles. Au-delà des tensions géopolitiques, l’Union européenne fait face à des limites physiques pour l’approvisionnement pétrolier et gazier. Avec 38 % des ménages chauffés au gaz et près de trois-quarts des actifs utilisant la voiture au quotidien, la vulnérabilité des citoyens français est immense et a un coût exorbitant pour l’Etat comme pour les entreprises.
Rendre chaque territoire résilient – c’est-à-dire le transformer, pour anticiper les crises et mieux les affronter – doit devenir un objectif prioritaire des responsables politiques locaux. L’effort nécessaire à la transition énergétique et écologique promet de bouleverser l’ordre économique, social et politique. Mais l’inaction déboucherait sur des risques bien plus grands encore.
Le succès de ces chantiers complexes, parfois clivants, dépend en premier lieu de leur détermination, non de moyens supplémentaires. Les objectifs sont connus et clairs. Mais ils font appel à une « grammaire » nouvelle, qui réclame de la formation et du temps pour être acquise, entendue et acceptée.
Les élus locaux disposent de nombreux outils pour agir, que ce rapport s’attache à synthétiser.
Six boîtes à outils au service des élus
Dans cette nouvelle publication, The Shift Project propose une série d’actions concrètes adaptées aux enjeux de chaque territoire. Le think tank plaide pour l’exemplarité des administrations et propose un parcours en trois étapes pour bifurquer avant la fin du mandat (2026) : Comprendre, prendre le temps de comprendre et de partager les enjeux ; mobiliser, bâtir un nouveau « projet de territoire » désirable, sobre et résilient ; réorienter : aligner toute son action sur la vision nouvelle et les objectifs de résilience et de transition écologique.
Adaptation et atténuation du réchauffement climatique sont indissociables. Sans adaptation, la France s’enlisera dans la gestion de crises à répétition et sera incapable de réussir la transition écologique.
La formation de l’ensemble des élus et des agents de collectivité est une priorité. C’est même un excellent point de départ : le partage à l’ensemble des parties prenantes du territoire conditionnera la fécondité du dialogue, la compréhension et la qualité des arbitrages politiques.
Les co-bénéfices d’une telle transformation sont immenses. Outre leur contribution aux objectifs nationaux, les actions locales d’adaptation et d’atténuation amélioreront la sécurité, mais aussi la qualité de vie et le bien-être des habitants.
Le changement climatique : enjeu vital de sécurité publique
Alors que le réchauffement global atteint déjà 1,1 °C, les aléas climatiques (sécheresses, vagues de chaleur, inondations, etc.) ravagent des écosystèmes et tuent aujourd’hui en France.
Chaque territoire, chaque activité économique doit dès à présent s’adapter au réchauffement. Sans adaptation, nous nous enliserons dans la gestion de crises à répétition et serons incapables de réussir la transition écologique. Adaptation et atténuation du réchauffement climatique sont indissociables.
Les engagements actuels des pays signataires de l’Accord de Paris sur le climat conduisent pour l’instant l’humanité vers un réchauffement de l’ordre de 3 °C en 2100. Face à un tel niveau de réchauffement, l’adaptation de nombre de territoires et d’activités sera impossible. La nécessité de nous adapter au changement climatique va nécessairement de pair avec l’accélération de la décarbonation de l’économie française.
Une opportunité de sortir de notre dépendance aux ressources fossiles
La crise énergétique dans laquelle l’Europe est entrée fin 2021 démontre la profondeur de notre dépendance aux énergies fossiles. Au-delà des tensions géopolitiques, l’Union européenne fait face à des limites physiques. L’approvisionnement pétrolier de l’Europe risque, dès la présente décennie, d’être contraint par le déclin géologique de régions pétrolières stratégiques pour l’Union. Avec 38 % des ménages chauffés au gaz et près de trois quarts des actifs utilisant la voiture au quotidien, la vulnérabilité des citoyens français est immense. Le coût de cette dépendance se révèle exorbitant, pour l’Etat, comme pour les entreprises.
La crise est l’occasion d’amorcer concrètement la sortie des énergies fossiles. Une sortie inéluctable, qui doit s’accompagner de la mise en œuvre de politiques de sobriété intelligentes. Ne ratons pas cette occasion comme nous avons raté l’opportunité historique offerte par la mise à l’arrêt de l’économie française pendant l’épidémie de covid-19.
Une transformation porteuse d’innombrables bénéfices
Outre leur contribution aux objectifs nationaux, les actions locales d’adaptation et d’atténuation améliorerons la sécurité, mais aussi la qualité de vie et le bien-être des habitants.
