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Anna-Eva Bergman : « Voyage vers l’intérieur » au MAM Paris

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Le Musée d’Art Moderne de Paris présente la première grande rétrospective consacrée à l’artiste norvégienne Anna-Eva Bergman (1909-1987), figure-clé de la peinture de l’après-guerre, artiste libre et visionnaire, dont l’œuvre plastique, caractérisé par l’emploi de la feuille d’or ou d’argent, est une puissante célébration de la beauté de la nature, des paysages du Nord et de la Méditerranée. L’observation de la nature passe au premier plan de son travail, nourrie par une profonde introspection sur laquelle l’artiste va fonder sa propre théorie esthétique, élaborant un alphabet formel qu’elle n’a de cesse de pratiquer au tournant de chaque décennie.

« De la pierre à la montagne, en passant par l’océan, le mistral, la pluie, nous en venons, en tant que spectateur, à considérer la planète et les éléments qui nous entourent en surplomb de nos propres existences. Cette écologie de dimension cosmique nous frappe aujourd’hui, tant elle résonne avec une attention portée à l’environnement dont nous avons davantage conscience. De même que la dimension européenne du parcours d’Anna-Eva Bergman nous apparaît d’une saisissante actualité, alors que les tensions, les crises et les conflits ne cessent de croître et se multiplient dangereusement. Il n’est peut-être pas encore trop tard de s’arrêter un moment sur cette grande observatrice de l’âme humaine et de la nature en se rappelant, comme elle le disait, que « la voie qui mène à l’art passe par la nature et l’attitude que nous avons envers elle. »
Fabrice Hergott, Directeur du Musée d’Art Moderne.

Exposée dans le monde entier de son vivant (notamment au Musée d’Art Moderne de Paris en 1977 mais aussi en Italie, Allemagne ou en Norvège), Anna-Eva Bergman reste cependant insuffisamment reconnue en Europe. Son œuvre au langage pictural singulier, fondé sur un vocabulaire de formes pures, demande aujourd’hui à être reconsidéré plus largement dans le champ de l’histoire de l’art aux côtés du travail d’autres grandes artistes femmes comme Hilma af Klint, Georgia O’Keeffe ou encore Sonia Delaunay qui ont été ses contemporaines.

L’exposition Anna-Eva Bergman, Voyage vers l’intérieur apporte un éclairage décisif dans la redécouverte de cette artiste majeure en proposant un panorama de toute sa production. Composée de plus de 200 œuvres, l’exposition fait suite à la rétrospective consacrée en octobre 2019 par le MAM à Hans Hartung, qui fut aussi l’époux de l’artiste. À cette occasion, le musée présente N°2-1964 Stèle, acquise du vivant de Bergman ainsi que la centaine d’œuvres provenant du don exceptionnel consenti par la Fondation Hartung-Bergman au MAM en 2017.

Stèle n°2, 1964 Peinture vinylique et feuille de métal sur toile Achat à l’artiste en 1965 © Adagp, Paris Crédit photographique : Julien Vidal”

Cet ensemble est complété par des photographies, dessins et documents d’archives dont de nombreux inédits, provenant des collections de la Fondation à Antibes. Un catalogue édité aux éditions Paris Musées sous la direction d’Hélène Leroy rassemble des essais de spécialistes français et norvégiens. Les auteurs détaillent notamment la richesse des techniques plastiques abordées par Bergman et l’usage très spécifique d’un matériau devenu sa signature : la feuille de métal (or, argent, aluminium, étain, cuivre, plomb, bismuth).

N°26-1962 Feu, 1962 – Huile et feuille de métal sur toile – Collection Fondation Hartung-Bergman
© Anna-Eva Bergman / Adagp, Paris, 2023 Photographie © Claire Dorn

Différents essais s’attachent, en outre, à creuser le rapport d’Anna-Eva Bergman au dessin et à la caricature, à l’architecture, son emploi du nombre d’or, ainsi que la réception et l’exposition de son œuvre après-guerre, sa relation aux grands maîtres du passé et à ses contemporains comme Barnett Newman, Ad Reinhardt ou Mark Rothko.

Plus de quarante ans après la dernière grande exposition consacrée à Anna-Eva Bergman à Paris, la rétrospective d’aujourd’hui et son catalogue sont donc la dernière étape d’un long processus de redécouverte. Une démarche que l’on doit essentiellement à l’intelligence et au dynamisme de la Fondation Hartung-Bergman, dont la création a été voulue par l’artiste et Hans Hartung peu avant leur disparition.

