La ville d’Eindhoven, aux Pays-Bas, se transforme en parcours santé adapté à tous : face au constat du vieillissement de la population, de nombreuses entreprises se sont lancé dans la Silver Economie pour répondre aux besoins grandissants des personnes âgées. Les collectivités sont aussi directement concernées. Comment peuvent-elles œuvrer pour que leurs administrés conservent leur capital santé et leur autonomie physique ? Comment créer les structures pour encourager l’exercice physique ? Denovo, cabinet de design transeuropéen, a fait de l’adaptation de l’environnement aux seniors sa spécialité et œuvre avec les collectivités néerlandaises pour améliorer la qualité de vie des habitants.
Alors qu’à l’horizon 2016, près d’un Français sur trois aura plus de 60 ans, il est important de se pencher sur la question de l’accessibilité de l’espace public et de son attractivité pour les populations âgées. On constate que les pays nordiques sont bien plus en avance que les pays latins dans cette prise de conscience du vieillissement de la population, malgré de très nombreuses initiatives dans les villes et communes françaises notamment.
Parmi les acteurs de la Silver Economie, il ne faut pas oublier le rôle crucial que jouent les collectivités pour endiguer l’isolement social. Grâce à une modification des infrastructures par le design, les collectivités réalisent l’une de leurs missions : transformer l’espace public en véritable lieu de mixité intergénérationnelle. C’est la mission que s’est vu confier le cabinet Denovo qui a travaillé avec plusieurs communes néerlandaises pour l’amélioration de leurs infrastructures en vue d’une meilleure intégration des seniors, via le design universel.
Des dalles pour mettre les seniors en mouvement
En août 2014, la ville d’Eindhoven (Pays Bas) a créé, en partenariat avec le cabinet Denovo, un parcours santé ludique adapté aux seniors, mettant à profit son mobilier urbain. Eindhoven, la ville de l’ex siège de l’usine Philips reconvertie en fourmilière du design, a la réputation d’être aussi celle qui expérimente de nouvelles façons de vivre intergénérationnelles. Le projet Kwiek, c’est une alternative aux parcours de santé, détournant le mobilier urbain en opportunités sportives. Il s’agit de simples plaques à fixer au sol avec un picto explicatif du mouvement à faire. Devant un banc, un poteau, une simple bordure … tout promeneur peut s’arrêter devant le picto et suivre l’exercice, seul, entre amis ou en famille. Le designer, Manuel Wiffels, explique que ce projet a été co-designé avec des seniors afin de bien correspondre à leurs besoins en termes d’activité mais aussi d’image. Un des principaux défis étant le graphisme des pictos, qui se doit d’être bien lisible mais surtout pas vieillot !
Les exercices santé proposés sont indiqués par des dalles intégrées aux trottoirs. A l’origine des dalles Kwiek, une idée simple : pour un investissement minime et en se servant de ses infrastructures préexistantes, une collectivité peut encourager les seniors à sortir de chez eux pour créer du lien et exercer une activité physique.
Le design universel : le nouvel enjeu de l’urbanisme
Le design universel ou design pour tous vise à concevoir, développer et mettre sur le marché, des produits, des services, des systèmes ou des environnements courants qui soient accessibles et utilisables par le plus large éventail possible d’usagers, démarche diamétralement opposée à celle du « design for old » qui ne vise que les populations seniors au risque de les stigmatiser. Denovo est un cabinet de design basé à Strasbourg spécialisé dans le design universel depuis 2005. Quelques-une de ses réalisations : la canne Tango, un déambulateur de plage Strand Rollator, dalles en béton pour fitness de rue Kwiek, une salle de bain pour une résidence services seniors,…
Pour Nicolas Reydel, fondateur et dirigeant de Denovo, la démarche du design universel entre aussi dans une logique de réduction des coûts, qu’ont faite sienne de nombreuses collectivités et entreprises. En prenant en compte les besoins particuliers des seniors dès la conception des objets ou du mobilier, on évite la multiplication des infrastructures.
La prise en compte de l’accessibilité dans l’environnement urbain
La prise en compte de la mobilité des personnes les plus âgées et de l’accessibilité dans l’environnement urbain est un enjeu important pour améliorer leur qualité de vie en ville, sans pour autant tomber dans l’excès : la ville reste avant tout intergénérationnelle.
