Face à l’emballement climatique et à la rudesse des phénomènes extrêmes dont nous commençons, partout, de voir les premiers échantillons, la question se pose de plus en plus fortement : faut-il battre en retraite ? Nos sociétés humaines doivent-elles envisager un repli stratégique des personnes et des bâtiments pour les éloigner des risques qui se présentent sur de nombreux fronts, notamment l’élévation du niveau de la mer, les inondations, la chaleur extrême, les incendies de forêt et d’autres dangers. Plus facile à dire qu’à faire car nous ne sommes pas préparés à ce genre d’issue, ni financièrement, ni juridiquement, ni même psychologiquement.
Bien que la notion de retraite puisse être une idée impopulaire, il est essentiel de recadrer le débat sur ce qu’est réellement la retraite gérée, affirment des chercheurs, afin de nous donner les meilleures chances de faire face au changement climatique avec un ensemble complet d’options viables qui seront efficaces à long terme.
Une stratégie négligée
« Le changement climatique affecte les populations du monde entier et tout le monde essaie de savoir ce qu’il faut faire », explique dans la revue Science A.R. Siders, chercheur en catastrophes naturelles à l’université du Delaware. « Une stratégie potentielle, s’éloigner des dangers, pourrait être très efficace, mais elle est souvent négligée. »
Parmi les différentes formes de mesures d’adaptation – classées dans les catégories académiques de la résistance, de l’accommodation, de l’évitement et de l’avance – la retraite est souvent méprisée, disent les chercheurs. Mais il est important, insistent-ils, étant donné l’ampleur de la crise climatique, que nous ne considérions pas la retraite comme une forme de défaite.
« La retraite a souvent été considérée comme un échec de l’adaptation ou envisagée uniquement lorsque toutes les autres options sont épuisées », expliquent Siders et sa co-auteure Katharine Mach, chercheuses sur les risques climatiques à l’université de Miami, dans leur nouvelle étude. « Mais cette conceptualisation ignore les leçons tirées de nombreuses disciplines s’appuyant sur une longue histoire du mouvement humain et limite les chercheurs et les décideurs en matière d’adaptation dans la préparation d’un large éventail de futurs. »
La retraite comme réponse au changement climatique
À l’avenir, le retrait géré pourrait devenir un élément central complétant d’autres formes de réponse au changement climatique. Outre l’abandon pur et simple de certaines zones, la retraite contrôlée pourrait permettre de faire de la place pour des adaptations technologiques conçues pour résister aux effets du climat, comme la construction de colonies flottantes ou l’encerclement des villes par des barrières anti-tempête ou anti-incendie.
Il est probable que de nombreuses incarnations futures de la retraite contrôlée ne ressembleront pas aux formes que nous avons vues dans le passé, qui se sont produites principalement en réponse aux inondations. Si les risques d’inondation et d’inondation côtière font certainement partie du changement climatique, d’autres risques, tels que les feux de forêt et leur fumée, impliquent que de nouveaux types de retraite seront nécessaires. « Le retrait proactif, planifié avant que les changements à évolution lente ne menacent gravement les vies, les moyens de subsistance et d’autres choses auxquelles les gens tiennent, est susceptible d’être plus efficace et de réduire les charges psychologiques, socioculturelles et de mise en œuvre du retrait. »
Dans le même temps, la retraite dirigée doit absorber de nouveaux types de visions de l’adaptation influencées par l’architecture, l’ingénierie environnementale, la fiction climatique, la prospective et les évaluations de la sécurité – autant de disciplines qui pourraient apporter des idées nouvelles pour aider à résoudre les problèmes auxquels nous sommes actuellement confrontés. « Les visions de l’adaptation ont le potentiel d’être audacieuses, dans la poursuite de futurs préparés aux chocs climatiques qui promeuvent la justice sociale, améliorent la qualité de vie et favorisent des relations plus fortes entre les peuples et entre les peuples et la nature » , expliquent les chercheurs.
« Le retrait stratégique et géré peut ne pas être mis en œuvre dans de nombreux endroits. Pourtant, l’intégrer dès maintenant dans les débats sur l’adaptation, malgré (ou même à cause) de ses complexités, crée de meilleures chances de bien-être durable à long terme dans un contexte d’intensification des risques climatiques. » Facile à dire, mais difficile à mettre en pratique.
L’argent manque
En effet, face à la montée des eaux et des risques de submersion certaines (rares) communes françaises réfléchissent à reculer dans les terres un camping littoral ou une ferme d’agneaux de prés-salés : des projets de « repli stratégique » commencent à voir le jour face à la mer qui grignote les côtes mais l’argent manque pour financer ce grand déménagement pourtant inéluctable avec le changement climatique
« On a décidé de relocaliser notre camping », actuellement à 50 m du rivage, « ici à 700 m de la mer pour éviter les inondations qui ont meurtri ce camping et prendre en compte le changement climatique, le recul du trait de côte », explique Jean-François Bloc, maire depuis 34 ans de Quiberville (Seine-maritime), une station balnéaire qui affiche 2.500 habitants l’été. Derrière lui s’affairent les pelleteuses sur le terrain du futur « camping nature » annoncé pour l’été 2023.
Ce « repli stratégique » dans les terres face aux risques de submersion les plus importants est prôné depuis une dizaine d’années par l’Etat, après des décennies « où on a bétonné un peu partout », et accéléré ainsi l’érosion, selon un haut fonctionnaire. La tempête Xynthia en 2010 a marqué un tournant. La mise en œuvre de cette « relocalisation » demeure pourtant « très rare », souligne Stéphane Costa, référent scientifique de la stratégie nationale de gestion du trait de côte.