La voie qui mène à l’art passe par la nature et l’attitude que nous avons envers elle. »
Anna-Eva Bergman, 1950

Anna-Eva Bergman ou « l’art d’abstraire »

Anna-Eva Bergman incarne l’Europe du XXe siècle. Elle grandit en Norvège et débute une formation artistique à Oslo en 1927, qu’elle complète à Vienne l’année suivante. À Paris, en 1929, elle rencontre Hans Hartung, jeune peintre abstrait alors inconnu. Elle l’épouse aussitôt en Allemagne et fréquente les cercles d’artistes engagés de Dresde.

La première partie de sa carrière est marquée par son intérêt pour la caricature et l’illustration. Ses dons d’observatrice font d’elle une chroniqueuse alerte, témoin des bouleversements sociaux et politiques des années 1930. Elle n’hésite pas à pourfendre la doctrine et l’attitude des Nazis, elle s’amuse des stéréotypes culturels des pays qu’elle visite, elle évoque aussi les grands écarts entre marginaux et dominants. Ses dessins sont aussi l’occasion de se décrire parfois elle-même et de raconter ses aventures romanesques aux côtés de Hans Hartung, avec qui elle se maria deux fois.

Ces œuvres graphiques ne sauraient pourtant la réduire au statut d’illustratrice. Elles témoignent d’une puissante individualité, signe d’une émancipation précoce et d’une grande liberté d’esprit.

À partir des années 1940, Bergman renoue pleinement avec la peinture, à travers le choix d’une voie non figurative mais toujours symbolique, qu’elle qualifie d’« art d’abstraire ». L’observation de la nature passe au premier plan, nourrie par une profonde introspection sur laquelle l’artiste va fonder sa propre théorie esthétique. Quoiqu’imprégnée par les paysages de la Norvège, et bouleversée par l’expérience du soleil de minuit dans le Finnmark, Anna-Eva Bergman a beaucoup voyagé, notamment sur les côtes méditerranéennes, et a tiré de ces expériences une obsession des lumières, de leurs variations, de leurs contrastes et de leurs nuances. Son approche repose sur le primat de la ligne, le recours au nombre d’or, la symbolique des couleurs, et l’usage des feuilles de métal, inspiré par l’art du Moyen-Âge. À cette époque, peinture et écriture sont intrinsèquement liées : l’artiste consigne dans ses carnets les questions théoriques et techniques, les réflexions sur l’art, l’esthétique et la philosophie qui la traversent. Le séjour qu’elle effectue en 1950 le long de la côte norvégienne occasionne un profond renouvellement de son vocabulaire artistique. Sa peinture évolue alors vers la recherche d’un nombre restreint de formes simples : lune, astre, planète, montagne, stèle, arbre, tombeau, vallée, barque, proue, miroir…


Anna-Eva Bergman – N°11-1968 Grand rond, 1968
Vinylique et feuille de métal sur toile 200 x 250 cm
Fondation Hartung-Bergman
© Anna-Eva Bergman / Adagp, Paris, 2023
Photographie © Fondation Hartung-Bergman

Bergman puise dans ce répertoire naturel et élémentaire pour concevoir un alphabet formel en constante mutation, qui irrigue toute son œuvre. Après un développement minimaliste, son travail connaît une ultime transfiguration à la fin des années 1970, avec une alternance de très petits formats – qu’elle désigne comme des « mini-peintures » – et de très grands qui adoptent des formes simples et monumentales, à la gamme chromatique resserrée, témoins d’une grande maîtrise de la composition et de la synthèse.

L’œuvre d’Anna-Eva Bergman se caractérise enfin par un sens grave du mysticisme et du sacré – elle se dit « panthéiste » – combiné avec une très grande attention pour le vivant au-delà de la seule échelle humaine. Il n’est donc pas étonnant que sa peinture rencontre aujourd’hui l’engouement d’une nouvelle génération. Le Musée d’Art Moderne de Paris a collaboré étroitement avec la Fondation Hartung-Bergman à Antibes ainsi qu’avec le Nasjonalmuseet à Oslo, qui lui consacrera à son tour une exposition au printemps 2024.