L’Organisation Mondiale de la Santé récompense les villes qui favorisent le développement des infrastructures pour les personnes âgées et investissent efforts et ressources pour l’amélioration de la vie et du bien-être de leurs citoyens seniors.
Depuis 2008, l’OMS a lancé son programme de Réseau Mondial des Villes-Amies des Aînés. Elle a mis en place un guide téléchargeable sur son site qui se veut incitatif afin que les administrations des villes prennent conscience de l’importance des personnes âgées et les pousser à agir pour leur bien-être. Il s’agit d’adapter les structures existantes, en créer de nouvelles adaptées à l’utilisation des personnes âgées, notamment en termes de transport ou de service médical.
En France, la prise en compte de l’accessibilité, en particulier dans l’environnement urbain a été renforcée par une loi (11 février 2005) qui impose l’accessibilité dans les équipements recevant du public, les bâtiments d’habitations, la voirie, l’espace public, les transports. Un point particulièrement important de cette loi est la prise en compte de l’accessibilité dans une « chaîne » de déplacements : les déplacements doivent être possibles sur la continuité du trajet.
Face au vieillissement de la population, les agences d’urbanisme (à travers la FNAU) et la Fondation de France ont réfléchi à l’intégration du vieillissement dans les documents d’urbanisme (1). Dans cette synthèse, il est question de réfléchir aux besoins et attentes des personnes âgées en termes de logement, de transports, de loisirs, d’équipements publics… dans leur diversité.
Aujourd’hui, plus d’un tiers de la population française a plus de 50 ans. Selon une étude du Crédoc en 2010, depuis dix ans, la croissance de la part des seniors dans la population s’est fortement accélérée, avec un rythme annuel de 1,8%, contre 0,3% par an sur les vingt années précédentes. Ce rythme devrait rester soutenu (1,1 % par an) au cours des dix ans à venir. Pourtant, la société française valorise plutôt la jeunesse, pour des raisons culturelles, et s’intéresse relativement peu aux plus âgés. L’allongement de l’espérance de vie et l’arrivée à l’âge de la retraite de la première vague du baby boom rendent nécessaire de mieux prendre en compte les modes de vie des seniors.
De nombreuses actions incitatives sont menées dans les pays étrangers. Les pays les plus vieillissants comme le Japon et l’Allemagne ont mis en place de
nombreuses actions publiques. En Allemagne, le programme « Âge, un facteur économique » a été lancé par le ministère fédéral de la Famille, des Retraites, des Femmes et de la Jeunesse en 2009 sur trois ans. Destinée aux PME, cette action s’est concrétisée autour d’une plateforme d’échanges et de rencontres et a été associée aux programmes de soutien aux PME dans le lancement d’innovations.
Au Japon, dès 1994, a été mis en œuvre un cadre réglementaire rendant obligatoire l’accessibilité aux seniors dans les lieux et transports publics. Des standards
industriels ont été élaborés visant à encadrer l’industrie dans le développement de produits destinés aux personnes âgées.
En Corée du Sud, bien que la population âgée ne soit pas très importante, un plan stratégique pour l’innovation vis-à-vis des populations âgées a été mis en place dès
1992. Les initiatives publiques ont placé les PME au centre de l’industrie des seniors. En 2005, le « Senior friendly industry promotion program » a soutenu l’effort industriel dans les secteurs de la robotique, des TIC et des objets ergonomiques. L’État a mis en place des infrastructures nécessaires à la recherche et au développement des produits.
Aux États-Unis, les politiques publiques créent un cadre favorable aux initiatives privées. Ainsi, l’AgeLab du MIT ou le Plan d’Action Stratégique de l’Administration dédiée aux personnes âgées est financé en partie par des entreprises privées.
Dans ces quatre pays, les entreprises ont développé, à la suite de ces incitations, le concept de design pour tous qui vise à la simplification d’utilisation des produits.
(1) « Seniors : Quelle intégration dans les documents de planification et d’urbanisme ? », Fondation de France, FNAU (novembre 2007)