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Quand le drone se met au service de la biodiversité

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Comment observer les espèces animales évoluant en liberté sans interférer sur leurs vies ? Observations souvent délicates, car elles impliquent une intrusion susceptible de modifier leurs comportements voire leurs environnements. Un nouveau projet innovant, le projet S.I.E.L., Projet de Surveillance par Image des Espèces en Liberté, dans le cadre du FSDIE (Fonds de solidarité et de développement des initiatives étudiantes) permet, grâce à l’utilisation d’un drone nouvelle génération d’apporter une solution pour augmenter la durée du temps de vol, sans bouleverser l’écosystème animal : des vols de plus de 55 minutes et multiplication par 9 le temps de captation vidéo.
 
Il s’appelle Robin Mathevet et est étudiant en 3e année de licence énergie électrique et automatique (EEA) à Sorbonne Université. Passionné par la conception de drones, il est convaincu que leur utilisation peut contribuer à des objectifs innovants. Parce qu’il s’est toujours intéressé à la biologie, notamment à travers un parcours incluant une mineure sciences du vivant, il a voulu mettre les avancées techniques du drone au service de cette discipline.
 
Robin Mathevet
 
Il a proposé son projet à Olivier Adam, enseignant-chercheur à l’Institut d’Alembert (UPMC), travaillant sur l’observation des cétacés. Enthousiasmé, il lui a offert un cas d’utilisation exceptionnelle : l’observation du comportement des mammifères marins à Madagascar. Pour tester le prototype en situation réelle, il l’a donc accompagné sur son lieu de mission lorsque les baleines s’approchaient des côtes malgaches.
 
Pendant quatre mois, il a travaillé à la conception du drone, réalisé les calculs et dessiné les plans. Il a anticipé les difficultés et les besoins afin de développer un drone adapté aux conditions de la mission. Il l’a rendu étanche et a ajouté des flotteurs pour qu’il puisse amerrir. Il a créé un système de double commande permettant aux chercheurs d’utiliser la caméra pour leurs observations de façon autonome en parallèle du pilotage.
Avec les chercheurs, ils ont observé depuis le ciel des interactions inédites entre les baleines et leurs petits, sans perturber leurs comportements ni leur environnement.
 
Actuellement, les observations visuelles des animaux restent privilégiées dans la mesure où, même si elles ont des inconvénients, ce sont les seules qui permettent d’identifier, en plus de leur environnement, l’espèce, le ou les individus, leurs activités et leurs éventuelles interactions. Elles sont fondamentales si on veut les comprendre en recensant et en décrivant le plus finement possible leurs activités.
 
L’arrivée des drones aériens rajoute une nouvelle façon de faire pour collecter des données, que ce soit pour des animaux terrestres, volants ou marins. Qu’ils soient ailés ou à hélice, nous en sommes au tout début de l’utilisation de ces engins, notamment comme outils pour les programmes de recherche. Rappelons que les drones sont des outils clés de l’observation et de la surveillance. Leur capacité d’emport, leur stabilité, leur vitesse et leur faible coût en font une technologie phare de notre époque. Le seul frein à leur utilisation massive est la faible autonomie des batteries. Un drone vol en moyenne 20 minutes en restant immobile ce qui n’est pas suffisant pour de nombreuses utilisations. Ils nécessitent, en effet, de reconsidérer les protocoles, d’évaluer leurs impacts potentiels et également de correctement les prendre en main. En ce qui concerne plus particulièrement les drones ailés, ils présentent certains inconvénients, en particulier leur faible autonomie. 
Pour les projets de recherche, les drones sont principalement employés pour décrire des zones géographiques spécifiques (à fort dénivelé, par exemple, ou pour avoir accès à des informations pédologiques), ou pour l’observation d’espèces animales dans leur environnement : cela permet de les recenser, d’informer sur leurs préférences d’habitats, et éventuellement de les suivre.
Aussi, le projet S.I.E.L. vise à apporter une solution pour augmenter significativement la durée de leur temps de vol.
 

Objectif du projet

Le projet S.I.E.L. vise à augmenter la durée de vol des drones à hélice de type multirotor, dans le cadre du code d’approche des cétacés décrit dans la charte issue d’un arrêté interministériel à Madagascar (Arrêté interministériel n° 2083/2000). Les multirotors utilisés pour des applications civiles sont actuellement extrêmement limités par leur temps en vol ; inconvénient amplifié s’il faut transporter et alimenter des capteurs. D’autre part, au temps de vol maximum de l’appareil, il faut considérer le temps nécessaire pour se rendre sur la scène d’intérêt et en revenir et enfin, prévoir une marge de sécurité. S.I.E.L. vise à trouver des solutions pour augmenter significativement cette autonomie. 
 