Moins de pollutions, une meilleure alimentation, moins de précarité énergétique, plus de marche et de vélo, des espaces publics favorisant le lien social : la transition écologique aura des effets bénéfiques directs sur la santé physique et mentale de la population. La résilience implique plus de coopération et de solidarité au sein du territoire, comme entre les territoires : elle peut devenir un projet commun fédérateur et enthousiasmant pour des concitoyens souvent désabusés ou désorientés.
Des défis complexes à mieux comprendre et partager
La transition ne saurait s’accomplir dans l’approximation ou la demi-mesure. La mauvaise compréhension de notions telle que la neutralité carbone, la réduction de l’artificialisation, l’autonomie énergétique ou alimentaire, engendre des objectifs incohérents, voire nuisibles aux efforts collectifs. De la qualité de l’appropriation du diagnostic (et de sa gravité) découle l’ambition et la pertinence des réponses apportées. Cette compréhension aide à ramener des notions abstraites, comme le réchauffement climatique global, à des enjeux locaux concrets de sécurité et de bien-être. La formation de l’ensemble des élus et des agents de collectivité est une priorité. Le partage à l’ensemble des parties prenantes du territoire conditionnera la fécondité du dialogue, la compréhension et la qualité des arbitrages politiques.
Un besoin de coordination et de coopération autour d’objectifs partagés
Les individus et les acteurs économiques n’attendront pas pour s’adapter aux évolutions en cours. L’absence de coordination et de coopération sur les territoires risque d’exacerber les rivalités pour l’accès aux ressources.
On parle de « mal-adaptation » pour qualifier les actions qui améliorent la situation d’un acteur au détriment des autres. Exemple : l’accroissement de 15 % des surfaces agricoles irriguées en 10 ans, alors que l’accès à l’eau devient problématique. Seules des démarches collectives fixant des objectifs clairs et partagés au niveau territorial assureront le succès de la décarbonation et de l’adaptation des territoires.
Le manque de cohérence entre planification locale, régionale et nationale
Si la transition écologique doit être territorialisée, afin de tenir compte des spécificités de chaque territoire, une collectivité ne peut fixer seule ses objectifs, sans se soucier de sa contribution aux objectifs régionaux et nationaux. L’Etat doit clarifier ses attentes vis-à-vis des territoires, et établir une priorisation claire de l’usage des ressources limitées essentielles à la transformation de l’économie nationale. Des objectifs régionaux négociés entre l’Etat et les régions, tenant compte des spécificités locales, doivent être partagés et déclinés aux niveaux des intercommunalités. Celles-ci devront alors s’engager à les atteindre, en conservant une grande liberté d’action. Le développement d’une culture de l’évaluation, absente aujourd’hui, sera essentiel pour naviguer dans un monde incertain.
Les stratégies climatiques à revoir, pour mieux guider l’action locale
Conçu pour un monde stable, nos stratégies sous-estiment les conséquences du changement climatique, et omettent les crises susceptibles de survenir. L’intensification et la multiplication des aléas climatiques enraillent le bon fonctionnement de l’économie de nos territoires, et compliquent les efforts de décarbonation.
Ainsi, sous l’effet conjugué des sécheresses et des crises sanitaires, la capacité de séquestration de carbone des forêts, sur laquelle repose l’atteinte de la neutralité carbone, a été divisée de moitié en 10 ans. L’aggravation du changement climatique impose une actualisation à la hausse de nos efforts de décarbonation. Or, seul un « Plan climat » territorial sur dix vise un objectif 2050 au moins égal à l’objectif national.
Un changement de trajectoire avant la fin des mandats municipaux
Le mandat actuel sera le dernier mandat complet avant 2030, date à laquelle les émissions auront dû être divisées de moitié par rapport à 1990 (-23 % aujourd’hui). Les élus locaux doivent dès maintenant ouvrir les chantiers permettant l’atteinte de cet objectif. Les connaissances et les expériences accumulées offrent une foule de pistes d’actions. Beaucoup ne nécessitent pas plus de moyens : il s’agit bien souvent de commencer par « arrêter de mal faire », c’est-à-dire d’aggraver les vulnérabilités en investissant dans des futurs obsolètes.
Cette publication est pensée comme une déclinaison territoriale du Plan de transformation de l’économie française, car elle vise à assurer une cohérence entre planification locale, régionale et nationale.
Elle complète enfin l’ouvrage « Vers la résilience des territoires » paru en 2021 et marque le lancement d’une campagne d’interpellation à destination des élus. Cette campagne, menée par le Shift Project, ses partenaires et l’association The Shifters, inclut de multiples actions de mobilisation locale ainsi qu’une présentation au Salon des Maires et des Collectivités Locales du 22 au 24 novembre prochain.