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Apocalypse Nord : Les Russes déploient leurs armes en Arctique

Apocalypse Nord : Les Russes déploient leurs armes en Arctique

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La nouvelle doctrine navale russe, signée ce dimanche 31 juillet par Vladimir Poutine à l’occasion de la Journée de la Flotte russe est sans ambiguïté : la Russie veut rester maîtresse de l’Arctique et entend même consolider ses positions dans cette région très stratégique du monde. La fonte des glaces de l’Arctique est un désastre écologique que le réchauffement climatique produit chaque jour plus intensément. Mais pour certains, cette catastrophe climatique est une aubaine. Elle ouvre de nouveaux appétits dont les conséquences pourraient être apocalyptiques dans une région du globe où, il y a quelques années seulement, la banquise était si épaisse qu’elle figeait le continent Arctique dans une gangue de glace. La géostratégie mondiale et les équilibres fragiles de la nature sous ces latitudes en sont alors brutalement chamboulés.

L’Arctique est en train de « se transformer en une région de concurrence internationale, non seulement du point de vue économique, mais aussi du point de vue militaire », stipule la nouvelle doctrine, signée en grande pompe dans le cadre d’une parade navale à Saint-Pétersbourg. Il faut dire qu’avec le changement climatique, la région polaire pourrait devenir une véritable mine d’or. Alors que Moscou règne sur la zone Nord-Est de l’Arctique, le pays cherche à exploiter les nouvelles opportunités concernant les gisements de minéraux, gaz et pétrole, de plus en plus accessibles. La Russie entend également profiter pleinement de l’ouverture de la route du Nord qui, avec la fonte des glaces, connecte les Océans Atlantique et Pacifique.

Embourbé dans le conflit en Ukraine, Vladimir Poutine n’a pas pour autant mis de côté ses ambitions polaires. Le pays va renforcer « ses positions dirigeantes dans l’exploration et la conquête de l’Arctique » et de ses gisements de minéraux et assurer sa « stabilité stratégique » dans la zone en renforçant le potentiel militaire des Flottes russes du Nord et du Pacifique, précise le document. Le pays souhaite également « développer pleinement la Route maritime du Nord », aussi appelé le Passage du Nord-Est qui relie l’Europe à l’Asie en longeant les côtes russes, pour le transformer en une voie « sécurisée et compétitive qui fonctionnerait toute l’année », selon la doctrine.

Le document de 55 pages dénonce par ailleurs la volonté des États-Unis de « dominer dans les eaux mondiales » et le « rapprochement des infrastructures militaires de l’Otan des frontières russes », en qualifiant ces phénomènes de « menaces principales » pour la Russie. Moscou considère l’Alliance atlantique, son vieil ennemi de la Guerre froide, comme une menace existentielle et a notamment justifié son offensive en Ukraine par les ambitions atlantistes de Kiev et le soutien politique et militaire occidental à ce voisin de la Russie.

Des armes apocalyptiques capables de déclencher des « tsunamis radioactifs »

L’année dernière déjà, des images satellites fournies à CNN par la société d’imagerie spatiale Maxar montraient une accumulation massive et continue de bases et de matériel militaires russes sur le littoral arctique du pays, ainsi que des installations de stockage souterraines susceptibles d’accueillir le Poséidon, la nouvelle arme nucléaire capable de déclencher des « tsunamis radioactifs ». Le matériel russe dans la région du Grand Nord comprend des bombardiers et des avions de chasse, ainsi que de nouveaux systèmes radar près de la côte de l’Alaska.

Les images montrent le renforcement lent et méthodique des aérodromes et des bases militaires russes à plusieurs endroits le long de la côte arctique de la Russie au cours des cinq dernières années. Ces bases se trouvent à l’intérieur du territoire russe et font certes partie de la défense légitime de ses frontières et de son littoral. Mais les responsables américains ont toutefois exprimé leur inquiétude quant au fait que les forces pourraient être utilisées pour établir un contrôle de facto sur des zones de l’Arctique plus éloignées, et bientôt libres de glace. « La Russie remet à neuf les aérodromes et les installations radar de l’ère soviétique, construit de nouveaux ports et centres de recherche et de sauvetage, et renforce sa flotte de brise-glace à propulsion nucléaire et conventionnelle », a déclaré à CNN le lieutenant-colonel Thomas Campbell, porte-parole du Pentagone. « Elle étend également son réseau de systèmes de missiles de défense aérienne et côtière, renforçant ainsi ses capacités d’anti-accès et de déni de zone sur des portions clés de l’Arctique », a-t-il ajouté.

