La quantité de pesticides utilisés dans le monde a augmenté de 80 % depuis 1990, causant – on le sait parfaitement – des dommages sur la santé et sur la nature. Le marché mondial des pesticides a presque doublé au cours des vingt dernières années. L’Atlas des Pesticides déjà publié en janvier 2022 en anglais et en allemand, est désormais publié en français ce mardi 16 mai 2023. Il pointe en chiffres les ravages des produits phytosanitaires en France et dans le monde. Vous voulez savoir si vous vivez dans une zone à forte densité de pesticides ? Cet Atlas répondra à vos inquiétudes.
Cet Atlas est le fruit d’une coopération entre la Fondation Heinrich Böll, Friends of the Earth Europe, BUND et le Pesticide Action Network Europe, et sa version française, enrichie de plusieurs chapitres, est publiée par le bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll et La Fabrique Écologique. Il a pour objectif « d’alerter sur l’omniprésence des pesticides dans notre environnement, pointer leurs dangers et alerter sur les manquements de la puissance publique », explique Jules Hébert, directeur adjoint du bureau de Paris de la Fondation allemande Heinrich Böll.
Pourquoi utilisons-nous tant de pesticides et depuis quand ? Quels sont les impacts sur la santé et sont-ils différenciés selon le genre, quels impacts sur la biodiversité et notamment sur les insectes ? Qui détient les clés du marché mondial ? Que fait l’Europe, et que fait la France pour réduire leur utilisation de pesticides ? Quelles sont les alternatives aux pesticides qui existent et qui se développent dans le monde et à travers les territoires, en France hexagonale et dans les Outre-mer, particulièrement touchés par leur usage ?
Nous trouvons dans cet Atlas des réponses à ces questions et de nombreux faits et chiffres au travers plus d’une vingtaine de chapitres, des graphiques et cartes qui visent à alimenter le débat et à contribuer au développement de solutions alternatives aux pesticides.
Publié en français, l’Atlas est enrichi de nouveaux articles dédiés à la situation de notre pays notamment une carte sur les usages de pesticides, une page sur la viticulture ou encore les données d’une analyse coûts-bénéfices, qui montre que les pesticides coûtent en France presque deux fois plus à la société que ce qu’ils rapportent. Au niveau européen, le coût est 2,5 fois supérieur aux bénéfices du secteur. De plus, sur les terres surexploitées avec le système agricole intensif incluant les pesticides, les rendements plafonnent aujourd’hui voire sont en baisse dans certaines régions.
Nous ne sommes pas sur la bonne voie
La quantité de pesticides utilisés dans le monde a augmenté de 80 % depuis 1990, causant des dommages à la santé des agriculteurs, des consommateurs et à la biodiversité. L’utilisation de pesticides est fatale pour la biodiversité : les champs gérés de manière conventionnelle ont une richesse en espèces végétales 5 fois plus faible et une richesse en espèces de pollinisateurs environ 20 fois plus faible par rapport aux champs biologiques. Sur les fruits et les légumes, dans le vin et le miel, sur l’herbe des terrains de jeu, dans l’urine et même dans l’air, on trouve partout des traces de pesticides utilisés dans l’agriculture.
Déjà, en 1962, la biologiste Rachel Carson publie un ouvrage mondialement connu, Printemps silencieux, dans lequel elle décrit les effets néfastes de l’utilisation des pesticides, et le travail de désinformation de l’industrie. Ses écrits ont été déterminants pour le mouvement écologiste et a conduit à l’interdiction de produits chimiques hautement toxiques tels que le DDT.
Aujourd’hui, soixante ans après la publication du livre de Carson, des quantités de pesticides plus importantes que jamais sont utilisées dans le monde entier, malgré des règles d’homologation plus strictes et des accords volontaires et contraignants sur leur manipulation. La culture de plantes génétiquement modifiées comme le soja, conçues par les mêmes entreprises qui produisent des pesticides, a contribué à l’utilisation accrue d’herbicides, en particulier dans les pays riches en biodiversité.
Le marché mondial des pesticides est très lucratif. Seul un très petit nombre d’entreprises du Nord, influentes et bien informées, se partagent le marché de plusieurs milliards de dollars. Les quatre principales entreprises (Syngenta Group, Bayer, Corteva et BASF) contrôlent environ 70 % du marché mondial des pesticides. Elles étendent leur contrôle sur le marché et prospèrent grâce à des bénéfices toujours plus importants (Au premier rang : Bayer et BASF). L’UE est le plus grand marché d’exportation de pesticides au monde et investit de plus en plus dans les pays du Sud, où les entreprises européennes sont toujours autorisées à exporter des pesticides pourtant interdits sur leur territoire en raison de leurs effets néfastes sur la santé humaine et l’environnement.
