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La folie de Trump serait-elle contagieuse ?

La folie de Trump serait-elle contagieuse ?

Prendre le contrepied de Trump pour construire un « monde d'après » souhaitable

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La semaine dernière, une foule violente a envahi le Capitole des États Unis. Ces émeutiers étaient dans un déni absolu de la réalité, celle du vote du 20 Novembre. Leur action était de toutes façons vaine : à l’évidence, ils n’avaient pas le début de la moindre chance de modifier le résultat du vote en cours au sein du Capitole. En affectant gravement l’image des États-Unis dans le monde, ils agissaient même de façon contradictoire à leur but : « Make America great again ». Pour de multiples raisons leur acte était totalement « fou ». L’énormité de la folie de cette tentative, qui revient à saper le socle de la démocratie, est telle que nous ne pouvons pas ne pas nous interroger. Et s’il y avait une leçon, essentielle, à en tirer si nous voulons réellement construire un « monde d’après » souhaitable ?

Qu’avons-nous observé en ces derniers jours de trumpisme ? Bien que toutes ses tentatives pour contester devant les juges la légalité de l’élection aient échouées, bien que sa demande téléphonique de modifier les résultats de Georgie n’aie pas été suivie d’effet, Trump a organisé, dans ce même État de Georgie, un meeting pour célébrer sa victoire. Puis il a appelé à cette manifestation folle. Il a continué en ligne droite, en étant au-delà de la réalité. En même temps, il a exercé/continue d’exercer son pouvoir, qui a un impact sur l’ensemble du monde, en avançant, là aussi, en ligne droite : en détruisant ce qui, dans le monde, pouvait être de l’ordre du multilatéral, du partagé, en réduisant le monde à des « deals » bilatéraux.  Sa logique : en étant au-delà du monde, réduire le monde à des objets d’échange.

Une course folle

Bien sûr, nous pourrions nous contenter de considérer que ce mode de fonctionnement résulte de la personnalité de Trump. Mais près de la moitié des américains ont voté pour lui. À juste titre les analyses se sont multipliées pour tenter de comprendre pourquoi. Mondialisation entraînant de multiples laissés pour compte ? Réseaux sociaux favorisant la diffusion de fake news clivantes ? Écarts croissants entre les revenus ?

Peut-être gagnerions-nous à ouvrir davantage encore notre regard. Et si, en réalité, le mode de fonctionnement de Trump, loin de correspondre à une personnalité très spécifique, loin d’être la conséquence de certaines dérives de notre mode actuel de développement qu’il suffirait de corriger, n’était qu’une expression, extrême, de notre « économie » ? « Économie » étant, là encore, à considérer au sens large, étymologique, du mot oikonomia : non seulement la façon de produire et distribuer des biens et services mais, au-delà, la façon de construire notre maison, notre univers social de vie.

De même que Trump a conduit les USA au bord de l’éclatement, tout montre que notre façon actuelle de faire société nous conduit au bord d’une catastrophe.  Et, de même que Trump a continué en ligne droite jusqu’à inciter à cette action totalement folle, de même, jusqu’à aujourd’hui, nous continuons en ligne droite, une course dont il n’est pas sûr qu’on ne puisse pas la qualifier de folle.

Au-delà de la réalité du monde

Nous reprochons à Trump d’avoir une influence déterminante sur le monde alors qu’il est au-delà de la réalité du monde, et qu’il réduit le monde à des « deals », des échanges, dans un « marchandage » entre deux « marchands ». Mais la logique selon laquelle, aujourd’hui, nous bâtissons notre univers social de vie ne se caractérise-t-elle pas, précisément, en tous domaines, par le surplomb d’un UN qui a tout pouvoir sur ce qu’il définit, mais qui en est au-delà ; et qui réduit ce qu’il définit à des objets d’échanges ?