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Base militaire de Nagourskoïé dans l’archipel de Terre d’Alexandre. Image satellite datée du 23 mars 2021. ©2020 Maxar Technologies

Des armes de haute technologie sont testées régulièrement dans la zone Arctique, selon des responsables russes cités par les médias d’État et des responsables occidentaux : le Tsirkon et le Poséidon font partie d’une nouvelle génération d’armes promises par Poutine en 2018 comme des « game changers » stratégiques dans un monde qui évolue rapidement.

À l’époque, les responsables américains ont dédaigné ces nouvelles armes comme étant techniquement farfelues et improbables, pourtant elles semblent être sur le point de se concrétiser. Le chef des services de renseignement norvégiens, M. Stensønes, a déclaré à CNN que le Tsirkon était une « nouvelle technologie, avec des vitesses hypersoniques, ce qui le rend difficile à défendre. »

Le 1er avril 2021, l’agence de presse d’État russe TASS a cité une source du complexe militaro-industriel affirmant qu’un autre test réussi du Tsirkon avait eu lieu depuis le navire de guerre Admiral Gorshkov, précisant que les quatre fusées d’essai avaient atteint leur cible et qu’un autre niveau plus avancé de tests commencerait en mai ou juin. Les experts en armement et les responsables occidentaux se sont montrés particulièrement préoccupés par une autre « super-arme » russe, la torpille Poseidon 2M39. Le développement de la torpille progresse rapidement. Un mois plus tôt, le président russe a demandé à son ministre de la défense, Sergei Shoigu, de faire le point sur une « étape clé » des essais ; d’autres essais sont prévus cette année, selon de multiples rapports des médias d’État.

Cette torpille furtive est alimentée par un réacteur nucléaire et est destinée à se faufiler au fond de la mer pour passer outre les défenses côtières. L’engin est capable de délivrer une ogive nucléaire de plusieurs mégatonnes, selon les responsables russes, provoquant des ondes radioactives qui rendraient des pans entiers du littoral visé inhabitables pendant des décennies.

Christopher A Ford, alors secrétaire d’État adjoint à la sécurité internationale et à la non-prolifération, a déclaré que le Poséidon était conçu pour « inonder les villes côtières américaines de tsunamis radioactifs ». Les experts s’accordent à dire que l’arme est « très réelle » et qu’elle se concrétise déjà. Le chef des services de renseignement norvégiens, le vice-amiral Nils Andreas Stensønes, a déclaré à CNN que son agence a évalué le Poséidon comme « faisant partie du nouveau type d’armes de dissuasion nucléaire. Et il est en phase de test. Mais c’est un système stratégique et il vise des cibles … et a une influence bien au-delà de la région dans laquelle ils le testent actuellement. »

L’appât des Routes du Nord

Les responsables américains ont également exprimé leur inquiétude face à l’apparente tentative de Moscou d’influencer la « route maritime du Nord » — une voie de navigation qui va de la Norvège à l’Alaska, le long de la côte nord de la Russie, jusqu’à l’Atlantique Nord. La  » Northern Sea Route  » permet potentiellement de réduire de moitié le temps qu’il faut actuellement aux conteneurs maritimes pour rejoindre l’Europe depuis l’Asie via le canal de Suez, dont on connait depuis quelques jours la fragilité face aux mastodontes qui l’empruntent.

Venta Maersk

En septembre 2018, un grand navire ultramoderne de brise-glace, appartenant au géant danois Maersk, a été le premier porte-conteneurs au monde à emprunter la Northern Sea Route, le légendaire passage du Nord-Est qui va du bord de l’Alaska au sommet de la Scandinavie, le long du littoral sibérien désolé de la Russie. Long de 200 mètres, transportant près de 3.600 conteneurs, le navire est parti de Vladivostok en Extrême-Orient, et a effectué la route arctique en cinq semaines. Il a fait escale à Busan en Corée du Sud avant de s’élancer via le détroit de Béring jusqu’à Bremerhaven, en Allemagne, avant d’arriver à Saint-Pétersbourg, son port de destination.

Un exploit qui était encore impossible il y a quelques années mais qui, aujourd’hui, est réalisable en raison du retrait rapide et, pour beaucoup, profondément troublant, de ce brise-glace. Auparavant, il aurait fallu que le Venta emprunte le canal de Suez et rallonge son voyage d’une bonne dizaine de jours pour atteindre son même point de destination.