En 2018, les entreprises agrochimiques européennes prévoyaient d’exporter 81.000 tonnes de pesticides interdits sur leurs propres champs. Les ingrédients actifs des pesticides ne restent généralement pas à l’endroit où ils ont été appliqués. Ils peuvent s’infiltrer dans le sol et les eaux souterraines, être transportés par l’air ou s’envoler – certains peuvent être trouvés à plus de 1 000 kilomètres. D’ici 2023, la valeur totale de tous les pesticides utilisés devrait atteindre près de 130,7 milliards de dollars américains.
Question santé, la quantité croissante de pesticides utilisés dans le monde entraîne une augmentation des intoxications aux pesticides dans le monde – en particulier dans les pays du Sud, où les travailleurs agricoles ne sont souvent pas suffisamment protégés. Selon des calculs conservateurs, il y a environ 255 millions d’accidents d’empoisonnement en Asie, un peu plus de 100 millions en Afrique et environ 1,6 million en Europe.
Contrairement aux promesses des entreprises, la culture de plantes génétiquement modifiées a augmenté l’utilisation de pesticides comme le glyphosate et la croissance d’espèces de mauvaises herbes résistantes. Avec son « Green Deal », l’Union européenne a fait un pas en avant : la stratégie « de la ferme à la table » de l’UE demande aux États membres de réduire de 50 % l’utilisation des pesticides et les risques qui y sont associés d’ici à 2030. La réalisation de cet objectif dépend de la mise en œuvre du nouveau règlement sur les pesticides proposé par la Commission européenne en juin 2022 – une mise en œuvre maintes fois reportée. Les fonds importants de la Politique Agricole Commune de l’Union européenne pourraient soutenir la transition vers un système agricole plus écologique et sans pesticides mais la PAC n’a pas réussi jusqu’à présent à fournir un soutien suffisant ou suffisamment efficace.
La France championne des pesticides ? Portrait flouté d’un paysage pollué
La France reste championne des pesticides : selon l’ONG Générations Futures, elle est ainsi dans le « top 3 » des pays européens qui autorisent le plus de pesticides. La France est aussi le pays de l’Union européenne qui déclarait le volume le plus élevé en termes de ventes de pesticides en 2020 – et même si cela reste à relativiser au vu de la surface agricole du pays, elle peine à réduire son utilisation, y compris en kilogrammes par hectare.
La France est donc un des principaux utilisateurs de pesticides de l’Union Européenne. La cartographie de l’utilisation des pesticides laisse entrevoir des territoires fortement exposés et d’autres relativement épargnés, en fonction des types de culture et des caractéristiques biogéographiques. L’analyse des données disponibles permet de dessiner la carte de France de l’utilisation des pesticides, mais de nombreuses difficultés méthodologiques persistent, entretenant une forme d’ignorance.
La carte de France Adonis produite par Solagro, à partir de l’IFT moyen par commune, donne une image de l’usage des pesticides. La carte interactive donne accès au détail par commune, ainsi que la carte de l’IFT pour les herbicides seuls, et celle de l’agriculture bio. licence infos
Certaines configurations géographiques protègent les territoires des pesticides. En montagne, on constate que l’IFT (Indice de Fréquence de Traitement) est bien plus faible qu’ailleurs. Dans ces espaces géographiques, ce sont les systèmes de polyculture-élevage qui dominent, avec une forte présence de surfaces en herbe qui ne sont généralement pas traitées. 1972 communes situées en montagne présentent ainsi un IFT nul.
À l’inverse, ce sont les territoires spécialisés dans la viticulture, l’arboriculture fruitière ou les grandes cultures céréalières qui présentent les IFT les plus élevés. Dans ces territoires, l’assolement est peu diversifié et l’agriculture plus intensive. Parmi ces territoires fortement exposés, on retrouve le grand bassin parisien et les territoires du Nord de la France (spécialisés dans les grandes cultures), la vallée de la Garonne (spécialisée dans la viticulture), la vallée du Rhône (spécialisée dans l’arboriculture fruitière et la viticulture) ou encore la Limagne (spécialisée dans les grandes cultures).
