Lorsque la pandémie du Covid-19 se calmera, le retour à la normale pour les déplacements sera certainement bouleversé. Car de nouvelles mesures de contrôle sanitaire et de sécurité risquent de compliquer davantage les voyages, notamment dans le secteur de l’aviation. Hausses de prix pour enrayer la récession économique et le chômage, itinéraires avec correspondances, nouvelles mesures de contrôler pour dépister le coronavirus, ce qui deviendra probablement un élément standard de l’expérience de voyage, au moins jusqu’à ce qu’un vaccin soit mis au point et utilisé à grande échelle (1), … A ce jour, les chiffres sont là pour prouver que le trafic aérien mondial a enregistré en mars la plus forte baisse de son histoire récente avec une chute de 52,9% par rapport à l’an dernier, retombant au niveau de 2006, selon l’Association internationale du transport aérien (Iata). « Mars a été un mois désastreux pour l’aviation« , selon l’Iata. En écho à cette annonce, le constructeur aéronautique Boeing a confirmé de son côté à l’AFP qu’il allait réduire ses effectifs globaux d’environ 10% pour faire des économies. Plusieurs grandes compagnies ont déjà annoncé des plans de suppressions d’emplois : 12.000 chez British Airways, 5.000 chez la scandinave SAS, 2.000 chez Icelandair… Airbus a par ailleurs dévoilé mercredi une perte de 481 millions au premier trimestre, évoquant « la plus grave crise jamais rencontrée par l’industrie aéronautique ».
Pour Charles Cabillic, dirigeant du groupe W3, les déplacements en avion et le transport aérien, dans son ensemble, ne seront plus jamais comme avant.
TRIBUNE LIBRE
Pour endiguer la propagation du COVID-19, les déplacements sont réduits au strict minimum et le seront encore probablement pour plusieurs mois. L’économie en est bien sûr bouleversée et les entreprises sont soudainement privées de leur mobilité. Cette crise nous invite ainsi à repenser notre façon de nous déplacer pour concilier mobilité et responsabilité sanitaire et écologique.
Nous ne reviendrons pas « à la normale » … et c’est peut-être une chance
La crise que nous traversons pourrait accélérer des tendances déjà présentes dans l’organisation du travail. Pour nombre de salariés, elle pourrait ancrer le télétravail en lieu et place du vieux triptyque « métro-boulot-dodo » et de la multiplication des voyages d’affaires, de plus en plus coûteux (1000 milliards de dollars par an). Le télétravail n’ayant pas entraîné de baisse significative de la productivité, à l’avenir beaucoup de tâches pourront être réalisées à distance via des systèmes de visioconférence de plus en plus performants, ne nécessitant donc aucun déplacement…
Cependant, si le confinement a démontré l’efficacité de la visio, il a aussi montré qu’elle était inadaptée dans certaines situations… Difficile en effet de négocier un contrat important, visiter un site de production, rencontrer un acteur-clé, gérer une entreprise multisite … en étant tenu à résidence. Si l’on peut s’interroger sur la pertinence de certains déplacements professionnels, tous ne peuvent pas être supprimés. Beaucoup d’entreprises pendant la crise souffrent de cette privation de mobilité. Des solutions doivent être trouvées pour permettre aux personnes de se déplacer sans compromettre l’environnement sanitaire.
Le « non-déplacement » doit être la règle pour permettre l’émergence d’une aviation « responsable »
Le COVID-19 a sans doute sonné le glas du transport de masse, déjà fortement critiqué pour son impact environnemental. Il apparaît aujourd’hui comme un vecteur contribuant à la propagation d’épidémies et le principe même de lignes régulières, quotidiennes, pour des déplacements non essentiels, semble presque obsolète. Nous devons radicalement repenser nos moyens de transport pour que nous puissions les utiliser sans risquer de mettre notre santé et celle de la planète en danger.
Nous devons désormais nous poser systématiquement la question de la fréquence de nos déplacements. Dans un monde où le déplacement ne serait plus aussi régulier mais ponctuel, les services proposés devront être beaucoup plus basés sur un modèle « on demand ».
Nous devons sans doute effectuer une transition du transport régulier de masse, vers un transport plus flexible et individualisé, rendu possible par l’avènement de plateformes digitales et de moyens de transport légers (avions électriques, drones avec passagers, voitures électriques autonomes…).
Dans le secteur aérien, cela signifierait une transition de l’aviation commerciale traditionnelle vers un modèle plus proche de celui actuellement opéré par l’aviation privée. Cela fait sens aussi bien sur le plan sanitaire qu’écologique si on inscrit cette transition dans une logique de voyages ponctuels et uniquement dédiés à des déplacements à fort enjeu économique. En effet, les appareils aujourd’hui utilisés par l’aviation légère dégagent beaucoup moins de gaz à effet de serre que les gros porteurs, et l’arrivée d’avions électriques légers va accroître significativement cette différence. En réduisant le nombre de vols et en utilisant ce type d’avions légers on limite le risque épidémique et on réduit l’empreinte carbone du secteur aérien.
Relocaliser nos industries est devenu une obligation : les transports peuvent y contribuer
Ce modèle de déplacements indispensables, ponctuels et flexibles en lieu et place de lignes fixes régulières est propice au désenclavement des territoires. Cela favoriserait la relocalisation d’activités économiques clés en région et nous prémunirait à l’avenir d’une dépendance à des chaines d’approvisionnement lointaines, encore plus difficiles à maîtriser dans un contexte épidémique.
On peut déjà louer à la demande des avions transportant 4 passagers pour 500 € HT l’heure de vol. Un prix sans doute encore élevé. Reste donc à permettre aux Collectivités Locales de subventionner ces vols à la demande plutôt que de mettre des millions d’Euros dans des lignes régulières structurellement déficitaires.
Le monde d’après le COVID-19 sera différent. Si cette pandémie a mis à mal notre économie aujourd’hui et va sans doute nous faire encore souffrir pendant quelques temps avec le risque d’une importante récession, à long-terme elle aura peut-être des effets bénéfiques.
Les changements dans l’histoire ne se sont jamais produits par hasard. L’urgence écologique nous imposait déjà de revoir notre mode de vie, c’est finalement l’urgence sanitaire qui apportera cette prise de conscience. La mondialisation doit évoluer, notre mobilité doit se transformer.
Charles Cabillic, Dirigeant du Groupe W3
(Groupe regroupant West Web Valley (fonds d’investissement et accélérateur de startups), AlloVoisins (plateforme d’entraide entre voisins), Air Affaires (plateforme de mise en relation de pilotes d’avion, propriétaires d’avion et PME), La Digital School (école pour se former aux métiers du numérique), Tan-Ki (studio de création graphique).
(1) Lire l‘article de Forbes business à ce propos