Parcours de l’exposition

Anna-Eva Bergman (1909-1987) est une figure clé de la peinture de l’après-guerre. Elle a su inventer un langage pictural très singulier, basé sur un vocabulaire de formes simples inspiré par les paysages nordiques et méditerranéens. Bien que célébrée et exposée dans le monde entier de son vivant, son œuvre est aujourd’hui méconnue.

Cette première grande rétrospective de l’ensemble de son œuvre apporte un éclairage décisif dans la redécouverte de cette artiste. Le parcours, chronologique, permettra d’apprécier la précocité de sa vocation, ses dons d’observatrice et de caricaturiste, qui ont fait d’elle une chroniqueuse alerte, témoin des bouleversements sociaux et politiques des années 1930. Ces œuvres graphiques très méconnues, parce que très peu exposées de son vivant, ne sauraient la réduire au statut d’illustratrice. Elles témoignent d’une puissante individualité, signe d’une émancipation précoce et d’une grande liberté d’esprit.

À l’orée des années 1950, elle confirme sa vocation de peintre à travers le choix d’une voie non figurative mais toujours symbolique. L’observation de la nature passe au premier plan, nourrie par une profonde introspection sur laquelle l’artiste va fonder sa propre théorie esthétique. Elle conçoit un alphabet formel qu’elle n’a de cesse de pratiquer au tournant de chaque décennie, jusqu’au développement d’un minimalisme solennel, en lien avec sa relation particulière au paysage, à la pureté radicale des couleurs et des formes.

L’exposition met en avant la richesse des techniques plastiques abordées par Bergman et l’usage très spécifique d’un matériau devenu sa signature : la feuille de métal.

Ce projet ambitieux qui rassemble plus de 300 œuvres, archives, documents visuels et audiovisuels, dont certains encore inédits, a été réalisé en étroite collaboration avec la Fondation Hartung-Bergman à Antibes et le Nasjonalmuseet à Oslo.

Une jeunesse européenne

Anna-Eva Bergman – El generalissimo – Vers 1935
Mine de plomb sur papier 43,8 x 33,8 cm
Fondation Hartung-Bergman
© Anna-Eva Bergman / Adagp, Paris, 2023
Photographie © Claire Dorn

Anna-Eva Bergman incarne l’Europe du XXe siècle. Elle grandit en Norvège, où elle développe très vite une grande faculté d’observation ; elle croque des saynètes avec un sens de l’humour tranchant, à la fois à l’écrit et par le dessin. Elle suit une formation artistique à Oslo qu’elle complète à Vienne en 1928. À Paris en 1929, elle rencontre Hans Hartung, jeune peintre abstrait alors inconnu. Elle l’épouse aussitôt en Allemagne et fréquente les cercles d’artistes engagés de Dresde.

En 1933-1934, Bergman vit comme un « paradis » son installation sur l’île de Minorque, aux Baléares, dans une maison qu’elle fait construire avec Hartung en bord de mer. Elle documentera et racontera longuement ce séjour dans un livre, Turid en Méditerranée, publié en 1942. Devenue allemande par son mariage, Bergman connaît plusieurs démêlés avec les autorités du III-e Reich et hait ce régime qu’elle brocardera dans une autobiographie non publiée écrite entre 1940 et 1945 : Une bagatelle suédo-norvégienne. Elle signe à cette période des articles et des dessins pour la presse et séjourne, au gré des contraintes matérielles et des occasions, à Berlin, Oslo, Paris, puis en Italie, où, en 1937-1938, elle est bouleversée par les villages de Ligurie, les mosaïques byzantines et l’art de la Renaissance. Ce foisonnement d’expériences nourrit jusqu’à ses 30 ans un univers visuel vivant et drôle qui ne va pas tarder à gagner en gravité. Le traumatisme de la guerre, qu’elle passe dans une Norvège durement occupée, participe à cette évolution personnelle dans une Europe malmenée par la folie meurtrière des totalitarismes.

Fragments d’une île en Norvège

Anna-Eva Bergman est fascinée par les beautés géologiques de la nature. Elle porte une attention toute particulière aux pierres, aux galets, aux failles et aux entailles dans la roche, aux plissures et aux textures des minéraux. Lors des étés 1949, 1950 et 1951, elle se rend à Citadelløya, dans le sud de la Norvège. Ces séjours occasionnent un profond renouvellement de son vocabulaire artistique avec la série des Fragments d’une île en Norvège, véritable acte de naissance dans sa maturité de peintre. Il faut ajouter dans ce processus l’importance cruciale d’un voyage dans le nord du pays lors de l’été 1950, où elle fait l’expérience du soleil de minuit le long des îles Lofoten.