En février 2021, le voyage du Christophe de Margerie, un transporteur de gaz naturel liquéfié, est vu comme un coup de marketing pour la compagnie russe Sovcomflot —et en même temps, un message aux autres compagnies qui font la liaison entre l’Asie et l’Europe et rêvent de pouvoir gagner 13 000 kilomètres par rapport au trajet actuel par le canal de Panama. Le Christophe de Margerie —qui porte le nom d’un ancien PDG de la compagnie pétrolière française Total— a bénéficié de l’accompagnement d’un brise-glace nucléaire russe, « 50 Let Pobedy« , pour son voyage dans trois des six mers arctiques.

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Le Nord ouvre les appétits de Poutine

Le lieutenant-colonel Thomas Campbell a déclaré que la Russie cherchait à exploiter la Northern Sea Route en tant que « voie de navigation internationale majeure ». Mais il s’est dit préoccupé par les règles que Moscou cherche à imposer aux navires qui empruntent cet itinéraire. « Les lois russes régissant les transits NSR dépassent l’autorité de la Russie en vertu du droit international », a déclaré le porte-parole du Pentagone. « Elles exigent que tout navire transitant par la NSR dans les eaux internationales ait à son bord un pilote russe pour le guider. La Russie tente également d’exiger que les navires étrangers obtiennent une autorisation avant d’entrer dans la NSR. »

En quelques décennies, la calotte glaciaire de l’Arctique a perdu près de la moitié de sa surface. Et ce n’est pas terminé. Les scientifiques qui observent la fonte de la banquise s’alarment ; selon les calculs des spécialistes du National Snow and Ice Data Center des États-Unis situé à Boulder, au Colorado, la couverture des glaces de mer de l’Arctique a diminué de 13,2 % par décennie en septembre de chaque année. Depuis le début des enregistrements par satellite en 1979, les douze niveaux les plus bas ont tous été enregistrés au cours des douze dernières années.

Ces effets du réchauffement climatique sont une bénédiction pour Vladimir Poutine qui fonde de grands espoirs dans l’ouverture de cette « route prometteuse ». Selon l’AFP, dans son projet de budget 2019-2021, la Russie a prévu d’investir plus de 40 milliards de roubles (516 millions d’euros au taux actuel) dans le développement de cette route, avec des infrastructures portuaires et la construction de brise-glace nucléaires.

Rouslan Tankaïev, expert auprès de la Chambre de commerce et de l’Union des producteurs d’hydrocarbures de Russie, estime que d’ici à 2050, « la route sera praticable toute l’année », une « bénédiction » pour des pays comme la Russie ou le Canada. Selon lui, les volumes de transport par l’Arctique augmenteront « très rapidement » : « L’année dernière, le trafic était de 7,5 millions de tonnes. Dans les années à venir, il est prévu de le porter à 40 millions ».

Les Américains ont eu leur Far-West, on observe ici un véritable Far-North. Des zones immenses de la planète se trouvent désenclavées. C’est le cas de la Sibérie. Vladimir Poutine ne s’y est pas trompé et espère à travers ces nouvelles voies maritimes donner un nouvel élan aux terres jadis inhospitalières mais extraordinairement riches en ressources du Nord de la Russie. La Chine y voit le moyen de prolonger sa fameuse « route de la soie » et inonder le monde occidental d’encore plus de produits et de matières premières. Car l’Arctique est en train de devenir la voie royale des porte-conteneurs et des pétroliers qui constituent le flux vital de l’économie mondiale.

Elizabeth Buchanan, Maître de conférences en études stratégiques à l’université Deakin en Australie, fait valoir que « la géographie de base offre à la Russie le NSR qui voit de plus en plus de glace plus mince pendant une plus grande partie de l’année, ce qui rend commercialement viable son utilisation comme artère de transport. Cela pourrait encore transformer la navigation mondiale, et avec elle les mouvements de 90+% de toutes les marchandises dans le monde. »

Le département d’État américain pense que les Russes sont surtout intéressés par l’exportation d’hydrocarbures – essentiels à l’économie du pays – le long de la route, mais aussi par les ressources mises au jour par la fonte rapide. Le gonflement de leurs muscles militaires dans le nord — clé de la stratégie de défense nucléaire de Moscou, et aussi principalement sur le territoire côtier russe — pourrait être une tentative d’imposer leur loi sur une zone plus large. « Lorsque les Russes testent des armes, brouillent les signaux GPS, ferment l’espace aérien ou maritime pour des exercices, ou font voler des bombardiers au-dessus de l’Arctique le long de l’espace aérien des alliés et des partenaires, ils essaient toujours d’envoyer un message », rappelle le fonctionnaire du Pentagone, le lieutenant-colonel Campbell.

