Les projets architecturaux innovants présentés le 17 janvier pour la 8e édition du concours international d’architecture de la Fondation Jacques Rougerie 2018 devaient obligatoirement s’inscrire dans l’un de ces deux univers : l’ESPACE, champ de développements et d’applications technologiques incontournables pour le futur de notre civilisation (qui a fait l’objet de notre précédent papier – Partie 1) et l’OCEAN garant de notre cadre de vie environnemental et sociétal, objet de cette deuxième partie.
Le Président Mandela disait en 1998, que les longues et magnifiques côtes d’Afrique, ainsi que l’abondance de ressources marines, peuvent contribuer à améliorer la sécurité économique, alimentaire et environnementale du continent. L’Afrique en étant bordée par la mer méditerranée et la mer rouge au nord, l’océan atlantique à l’ouest, l’océan indien à l’est et l’océan austral à l’extrémité sud du continent, est bien dotée.
Parmi les atouts majeurs qu’offrent les océans et les côtes africaines pour le développement économique, social et culturel du continent, on peut citer : le transport maritime de pétrole et de gaz côtiers et offshore, le transport et le commerce maritime, l’extraction minière sur les côtes et au large, la pêche côtière et hauturière, une biodiversité hors de l’imagination et d’énormes ressources génétiques et médicinales marines, le tourisme de bord de mer.
Ces ressources marines et côtières, tout comme le reste des ressources environnementales de l’Afrique, continuent d’être exploitées d’une façon qui ne profite pas à l’Afrique, ni à ses populations. Les défis pour l’Afrique en ce qui concerne son développement côtier sont, entre autres : la montée du niveau des océans, l’inondation des côtes et les crues, la pollution par les hydrocarbures et la pollution d’origine terrestre, la dégradation des littoraux, y compris l’érosion côtière avec la perte des infrastructures et des domaines côtiers, et enfin la perte de la biodiversité et des habitats critiques.
Il devient donc important d’inventer de nouvelles formes de villes côtières, durables, ouvertes et résilientes grâce à une architecture innovante et une ingénierie côtière localement adaptées en Afrique. Le but de ce Prix Focus est de contribuer à la fois à l’invention du futur, en ce qui concerne le développement des villes côtières africaines, ainsi que la préservation de leurs patrimoines intangible et tangible.
Ce Focus s’adressait à toute personne ou équipe visionnaire et passionnée, afin d’imaginer des systèmes de techniques et d’innovations, de design, d’architecture, de concepts et/ou de modèles scientifiques et des méthodes d’ingénierie en se servant à la fois de savoirs et de technologies modernes et ancestrales, qui respecteront la civilisation et la cosmogonie africaines, l’identité locale, les valeurs culturelles, sociales et environnementales, en harmonie avec le mode vie des communautés et des populations locales, mais également en reflétant notre monde globalisé.
L’innovation architecturale et le développement durable en réponse aux grands changements climatiques étaient les maîtres mots de cet appel à la créativité. L’enjeu était de tenir compte des préceptes du développement durable et contribuer à l’intégration de la mer et de l’espace dans le développement de notre société : matériaux innovants, techniques et avancées fondamentales en termes de conception et d’élaboration, d’économie en matière d’énergie ou de ressources naturelles, de recyclabilité, etc. Partie 2 : Palmarès prix Architecture, Design et Technologie pour la Mer
Pour le palmarès Architecture, design et technologie pour la mer, un Focus spécifique a été porté sur les « Constructions flottantes avec le plastique recyclé en mer »
Les micro et macro déchets de plastiques qui polluent toutes les mers du globe représentent une gigantesque masse de matières plastiques, de différentes sortes (polyéthylène, polypropylène, nylon, etc.). Qu’ils proviennent de filets de pêche, de chaluts, d’emballages, de déchets industriels ou ménagers, de résidus, d’articles et objets échappés d’un conteneur à la dérive, qu’ils soient rejetés en mer ou apportés par les fleuves, ces déchets sont un fléau planétaire, directement ou indirectement responsable de la destruction de la faune et de la flore marines, sous-marines et côtières.