Ce projet engage plusieurs étudiants venant de plusieurs établissements. Ils doivent concevoir et réaliser un prototype, puis le tester pour évaluer les performances. De compétences différentes (mécanique, électronique, programmation), ils doivent travailler ensemble et en respectant les différentes étapes pour s’assurer de l’avancée progressive de ce projet suivant le calendrier retenu. Aussi, l’animation est la clé de ce projet en renforçant les liens entre eux.
Le design du drone tient compte de l’application visée, par des contraintes sur le choix de l’architecture : dimension relativement réduite pour un décollage/atterrissage d’un bateau, étanchéité de la structure et des moteurs pour un départ/arrivée en mer, facilité de montage/démontage pour que cela puisse se faire dans un endroit isolé loin des villes alentours.
Le drone doit évoluer à une grande distance du pilote pour éviter les interactions avec les animaux, le pilotage à vue est donc impossible. Pour cela, une caméra fixe est placée sur l’avant du drone et transmet en temps réel la vidéo sur un écran dédié au pilote pour permettre un pilotage en vue à la première personne (FPV).
 
Le but premier du drone étant la prise de vue, celui-ci est muni d’un cardan permettant de porter, orienter et stabiliser sur trois axes une caméra de type action cam. La vue de la caméra est retransmise en temps réel à un co-pilote au sol qui peut l’orienter comme il le souhaite à l’aide d’une seconde radiocommande dédiée au contrôle du cardan.
 
Robin Mathevet a déjà conçu de nombreux drones de tous types, des racer très légers et rapides aux drones de prises de vues plus gros et stables. Il a travaillé en 2017 sur l’amélioration du temps de vol par la conception et l’assemblage de batteries plus performantes que ce qui se fait dans le commerce. Sa batterie a permis de gagner plus de 60% de temps de vol – 23 minutes avec une batterie LiPo classique contre 38 minutes avec la batterie prototype sur un drone de prise de vue de 1800g, sans impacter ni les performances ni le poids de l’appareil.
 

Tests en situation réelle

Le Professeur Olivier Adam a trouvé un fort intérêt au projet S.I.E.L, car pour étudier les baleines à bosse, il déploie plusieurs méthodes complémentaires, allant des observations visuelles de surface et sous-marines aux enregistrements acoustiques. L’année dernière, il a utilisé, pour la 1ère fois, un drone à hélice Phantom III, mais a été déçu par la très faible autonomie (15 min) permettant au final d’obtenir des vidéos trop courtes pour qu’elles soient finalement exploitables. Sa solution envisagée pour la mission 2017 était de recourir à deux drones envoyés successivement l’un après l’autre, le temps de changer les batteries de l’un pendant que l’autre était en vol. Ce dispositif est intéressant mais reste complexe, dans la mesure où il nécessite une forte organisation à bord du bateau, et une concentration importante du pilote qui doit gérer deux drones. Le projet S.I.E.L. offre la possibilité d’avoir un drone avec une autonomie multipliée par 3, c’est-à-dire permettant de filmer sur une quarantaine de minutes les baleines qui l’intéressent.
 
Les baleines migrent aux latitudes à Madagascar en juillet-août pour leur période de reproduction. Elles déploient plusieurs stratégies pour optimiser leurs rencontres. Ces interactions ont déjà été largement décrites dans la littérature scientifique. Mais toutes les observations ont été faites à partir de bateaux. Et les images sous-marines sont extrêmement rares, car il est très difficile de suivre ces cétacés qui se déplacent en permanence et changent de direction régulièrement. Avec les drones, une nouvelle possibilité d’avoir des images est née.
Cela est particulièrement intéressant pour étudier les baleines à bosse qui évoluent en surface et en sub-surface. Les vidéos obtenues par drone permettent d’identifier les individus, et de décrire leurs comportements respectifs (positions des uns par rapport aux autres, agressivité, temps d’exclusion du groupe). Ces données pourront être utilisées de façon beaucoup plus concrète dans une étude éthologique, et permettre d’anticiper les mâles vainqueurs qui auront utilisé des stratégies plus pertinentes pour l’accès à la femelle.
Les chercheurs s’intéressent également aux interactions des mères baleineaux. Dans les deux cas, la durée des observations doit être la plus longue possible, car des vidéos de moins de 5 min (comme cela a été fait l’année dernière avec un drone Phantom III) ne permettent pas de décrire les scènes entre ces baleines.
 
Ce test en conditions réelles a donc permis de faire un bilan sur l’utilisation de ce drone en appréciant les bénéfices de l’augmentation de l’autonomie à plus de 40 minutes consécutives tout en tenant compte des conditions de mer. Les tests ont également mis en évidence la manœuvrabilité pendant les observations et les facilités de déploiement/récupération du matériel.
 