De l’urgence d’agir
Pour lui, il est « urgent » d’agir. D’ici à 2100, le niveau de la mer devrait augmenter d’un mètre environ. Et « au moins 50.000 logements » devraient être concernés en France par l’érosion et le risque de submersion, selon le ministère de la Transition écologique.
Le recul du trait de côte, le maire de Quiberville en est plus que conscient. Il vient d’exproprier pour destruction une maison en bord de falaise. Ce n’est ni la première ni la dernière. Et le camping en bord de plage, poumon économique de la commune, a été inondé plusieurs fois dans les années 2000. La ville n’a plus le droit d’y laisser de caravanes l’hiver. « En 1999, on a eu 140 caravanes qui flottaient. En 1977, j’ai vu la mer casser la route. Les morceaux de béton sautaient, c’était comme un bombardement. On peut assister à nouveau à ça », souligne M. Bloc.
« Pendant des décennies, ce territoire comme tant d’autres, a lutté contre la nature. Aujourd’hui au lieu de faire des murs, mettre des pompes, on choisit d’enlever les équipements submersibles pour ouvrir la vallée à la mer », explique Régis Leymarie, délégué adjoint du Conservatoire du littoral de Normandie, coordinateur du projet.
Après le déménagement du camping, le tuyau étroit (1,5 m de diamètre) par lequel la Saâne se jette actuellement dans la mer va être remplacé par un pont de 10 m de long. En 2025, le fleuve retrouvera ainsi un lit plus large, incluant l’actuel camping, et sa biodiversité. Les campeurs n’auront plus la vue sur la plage mais sur la vallée réconciliée avec le fleuve, régulièrement élargi par la mer, selon le maire qui est aussi conseiller régional.
En France il n’y a pas d’argent pour l’adaptation
Et « un jour ou l’autre, il faudra (aussi) déplacer » la route littorale « très fortement menacée », avertit M. Costa. Ce projet est « une première étape », qui a déjà mis 10 ans à aboutir, souligne Nicolas Leforestier le président du syndicat des bassins versants de la Saâne. Il n’a dû son salut qu’à l’obtention de fonds européens. Le nouveau camping évalué à 8,7 millions d’euros a été financé à environ 70% par l’UE et 30% par les collectivités locales, selon le Conservatoire. Car en « France il n’y a quasi pas d’argent pour l’adaptation au changement climatique », constate M. Leymarie. Et « pour l’instant tout le monde se refile la patate chaude », estime aussi M. Costa.
À 40 km de Quiberville, Criel-sur-mer mène aussi une « étude pour laisser entrer la mer ». Mais au-delà du financement, « le repli stratégique, il va se faire où ? », alors qu’il faut également éviter l’artificialisation des terres agricoles, interroge le maire Alain Trouessin.
Pas d’outils ni de ressources pour une vision de long-terme
Au total, « l’impact financier de l’érosion est estimé à plusieurs dizaines de milliards d’euros », selon l’Association nationale des élus du littoral (ANEL) qui « attend depuis longtemps les outils et les ressources nécessaires à l’adaptation à l’érosion côtière ».
Interrogé par l’AFP, le ministère de la Transition écologique indique « réfléchir » à la question des financements à long terme, qui pourront inclure le privé, et souligne avoir débloqué 10 millions d’euros en tout pour 2021-2024 pour Gouville-sur-mer (Normandie), Saint-Jean-de-Luz et Lacanau (Nouvelle Aquitaine). « S’il y avait eu plus de territoires matures, on aurait pu accompagner plus de territoires », assure-t-on.
À l’exception du déplacement dans les terres de parkings à Saint-Jean-de-Luz et d’un poste de secours et une boutique à Lacanau, les 10 millions, même abondés par les collectivités, ne financent dans les faits pas de travaux de relocalisation mais uniquement l’étude du déménagement de campings, habitations, commerces, station d’épuration, selon les collectivités concernées. Et Gouville (2.300 habitants) vient à nouveau d’investir 650.000 euros dans d’énièmes enrochements au printemps sur sa plage, autorisés provisoirement par l’Etat, alors que la justice administrative doit se prononcer prochainement sur de précédents enrochements jugés illégaux par le préfet.
Lacanau (5.000 habitants) projette, elle, une digue à 30 millions d’euros en co-financement, après avoir constaté « l’infaisabilité financière et juridique » du déplacement de 1.200 logements évalués à 300 millions d’euros en 2013. « Quand on parle de 1 200 logements cela peut paraitre totalement fou, reconnaît Eléonore Geneau, chargée de mission Littoral pour la commune. Mais quand on est face à l’urgence d’un ouvrage qui cède et qu’on doit déguerpir, je pense que c’est aussi fou. »
Le maire MoDem Laurent Peyrondet préfèrerait se passer de cette solution de repli, mais il met en garde : « Ce que l’on dit aux gens qui achètent sur ce périmètre de vulnérabilité c’est aujourd’hui, vous faites un achat plaisir parce qu’on ne peut pas vous garantir que dans 30 ans, vous serez encore là. Et quand ils signent chez notaire, on leur précise bien qu’il y a un risque sur cette zone. Ça sera bien difficile pour eux de venir se faire indemniser par la suite. »
Avec AFP