Ils sont présents partout, visibles ou invisibles, rassemblés par les courants dans cinq principaux « vortex », sous forme d’une « soupe de plastique » notamment, mais aussi disséminés dans toutes les mers de manière éparse, en surface, entre deux eaux ou sur le fond, aussi échoués sur les rivages, enterrés dans les plages, etc.
La Fondation Jacques Rougerie a invité cette année, les candidats à utiliser en particulier ce plastique présent dans les mers et les océans dans leur projet d’architecture pour le Prix Focus du concours Architecture, Design et Technologie pour la Mer.
Le projet présenté devait prendre en compte ce type de déchets plastiques présents en mer, les utilisant comme matériau de construction ou d’une toute autre façon qui permettra de les intégrer dans un projet architectural flottant, qu’il s’agisse d’un habitat, d’un bâtiment, d’un moyen de transport, d’une installation ou d’équipements (à usage professionnel, scientifique, de loisirs, social, etc.).
Le projet devait utiliser un ou plusieurs types de micro ou de macro déchets présents dans les océans, dans leur forme entière lorsqu’ils sont collectés, ou bien sous la forme de granulés ou de tout autre matériau résultant du recyclage et de la transformation de ces plastiques.
Les candidats étaient invités à être spécifiques, précis, créatifs, imaginatifs et à proposer une intégration originale de ces déchets dans leur projet. Néanmoins, le degré de faisabilité du projet proposé est pris en compte par le jury, ainsi que son adéquation avec son milieu environnant afin d’optimiser l’utilisation des déchets plastiques des océans.
Le bateau de Thésée
Grand Prix 2018 : Le bateau de Thésée de Kaushal Tatiya, Architecte – Inde. Comme un plug-in social.
Etablir le médium : l’histoire de mon projet a commencé comme un dilemme personnel. Marcher à travers le bord de Mumbai : La ville des extrêmes (par Rahui Mehrotra), ma rencontre avec les soi-disant « communautés ouvrières » m’a permis de comprendre leur notion de signification et d’identité. Avec cette valeur émotionnelle envers eux, j’avais pour objectif de travailler au mieux-être de ces communautés de travailleurs. Le navire de Thésée est une pensée expérimentale remettant en question le caractère transitoire de l’identité. Cette proposition est un dispositif, une expérience de pensée, qui permet d’explorer le potentiel d’un avantage au-delà des limites des ambitions d’étalement industriel de Mumbai. De Thésée comme un protagoniste métaphorique de l’identité.
L’objectif de cette étude est de permettre à des inconnus de ressentir une identité, grâce à leur participation, l’occasion de libérer leurs idées, émotions et expressions, en concevant un modèle d’engagement utilisant une base de navire existante. Un navire peut-il devenir un plug-in social ?
Tentative de fabrication d’un nouveau navire, en tant qu’interprétation de la théorie, qui est aujourd’hui une notion subjective. Nous le percevons comme une reconstruction du navire avec des besoins actuels et une partie de l’ancien, pour servir de catalyseur au futur. Petite intervention, mais avec le potentiel de se multiplier et de créer une différence majeure. Ainsi, un prototype du même est réalisé, montrant une expérience de compréhension du contexte local de Mumbai.
La résolution architecturale est adaptable et évolutive. Elle peut être utilisée dans plusieurs villes, à l’échelle locale ou dans le monde. Comment sa propre appartenance s’accompagne-t-elle d’une nouvelle identité ? Reste-t-il toujours le même navire de Thésée ? L’architecture en tant que mouvement : Le bateau de Thésée n’est pas limité juste à l’architecture.
Projet Icemill
Mention spéciale du Grand Prix 2018 : Icemill de Katarzyna Przybyla, Architecte – Pologne. De l’eau pure pour la durabilité mondiale.
Le réchauffement climatique et ses conséquences ont un impact non seulement sur le climat, mais également sur la situation politique et sociale dans le monde entier. Cela se remarque déjà sous forme de conflits liés à l’eau, de guerres ou d’immigration climatique.
Icemill propose de créer un réseau de centres de recherche capable de refroidir l’océan et de produire de l’eau potable pour inverser les changements climatiques. Les structures séparent l’eau salée de l’eau douce avec le gel, ce qui abaisse la température de l’environnement, empêche la fonte des glaciers existants et, d’autre part, préserve la faune et la flore locales.