Tout l’intérêt de ce projet par rapport aux projets de drones précédemment réalisés sont les contraintes auxquelles doit faire face le drone. En étant utilisé dans un autre cadre que celui du loisir, l’appareil doit être particulièrement fiable. De plus, la conception devra être particulièrement sérieuse pour éviter les mauvaises surprises telles qu’une batterie qui n’atteindrait par l’objectif de 50 minutes de vol stationnaire ou un châssis mal pensé qui pourrait entrer en résonance aux différents régimes moteurs utilisés lors des missions qu’il devra effectuer.
Ce projet a donc deux défis majeurs : la réalisation d’un drone ayant une autonomie en vol exceptionnelle et la réalisation d’une machine à utilisation professionnelle.
 

Valorisation du projet

Les membres du projet attachent une importance particulière à sa valorisation. S.I.E.L. s’inscrit dans des actions de valorisation, en particulier afin de mettre en avant l’établissement Sorbonne Universités et ses formations. Car ce projet a pu voir le jour grâce au FSDIE de Sorbonne Université, au CFA des sciences, aux départements de licences EEA et mécanique et au master sciences pour l’ingénieur. En 2017, il a permis à Robin Mathevet de remporter, avec deux autres étudiants, Tracey Calme et Lucas Maigre, le prix de l’innovation du FSDIE.
 
Plusieurs actions sont envisagées comme, notamment, pour les formations de Physique et Sciences de l’Ingénieur : organisation d’une session d’1h (dans l’heure de midi par exemple) au cours de laquelle les inventeurs viendraient présenter leur prototype aux étudiants et les résultats de ce projet. Parce que ce sont des étudiants dans ces parcours, leur démarche vise à illustrer de façon les opportunités concrètes possibles de ces étudiants, grâce à leurs connaissances et compétences acquises à l’Université Pierre et Marie Curie. Il s’agit également de contribuer à la valorisation des formations en électronique et mécanique en témoignant de leur expérience, en particulier auprès des étudiants de L3 au moment de leur choix vers des masters.
Il s’agit pour eux de profiter de ce projet pour diffuser largement vers d’autres publics. Ils pensent notamment aux étudiants du MNHN, de Sorbonne Universités spécialistes en biologie animale, écologie et environnement, et aussi aux étudiants de Paris Sorbonne sur l’aspect social avec un projet sur Madagascar.
 
Au-delà de l’aspect purement scientifique et technologique, c’est aussi un projet à dimension humaine dont ils veulet témoigner en mettant en avant Madagascar, en rapportant des images exceptionnelles de ce pays et des témoignages des personnes qu’ils sont allés rencontrer. Ils veulent également rendre compte de la richesse de la biodiversité de ce pays. En particulier, ils souhaitent contribuer, à leur niveau, à la conservation des cétacés et la protection de leur environnement.
 
Le grand public doit pouvoir aussi profiter de ces avancées : Tous les ans, l’UPMC organise des stands pour présenter ses activités de recherche lors de la Fête de la Science. Il semble que ce projet pourrait y être présenté, soit sur un stand, soit au cours d’une conférence à destination du grand public.
Le Professeur Adam est très impliqué dans la valorisation des activités de recherche : il participe à des émissions de radio, contribue à des documentaires animaliers. En 2017, il organisait un cycle de conférences sur les cétacés à l’Aquarium de la Porte Dorée
 
Quand on pose la question à Robin Mathevet de comment il est parvenu à réaliser des images inédites d’observations des baleines, il répond : « Pendant quatre mois, j’ai travaillé à la conception du drone, réalisé les calculs et dessiné les plans. J’ai anticipé les difficultés et les besoins afin de développer un drone adapté aux conditions de la mission. J’ai créé un système de double commande permettant aux chercheurs d’utiliser la caméra pour leurs observations de façon autonome en parallèle du pilotage. Et ainsi, sur place, nous avons pu obtenir des vols de plus de 55 minutes et multiplier par 9 le temps de captation vidéo. Avec les chercheurs, nous avons observé depuis le ciel des interactions inédites entre les baleines et leurs petits, sans perturber leurs comportements ni leur environnement. »
 
Comment envisage-t-il la suite de son parcours ? « Je voudrais monter une startup qui crée de nouvelles générations de drones. Je souhaiterais également créer une compétition de vitesse de drones entre les universités et les écoles d’ingénieur au sein de Sorbonne Université. D’ici là, j’espère continuer à réaliser des engins volants adaptés à la recherche scientifique et améliorer celui déjà réalisé lors du projet S.IE.L. pour lui permettre de prélever, en vol, un échantillon du souffle des baleines. »
(Source : Sorbonne Universités)
 
 
Pour aller plus loin :
 
– workshop international dédié à l’utilisation de drones pour la conservation, « Unmanned aerial systems in marine science & conservation »
 

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