L’évolution de Bergman était en réalité en germe depuis 1946, date à laquelle elle décide de reprendre à zéro sa vocation et ses ambitions. Elle est très proche de Christian Lange, architecte spécialiste du gothique dont elle a épousé le fils en secondes noces. Elle partage avec lui ses nouvelles préoccupations esthétiques, philosophiques et mystiques auxquelles elle consacre études et lectures. Elle travaille sur le nombre d’or – loi géométrique fondée sur la notion de proportion qui inspire les artistes quant au rapport entre l’harmonie et la beauté depuis l’Antiquité –, sur la qualité rythmique de la ligne, sur la symbolique des couleurs. Elle lit aussi bien Kafka et Malraux que des ouvrages d’anthropologie. Elle réalise sa première peinture à la feuille d’or et obtient une commande importante de décor pour un hôtel à Larvik, dans le sud de la Norvège.

Anna-Eva Bergman [Fragment d’une île en Norvège] – Vers 1951
Tempera et encre de Chine sur papier 50 x 65 cm
Musée d’Art Moderne de Paris © Anna-Eva Bergman / Adagp, Paris, 2023
Photographie © Fondation Hartung-Bergman

Naissance des formes

N°6-1960 Pyramide, 1960
Huile et feuille de métal sur toile
Fondation Hartung-Bergman
© Anna-Eva Bergman / Adagp, Paris, 2023 Photographie © Claire Dorn

Début 1952, Bergman expose en Allemagne. Elle fréquente le critique Will Grohmann et mène une enquête sur les artistes persécutés par les nazis comme Willi Baumeister ou Karl Schmidt-Rottluff. Elle gagne ensuite Paris, reprend une relation avec Hans Hartung. Elle commence à se faire une solide réputation. Que ce soit dans un cadre public ou privé, ses œuvres sont saluées entre autres par Pierre Soulages, les critiques Herta Wescher et Michel Seuphor. Elle intègre la puissante Galerie de France, qui organise sa première exposition en 1958.

Alphabet

En 1958, Anna-Eva Bergman présente pour la première fois, dans une série d’œuvres sur papier à la tempera et feuilles métalliques, les bases du répertoire de formes qu’elle a développé depuis 1952 : pierre, lune, planète, arbre, montagne, tombeau, vallée, barque, miroir, etc. Elle les compilera en une liste exhaustive à la fin des années 1960 pour détailler les thèmes qui lui permettent de créer une sorte d’alphabet, développant des catégories et précisant leurs développements et leurs transformations successifs dans ses peintures et estampes. À chacune des grandes étapes de son évolution artistique, Bergman effectuera le point sur ce vocabulaire symbolique qui irrigue toute son œuvre.

Anna-Eva Bergman – GB 20-1957 Barque sous l’eau, 1957
Gravure sur bois sur vélin d’Arches 56,8 x 76,8 cm
Épreuve justifiée 5/15 et timbre sec AEB
Atelier Patris, Paris, imprimeur Musée d’Art Moderne de Paris © Anna-Eva Bergman / Adagp, Paris, 2023
Photographie © Julien Vidal/Parisienne de Photographie

Dans l’atelier

Bergman utilise la feuille de métal (or, argent, aluminium, cuivre, étain, plomb, bismuth) dès les années 1940, inspirée par les retables des églises norvégiennes du Moyen-Âge. Elle n’a de cesse de personnaliser cette technique, employant d’abord le bol d’Arménie (préparation argileuse colorée) sur lequel les feuilles sont polies avec une pierre d’agate, puis la dorure à la mixtion, vernis gras qui facilite l’adhésion du métal. À partir de 1950, elle peint principalement à la tempera. Dans les années 1960, elle opte pour une peinture vinylique, puis pour l’acrylique la décennie suivante. L’évaporation de la phase aqueuse contenue dans ces préparations requiert des gestes directs. Ces procédés sont tout sauf spontanés et exigent la maîtrise de plusieurs étapes, toutes interdépendantes et soigneusement préparées. Les fonds préparatoires sont très colorés, ainsi que les vernis et les glacis qu’elle applique sur le métal afin d’en diversifier les reflets. À partir des années 1960, elle travaille dans la matière même de l’œuvre en arrachant les feuilles de métal pour faire apparaître des strates sous-jacentes ou en apportant du volume et de la texture à la matière picturale avec la modeling paste.