Projet Plastic Pirates Archipelago
Prix Focus 2018 Constructions flottantes avec le plastique recyclé en Mer : Plastic Pirates Archipelago de Félix Chicoteau & Thomas Giroud – France : Une hétérotopie au milieu des océans sur les déchets de la société.
L’Homme rejette de plus en plus de plastique dans la mer. Ces déchets sont une menace pour notre planète, mais ils pourraient aussi devenir la matière première d’une nouvelle ville dont les habitants choisiront de vivre autrement, sur les résidus de nos sociétés. Nous recyclons une ancienne plateforme pétrolière en une machine permettant de capter ce plastique en le transformant en matériaux utilisable par les imprimantes 3D.
La ville est une addition de quartier et de personnalités. Elle est polycentrique et en mouvement. L’Homme est replacé au centre de la ville, chacun crée son île, la ville est un archipel.
Grand Prix 2018 Architecture et problématique de la montée du niveau des océans :The great wall of lagoon de Chang Chun Lin, et Sheng Han Chen, Architectes – Taiwan, Chine : Gardez le littoral, Reconstruisez la communauté
La grande muraille de Chine empêchait les tribus du nord d’envahir la dynastie. Elle a passé des centaines d’années à remplir sa mission. Contrairement à la Chine, nous ne sommes plus menacés par les nomades du nord, mais le niveau de la mer qui s’élève juste comme eux, érode notre terre.
Prenez notre ville natale, Dong-shih, Chiayi, à Taiwan par exemple, le banc de sable en dehors de la côte ouest en a fait une lagune de 2 km de large et de 8 km de long. La zone de mer calme est devenue une pêcherie naturelle et une ferme ostréicole. Cependant, le niveau de la mer a augmenté, par conséquent, l’interaction entre les vagues et le vent a multiplié par 15 le rétrécissement de la rive chaque année.
Nous souhaitons construire une série de dispositifs reliés entre eux, non seulement pour protéger la rive de la mer en fixant le sable, mais aussi pour l’intercepter. Les dispositifs se composent en quatre parties ; la partie stabilisant le banc de sable, la zone de vie et la partie mécanique. La première partie est constitué d’une série de filets, implantée au fond du banc de sable. Cette partie devient un système non seulement pour stabi1iser le sable, mais aussi pour amonceler le sable, afin de faire monter le niveau du banc.
Il est donc primordial de préserver le banc de sable pour préserver le rivage de l’assaut des vagues et du vent, et garantir que le lagon reste un lieu essentiel et propice à la pêche.
Coup de Cœur du Grand Prix 2018 Architecture & Problématique de la Montée du Niveau des Océans : Tekasa’i de Loïs Tavernier, Designer – France : Vivre en symbiose sur l’eau
TEKASA’I a pour objectif de rétablir la symbiose entre les hommes et leur environnement, grâce à une structure pérenne placée sur l’eau, développant la vie sur les terres inondées.
Selon le GIEC, un tiers du Bangladesh est exposé à la montée des eaux. C’est déjà plus de 30 000 réfugiés climatiques qui sont concernés. Placée sur l’eau, cette structure est contruite pour répondre aux différents problèmes environnementaux du pays. Elle garantit la sécurité, le confort et la pérennité.
Tékasa’i est composée d’une partie intérieure qui correspond à l’habitat et d’une partie extérieure qui permet de faire de l’aquaculture et de l’agriculture hors sol. Tekasa’i est construit entièrement en bambou et assemblé selon des techniques locales.
Le projet a été pensé pour le Bangladesh, car c’est le pays le plus touché par ces changements. Cependant il peut s’inscrire aussi dans d’autres deltas menacés, aux mêmes caractéristiques environnementales.