La Russie jure que ses intentions sont « pacifiques et économiques »

Un document publié en mars 2020 par les responsables politiques du Kremlin présente les principaux objectifs de la Russie dans une région qui représente 20 % de ses exportations et 10 % de son PIB. La stratégie vise à assurer l’intégrité territoriale de la Russie et la paix régionale. Elle exprime également la nécessité de garantir un niveau de vie élevé et la croissance économique dans la région, ainsi que de développer une base de ressources et le NSR en tant que « corridor de transport national compétitif au niveau mondial. »

La Russie mise sur l’Arctique et peu importe si les dégâts environnementaux s’annoncent gigantesques. En construisant sur le permafrost, les Russes prennent des risques majeurs. En ouvrant des routes maritimes dans des régions jusque là vierges de toute activité humaine, ils provoquent un désastre écologique.

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Il n’empêche, Poutine vante régulièrement l’importance de la supériorité technologique de la Russie dans l’Arctique. En novembre, lors de l’inauguration d’un nouveau brise-glace à Saint-Pétersbourg, le président russe a déclaré : « Il est bien connu que nous disposons d’une flotte unique de brise-glace qui occupe une position de premier plan dans le développement et l’étude des territoires arctiques. Nous devons réaffirmer cette supériorité en permanence, chaque jour. »

Une supériorité que Poutine revendique en se félicitant d’un exercice sous-marin qui s’est déroulé la semaine dernière, au cours duquel trois sous-marins ont fait surface en même temps dans la glace polaire : « L’expédition dans l’Arctique … n’a pas d’analogues dans l’histoire soviétique et moderne de la Russie » a-t-il tenu à souligner.

Parmi les nouvelles armes qui font la fierté de Poutine, le Poseidon 2M39 est l’une des plus dangereuses. Au début, les analystes la considéraient comme une arme « tigre de papier », destinée à terrifier par ses pouvoirs destructeurs apocalyptiques qui semblent contourner les exigences des traités actuels, mais pas à être déployée avec succès. Pourtant, une série de développements dans l’Arctique – y compris, selon les médias russes, l’essai de transport de l’arme furtive par sous-marin ont maintenant conduit les analystes à considérer le projet comme réel et actif. L’agence de presse étatique russe, RIA Novosti, a cité lundi une « source » affirmant que les tests du sous-marin Belgorod, spécialement développé pour être armé de la torpille Poseidon, seraient achevés en septembre.

Le sous-marin nucléaire à propulsion spéciale Belgorod, qui sera le premier porteur de drones sous-marins stratégiques Poséidon

Manash Pratim Boruah, expert en sous-marins chez Jane’s Fighting Ships, a déclaré : « La réalité de l’arme est claire. Il y a une très bonne probabilité que le Poséidon soit testé, et alors il y a un risque qu’il pollue beaucoup. Même sans ogive, mais certainement avec un réacteur nucléaire à l’intérieur. »

Katarzyna Zysk, professeur de relations internationales à l’Institut norvégien d’études de défense, affirme que le Poseidon « devenait tout à fait réel », étant donné le niveau de développement de l’infrastructure et les essais des sous-marins destinés à transporter la torpille. « C’est un projet qui sera utilisé pour faire peur, comme une carte de négociation à l’avenir, peut-être dans les pourparlers sur le contrôle des armes », a-t-elle observé. « Mais pour ce faire, il doit être crédible. Cela semble être le cas. »

Avec le réchauffement climatique, les régions Nord du globe s’insèrent au cœur de stratégies de conquête de territoires sur la nature. Des régions qui étaient des sanctuaires naturels pris dans les glaces sont en train de devenir des cauchemars militaro-industriels. Aucune leçon ne semble tirée des dégâts causés par la voracité des hommes. La planète et surtout l’espèce humaine sont menacées, mais l’on continue de plus belle.

Avec CNN, AFP

Mise à jour de l’article de fond publié par UP’ Magazine le 7/4/21

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