Dans le domaine de l’estampe, elle maîtrise la lithographie et les traditionnelles techniques sur cuivre (eau-forte, aquatinte, vernis mou, taille douce). Elle a une prédilection pour la gravure sur bois. Elle y excelle, jouant avec les veines et les stries naturelles du matériau, sublimé par des tirages réalisés à l’or, à l’argent ou au bleu manganèse.

Cosmogonies, transcriptions paysagères

Anna-Eva Bergman – N°4-1967 Montagne transparente, 1967
Vinylique et feuille de métal sur toile 180 x 270 cm
Fondation Hartung-Bergman
© Anna-Eva Bergman / Adagp, Paris, 2023
Photographie © Claire Dorn

En 1964, Anna-Eva Bergman et Hans Hartung voyagent le long de la côte nord de la Norvège jusqu’au cap Nord et en rapportent près d’un millier de photographies. Pendant de nombreuses années, Bergman puisera son inspiration dans les esquisses et les images de ce voyage. À la même époque, elle achète un terrain en Espagne, à Carboneras. Elle y projette une maison-atelier (non réalisée) orientée en cinq parties autour d’un patio, à partir du dessin d’un pentagramme issu de ses recherches des années 1948-1949.

De nombreuses œuvres portent la trace de ce tropisme Nord-Sud qui, loin de s’opposer entre ce qui serait prétendument froid et polaire d’un côté, chaud et solaire de l’autre, se confond souvent, notamment dans l’expression d’immensités désertiques. Bergman ne se contente pas de retranscriptions paysagères brutes, purement inspirées du motif naturel. Elle se passionne à la fois pour les systèmes de représentation du monde issus des mythes anciens et pour les plus récentes avancées scientifiques de son temps, notamment en matière d’archéologie et d’astronomie. Elle s’imprègne ainsi de nombreuses visions cosmogoniques, depuis les classiques de la littérature (L’Épopée de Gilgamesh, l’Ancien et le Nouveau Testament, Dante et même Howard Phillips Lovecraft…) jusqu’aux découvertes astrophysiques modernes. Dans les années 1950-1960, elle lit par exemple des ouvrages d’Einstein, s’enthousiasme pour la conquête spatiale et s’abonne à la revue Planète.

Épures, captations atmosphériques

Anna-Eva Bergman et Hans Hartung s’installent à Antibes en 1973 dans une villa qu’ils ont fait édifier au milieu d’un champ d’oliviers centenaires. Leurs ateliers respectifs reflètent leur vision de l’espace, nourrie de toutes leurs précédentes maisons-ateliers. L’œuvre de Bergman y évolue vers l’expression de formes simples et monumentales, aux couleurs restreintes, témoignant d’un minimalisme presque solennel. Elle poursuit la révision de ses thématiques et, sensible aux aléas météorologiques de la Côte d’Azur, se lance dans l’étonnante captation atmosphérique de « pluies » et de « vagues ». Elle alterne des formats très petits – qu’elle qualifie de mini-peintures – et très grands.

Anna-Eva Bergman – N°13-1976 Deux Nunataks, 1976
Acrylique et feuille de métal sur toile 150 x 300 cm
Fondation Hartung-Bergman
© Anna-Eva Bergman / Adagp, Paris, 2023
Photographie © Fondation Hartung-Bergman

Toujours perceptibles, les motifs et les paysages sont suggérés par la création d’une ambiance et par l’expression de sensations captées dans la réalité environnante, mais ils sont concentrés en de majestueux signaux : sensation du reflet de la lumière sur une étendue glacée ; vision d’un pan de montagne ou d’une proue se découpant sur la nuit polaire ; lac ou étendue d’eau miroitant à l’aube ; terre aride brûlée par le soleil ; ciel blanchi par le blizzard ou la chaleur ; horizon paraissant démultiplié dans la superposition des effets de lointains ou tranché net entre le sol et le ciel ; barque ou planète glissant dans l’espace. Comme le montre dans sa peinture la récurrence du thème funèbre de la demi-barque, symbole de danger et de mort, l’artiste apparaît consciente d’une certaine finitude : la sienne et celle du monde.

Exposition du 21 mars au 16 juillet 2023 – Musée d’art moderne / MAM – 11, Avenue du Président Wilson, 75116 Paris
www.mam.paris.fr

Photo d’en-tête : © Archives of Women Artists, Research and Exhibitions, 2017

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