Prix Focus 2018 Le Littoral africain Architecture et Problématique de la Montée du Niveau des Océans : Sème-Biose de Franklin Hermann Sokning YemelI, et Mesmer Ndienang Dapabko, Architectes – Cameroun : Au-delà de la résilience : le bleu et le vert pour un développement local durable du littoral sénégalais
Le Sénégal est un pays d’Afrique de l’Ouest situé sur la façade Atlantique. Il doit son nom au fleuve qui le borde à l’Est et au Nord. Le rapport à l’eau est donc capital pour son identité et son développement. Toutefois, son littoral est constitué à 90 % de côtes basses et sableuses. Aujourd’hui, le changement climatique combiné à l’explosion démographique et une extension urbaine démesurée y causent de nombreux problèmes (érosion, inondation, pauvreté,…). La situation des populations nous tient à cœur et encore plus celle de la jeunesse qui est devenue une urgence au point où traverser la méditerranée en pirogue devient une option.
Face à cette situation, SEME-BIOSE propose une approche de protection qui intègre le développement du littoral. La démarche est basée sur l’observation de la nature et l’écoute de l’homme. Il s’articule sur 5 strates. La démolition des ruines situées à distance non conforme du front de mer réduit la pression subie par la plage. Des éco-habitats en matériaux locaux permettent de reloger les populations déplacées à l’intérieur des terres.
L’utilisation de brise-vents permet de reconstituer de façon naturelle le cordon dunaire. La création de récifs artificiels et la restauration de la mangrove développent de la biodiversité, atténuent les vagues et optimisent le dépôt sédimentaire. La création d’ilots artificiels permet de maîtriser les houles, tout en développant des activités durables.
Une extension au large, à travers une architecture flottante et respectueuse de l’environnement accueille des activités rentables. À court terme, le projet sème dans le cœur de l’homme des valeurs qui feront de lui un citoyen responsable et vertueux. La vie avec la mer cesse d’être un combat et devient une symbiose ! Le projet se résume à : SEME pour désigner la prise de conscience, le fait d’agir en vue d’anticiper le futur et BIOSE pour Biodiversité, Intégrité, Ordre, Santé, Émergence sont les meilleurs qualitatifs du projet ; d’où le titre « SEME-BIOSE ».
Mention Spéciale Akuo Sunstyle 2018 Architecture et Innovations Solaires en Bord de Mer :
1/Fenêtre astrale de Yahia Barkaoui, Architecte – Tunisie : Architecture vivante
Fenêtre Astrale, une maille environnementale et sociale. Ce système exploite tous les éléments naturels pour renforcer son pouvoir d’absorption de l’énergie solaire.
Le jeu des ombres et de la lumière touche également le côté social et psychologique des gens. Il représente un système architectural intelligent où le bâtiment est devenu un être vivant. Au cours de la journée, un capteur électrique permet de suivre la position du soleil.
Le système solaire est donc placé dans un angle idéal pour capturer les photons. Pendant la nuit, les tuiles photoélectriques sont bloquées pour former une turbine à vent capable de produire et de stocker de l’énergie électrique.
2/ Bloom in Gloom de Michael Angelo Almanza, John Briggs Gime, John Paul Felices, Mc Kenly Toling, Ismael Azis, Armando III Martires, James Ballares, Gabriel Salcedo, Norberto Villas, collectif d’Architectes – Philippines : Grandir et Grandir
L’idée principale du projet Bloom in Gloom est de créer un large éventail de domaines au sein de la communauté en leur permettant de co-créer, co-concevoir et co-exister dans un environnement résilient. Les pays du Cercle de feu auront la chance de concevoir un réseau dynamique qui produira de l’électricité, une communauté, une structure résiliente et produira sa propre nourriture.
L’étude des circuits intégrés, l’analyse de la connectivité et les modèles les moins coûteux pour identifier les corridors potentiels en intégrant la structure et la fonction des correctifs d’espaces verts, afin de fournir des modèles de réseaux de connectivité écologique fiables dans les villes. Les paramètres pertinents, comme la résistance du paysage et la structure des espaces verts, ont été dérivés d’une approche basée sur l’étude d’un expert et sur la littérature relative à la préférence du comportement des oiseaux.
Plus que jamais, nos sociétés ont besoin de regarder vers l’avenir. Ces projections vers un monde en devenir doivent nous permettre d’avancer vers une construction désirable et porteuse de sens pour le plus grand nombre.
Cette 8e édition du concours international d’architecture de la Fondation Jacques Rougerie continue d’encourager la création, l’audace et la capacité à imaginer les visions d’anticipation d’un monde à venir, dans le respect des préceptes du développement durable.
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