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Prenons quelques exemples, dans des registres différents, de notre façon actuelle de construire notre univers de vie. Notre relation à la nature : l’homme a tout pouvoir sur elle, en étant au-delà d’elle, la réduisant à des ressources. La gouvernance des entreprises : l’actionnaire est le référent en fonction duquel l’entreprise prend ses décisions, mais, trop souvent encore, il est au-delà de l’entreprise ; il ne se réfère pas à l’entreprise mais au marché ; un marché qui est lui-même structuré par le High Frequency Trading, un marché à « haute fréquence », où les échanges s’opèrent en fonction d’espaces de temps de l’ordre de la centaine de nanosecondes, un temps en radicale discontinuité d’avec le temps réel de l’entreprise. La gouvernance des États : le PIB définit les politiques, mais le PIB est défini hors de toute mise en relation avec ce qui est réellement nécessaire au développement humain ; il ne considère que la quantité de ce qui est échangé monétairement. Remarque : plus un écosystème (naturel ou social) où les relations sont gratuites est précieux, et plus, pour maximiser le PIB, il peut être rentable de le remplacer par des relations commerciales, donc de le détruire.

Il est urgent de chercher à sortir de cette façon de construire notre univers social de vie, et de nous appuyer, le plus possible, sur une logique inverse de celle de Trump. Non plus sur le surplomb, les coupures, les échanges, mais sur une logique selon laquelle l’univers humain est constitué par les relations de partage avec un autre différent de soi. L’émergence de l’économie circulaire, l’économie collaborative, la permaculture, les circuits courts, le commerce équitable, la démocratie participative, mais aussi l’entreprise à mission, la montée de la sensibilité au partage de la valeur, pour ne prendre que ces exemples, ce foisonnement, dans de multiples domaines, sur des registres différents, de modes de fonctionnements fondés sur le partage, est le signe que ceci est, à la fois, urgent et possible.

Une autre logique

Bien sûr, ce changement de logique nécessite des décisions « macro », politiques. Mais, puisqu’il s’agit de réussir un changement systémique, alors, il appartient aussi à chacun de chercher à agir, de sa place, selon cette autre logique. Non seulement en consommant autrement, et/ou en participant à des projets citoyens, mais aussi en agissant en ce sens dans son activité professionnelle. Après tout, c’est là qu’une large part de la vie y est dédiée et que s’y définit une grande partie de l’identité. Nombreux sont ceux qui aimeraient donner plus de sens à leur activité professionnelle, en contribuant à cette nécessaire métamorphose. C’est possible, car dans toute organisation il existe des espaces de liberté.

Prendre le contrepied de Trump dans son activité professionnelle, c’est non plus tant chercher à accroître les quantités de biens ou services à échanger, que chercher à favoriser la multiplication de relations de partage. Ainsi, il ne s’agit pas seulement de chercher à préserver des biens ou services communs, comme nous commençons à l’entrevoir, mais de chercher, en toutes occasions, à accroître les possibilités de relations où un commun est partagé. Ceci nous conduit à identifier trois axes sur lesquels chercher à accroître des relations de partage. D’une part, favoriser les partages à l’intérieur de chaque individu : favoriser l’épanouissement des personnes en lien avec leurs multiples dimensions. Non développer des « ressources humaines ». D’autre part, favoriser le développement de relations de partage entre les personnes et entre les groupes. Ce qui est plus précis que chercher à inclure. Enfin, favoriser le développement de relations vivantes avec l’ensemble de l’environnement.  Ce qui est beaucoup plus que seulement préserver l’environnement. Car c’est aussi favoriser la sensibilité au non mesurable, revaloriser le non chiffrable, alors que le mouvement actuel nous conduit à ne voir de la réalité que ce qui en est chiffrable. Et c’est aussi favoriser la sensibilité au temps long, alors qu’il conduit à survaloriser l’émotion du clic instantané.

Chacun peut prendre le contrepied de Trump dans son activité professionnelle. Même dans une organisation prise dans les contraintes du mode de développement actuel. Car il n’est pas nécessaire de chercher des « trous » dans celle-ci, où créer du nouveau radical. Déjà, ajouter aux objectifs assignés une dimension supplémentaire inspirée par ces repères permet de faire un pas de côté. Chacun peut, de sa place, contribuer ainsi, à sa mesure, à un « monde d’après » souhaitable.  Et ainsi donner plus de sens à son activité professionnelle.

Philippe Lukacs, Chroniqueur invité de UP’ Magazine, Professeur de management de l’innovation à l’École Centrale de Paris, auteur de Stratégie pour un futur souhaitable (Dunod, 2008) et cofondateur d’ENGAGE.

Image d’en-tête : Photo Doug Mills/New York Times

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