Hormis dans les films de science-fiction, il est établi comme une table en marbre des lois de la nature que le temps ne pouvait s’écouler que dans un seul sens : du passé vers le futur. Eh bien, cette certitude vient d’être ébranlée par une équipe internationale de physiciens qui ont découvert que, dans des conditions particulières, le temps peut s’écouler à l’envers. Essayons de comprendre comment et pourquoi.
Depuis des âges immémoriaux, le temps est une énigme pour l’homme. Quid est tempus ? Qu’est-ce que le temps ? se demandait Saint-Augustin. Et il répondait ainsi dans ses Confessions : « Quand personne ne me le demande, je le sais. Qu’on vienne à m’interroger là-dessus, je me propose d’expliquer, et je ne sais plus ». Saint Augustin avait raison. Nous parlons tous du temps, nous parlons tous d’heures, de temps passé, de temps à venir. Et tout le monde comprend. Pourtant, quand on y réfléchit bien, rien n’est plus obscur. Notre seule certitude est que la flèche du temps n’a qu’un seul sens. Elle va toujours du passé vers le futur. On se rappelle de ce qui s’est passé hier ; on ne peut se rappeler ce qui s’est passé demain.
Les scientifiques admettent cette certitude, mais ne comprennent pas pourquoi une cause devrait forcément venir avant son effet. Plus on descend au niveau de la matière, plus cette question mérite d’être posée.
Les physiciens apportent des éléments de réponse pour définir le temps en se concentrant sur une caractéristique majeure, le mouvement de l’énergie. Ils font ainsi référence à l’entropie. Dans un système comme l’univers, qui ne peut recevoir d’énergie extérieure, les éléments physiques passent nécessairement d’un état ordonné à un état désordonné. De l’ordre au chaos. Si l’on veut comprendre le phénomène à notre échelle, cela revient à dire qu’un verre d’eau chaude placé dans une pièce froide ne se réchauffera jamais. Il ne pourra que se refroidir. C’est une des lois de la thermodynamique. Comme le temps, on ne peut inverser cette réalité.
Même au niveau quantique, les particules se comportent en fonction des conditions initiales de départ. Elles vont toujours dans un seul sens, vers l’avant.
Ce fonctionnement semble établi comme étant irréversible. Mais aujourd’hui, une faille a été introduite dans cette certitude. Des chercheurs ont établi, à toute petite échelle, que cette flèche pouvait être inversée et que le temps pouvait être remonté. En gros, le verre d’eau chaude devenait de plus en plus chaud, même dans un environnement froid.
Une équipe internationale de chercheurs venus d’Allemagne, de Singapour, de New-York, d’Angleterre, etc., viennent de publier un article sur le site spécialisé arXiv.org. Cette publication (voir l’étude en pdf – anglais) est actuellement en cours de validation pour passer les épreuves de publication dans les grandes revues scientifiques. Il faut donc encore être prudent sur la validité des résultats. Toutefois, cette étude suscite un énorme intérêt car, si elle était avérée, ce serait une révolution en physique, avec des applications que l’on n’oserait imaginer aujourd’hui. Remonter le temps est le rêve de l’homme et peut-être la clé des voyages spatiaux.
Les scientifiques ont eu une idée originale. Ils ont entrepris d’examiner un produit très connu : du chloroforme. Cette molécule est composée d’un atome de carbone, relié à un atome d’hydrogène et à trois atomes de chlore. Ils ont utilisé un champ magnétique puissant pour aligner les atomes de carbone et d’hydrogène qu’ils ont placé, en suspension, dans de l’acétone. Ils ont ensuite utilisé la résonance magnétique nucléaire pour chauffer lentement les noyaux des atomes. Et ils ont observé ce qui se passait.
Logiquement, quand on chauffe un noyau, il devrait transférer sa chaleur, c’est-à-dire ses mouvements aléatoires, aux particules plus froides afin qu’elles aient la même température que lui. C’est exactement ce qui s’est passé dans l’expérience. Les chercheurs ont observé des changements dans l’état énergétique de leurs particules cobayes. Dans des conditions normales, pas de surprise, le mécanisme de l’entropie fonctionne. Mais ils ont eu une grosse surprise en observant un phénomène inattendu : quand les particules sont corrélées, rien ne se passe comme prévu.
Pour comprendre, il faut entrer dans le domaine de la physique quantique. Rassurez-vous, nous ne resterons que sur le seuil de la porte. Quand des particules ont subi des interactions, elles présentent des probabilités qui les verrouillent ensemble, à distance. C’est une version moins complexe que l’intrication quantique. Cette notion semble quelque chose de magique pour un béotien : deux particules ont des états quantiques identiques, quelle que soit la distance qui les sépare. On peut imaginer une particule posée sur Terre et une autre posée sur Mars. Si elles sont intriquées, on pourra modifier la particule terrestre et aussitôt sa sœur jumelle basée sur Mars sera modifiée à l’identique. Difficile à concevoir, et lourde d’implications philosophiques, cette dimension de la physique quantique remet en cause le principe de réalisme local d’Albert Einstein et ouvre des voies d’applications aussi bien dans la transmission d’informations, la cryptographie, l’ordinateur quantique et même la téléportation.
Revenons à nos molécules de chloroforme. Certaines particules corrélées changent la façon dont l’énergie est partagée entre les corps. Les scientifiques ont observé que les particules d’hydrogène chauffées devenaient encore plus chaudes alors que leurs partenaires en carbone devenaient plus froids. Le contraire de ce à quoi on s’attendait. Les chercheurs ont observé, à une toute petite échelle, l’équivalent thermodynamique de l’inversion du temps.
Cette étude promet de n’être que le début qu’une longue histoire. Outre les conséquences dans le domaine des applications industrielles comme par exemple celles de la conduction de la chaleur, l’étude ouvre la voie d’enquêtes supplémentaires pour savoir si ces phénomènes observés dans l’infiniment petit, se retrouvent à l’échelle de systèmes aussi grands et complexes que l’Univers.
La science a l’art de porter des réponses qui suscitent aussitôt des milliards de questions. À suivre donc.
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