Les prochaines élections américaines seront-elles arbitrées par Google ? C’est la question très sérieuse que soulève le psychosociologue Robert Epstein, ancien directeur de la fameuse revue Psychologie Today. Son article publié dans le magazine Politico explique, preuves à l’appui, que l’algorithme tenu secret de Google pourrait mettre en avant un candidat au détriment d’un autre. L’analyse porte sur les prochaines élections américaines mais elle pourrait tout aussi bien s’appliquer à d’autres élections dans d’autres pays.
La tribune de Robert Epstein, repérée par nos confères de l’Usine digitale, sonne comme une alerte : « jamais une entreprise n’a eu autant de pouvoir pour contrôler les opinions et les croyances ». Google pourrait modifier, sans que personne ne s’en rende compte, les intentions de vote de 20 % d’électeurs indécis et même de 80 % dans certains groupes démographiques.
Pour justifier cette mise en garde, le chercheur a mené une longue étude sur l’effet de manipulation par moteur de recherche, le « Search engine manipulation effect (SEME) ». Selon lui, il s’agit là d’un des plus puissants effets comportementaux jamais découvert. Ce que soulève Epstein est voisin de la problématique de la poule et de l’œuf. Il se demande en effet : si Donald Trump, par exemple, est au plus haut dans les sondages est-ce un effet du nombre de recherches très fréquentes de son nom sur Google ou est-ce parce qu’il est en tête des pages de recherche de Google qu’il engrange autant de soutiens ? La réponse est d’autant plus difficile que l’algorithme du moteur de recherche est tenu secret et qu’il change continuellement. Google répond aux accusations en affirmant que son rôle se limite à présenter des résultats de recherche « pertinents ». Toujours est-il qu’il n’est pas du domaine de l’impossible que le prochain Président des Etats-Unis soit élu non pas par l’effet de ses discours, de son projet ou de ses performances télévisuelles, mais par les orientations algorithmiques de Google.
La vraie question est de savoir si Google peut rester neutre. Nous sommes ici dans une zone d’opacité intéressante. En effet, si les médias et la publicité font, dans à peu près tous les pays démocratiques, l’objet d’une régulation en période électorale, il n’en est rien en matière de pratique de l’optimisation des moteurs de recherche, le fameux SEO (Search Engine Optimization) tellement prisé des gens de marketing.
L’étude d’Epstein s’interroge sur le cas récent des élections en Inde. Figure controversée de la droite nationaliste hindoue, Narendra Modi est devenu l’année dernière le nouveau Premier ministre indien, après une très large victoire de son parti aux législatives. L’analyse des requêtes faites sur le moteur de recherche pendant cette période électorale, jour par jour, montre sans contestation possible que Modi devançait constamment et dans des proportions considérables ses deux autres adversaires. (Voir les courbes ci-dessous). Selon Epstein, ce volume important d’activité de recherche pourrait aisément avoir été généré par un meilleur classement de Mord dans l’algorithme de ranking de Google.
Plus généralement, Epstein nous amène à constater qu’il n’existe pas la moindre régulation sur Internet et les réseaux sociaux, dont on sait qu’ils ont une capacité immense à faire monter artificiellement des sujets dans l’actualité : les fameux phénomènes de buzz par exemple ou d’achat massif de mots-clés. Le cas de Google n’est donc pas exclusif car il concerne l’ensemble des pratiques que l’on peut mener sur Internet.
La question mérite d’être posée même si l’on sait que la recherche de l’objectivité, d’une manière générale, n’est qu’un leurre. Elle mérite d’autant plus d’être posée si les effets du positionnement dans un moteur de recherche entrainent des effets comportementaux aussi massifs que le prétend l’étude de Robert Epstein. Or la plupart des élections dans les pays occidentaux se jouent avec des écarts très faibles entre les candidats. Il suffit finalement de peu de choses pour faire pencher le verdict électoral d’un côté ou de l’autre. Il s’agit ici d’un vrai problème de démocratie qui appelle à une vigilance citoyenne car le risque de déséquilibre entre ceux qui auront les moyens et la puissance financière de pénétrer dans les arcanes des robots de recherche et les autres, s’avèrera progressivement de plus en plus important et de moins en moins maîtrisable.
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