Cette analyse cartographique permet également de faire apparaître les bons et les mauvais élèves : la Drôme présente un IFT de 2,14 (alors que la moyenne nationale est de 2,5) et 23 % d’agriculture biologique, le Gers un IFT de 2,4 et 22 % d’agriculture biologique et la Manche un IFT de 1,41, principalement dû au maintien du bocage et de l’élevage à l’herbe. A l’inverse, la Somme présente un IFT de 6,88 et seulement 2 % de surface en agriculture biologique. L’IFT permet également de déterminer les types de cultures qui sont les plus dépendantes des pesticides. Les fruits sont particulièrement consommateurs de pesticides : les pommes arrivent en tête avec un IFT de 31,5, suivies des pêches (IFT de 18,2). La pomme de terre est également fortement consommatrice de pesticides. La vigne arrive en quatrième position. Les céréales et oléagineux consomment relativement moins de pesticides à l’hectare, le blé tendre ayant un IFT de 5,1, l’orge de 4,3 et le colza de 6,2. Toutefois, ce sont les cultures qui occupent le plus d’espace et qui ont donc l’impact le plus fort sur l’environnement.
L’IFT total moyen par commune permet ainsi de mettre en évidence les cultures et les territoires les plus concernés par les pesticides, quel que soit le type de produit (fongicide, insecticide, herbicide). C’est bien l’exposition à l’ensemble des pesticides qui a un impact sur la santé humaine et celle des écosystèmes. En revanche, l’analyse spécifique de l’IFT des herbicides par commune dessine une autre carte de France. En effet, les herbicides sont pulvérisés directement sur le sol et sont plus solubles dans l’eau. Dès lors, ils contaminent beaucoup plus les milieux aquatiques que les fongicides ou les insecticides : la moitié des substances identifiées dans les eaux souterraines appartient à la famille des herbicides. Cette pollution touche à la fois les cours d’eau, qui sont contaminés par ruissellement et les eaux souterraines, contaminées par infiltration. Le sud de la France, spécialisé dans l’arboriculture et la viticulture, présente des IFT herbicides beaucoup plus faibles que le nord de la France. La carte de l’IFT herbicides est proche de la carte de concentration moyenne en pesticides dans les eaux souterraines.
NODU, IFT total ou IFT herbicides sont des indicateurs imparfaits. Chacun d’entre eux reflète une facette différente de l’exposition de la France aux pesticides, selon que l’on s’intéresse aux ventes, à l’exposition totale aux pesticides ou au risque de contamination des milieux aquatiques par les herbicides. En outre, si les cartes basées sur le NODU ou l’IFT permettent de brosser le portrait de l’usage des pesticides sur le territoire national, elles ne révèlent pas la véritable dépendance de l’agriculture française aux pesticides. En effet, l’alimentation des animaux d’élevage repose en partie sur l’importation d’aliments produits à l’étranger et ayant nécessité l’usage de pesticides. La prise en compte de ces usages délocalisés des pesticides permettrait de donner un véritable aperçu de l’« empreinte » pesticides de l’alimentation française.
Sources : p.52 : Carte Adonis d’utilisation des pesticides en France, Solagro, 2020 https://cutt.ly/886RMMW ; CARTE ADONIS DES IFT, Méthodologie de calcul de l’indicateur de fréquence de traitement phytosanitaire en agriculture par commune, septembre 2022, https://vu.fr/qlsd, p.53 : Plateforme Adonis, Première évaluation sur l’usage territorialisé des pesticides en France métropolitaine, Aurélien CHAYRE et Philippe POINTEREAU ; Solagro, Juin 2022, https://vu.fr/QkYp.
Des solutions existent à travers le monde
Au-delà du constat, cet Atlas montre aussi que les solutions existent, avec de nombreux exemples sur le terrain d’alternatives à l’utilisation de pesticides. Des alternatives existent, et se développent à toutes les étapes de la chaîne : de la production – la France est par exemple première à l’échelle mondiale sur les surfaces de vignes cultivées en bio avec 20 % du vignoble total en 2021 – à la consommation – de nombreuses communes privilégient désormais les produits biologiques dans leurs cantines – en passant par la distribution. Elles sont portées par une diversité d’acteurs et essaiment sur tout le territoire.
Partout dans le monde, des initiatives montrent qu’un avenir écologique est possible : de plus en plus de villes, d’États et de régions cherchent à diminuer leur consommation de pesticides, voire à interdire purement et simplement les pesticides de synthèse de leurs champs et de leur espace public.
C’est maintenant qu’il faut fixer le cap. L’agroécologie, la lutte intégrée contre les ravageurs (IPM) et une recherche accrue sur les biopesticides peuvent contribuer à ce processus, car c’est bien une approche systémique qu’il faut adopter : se passer des pesticides demande de repenser l’ensemble du système agricole et alimentaire.
Les solutions au niveau de la production agricole passent par une approche systémique, et un changement global de système de production combinant diverses pratiques, telles que la diversification culturale, les rotations longues, les cultures associées, la lutte biologique contre les ravageurs, les couverts végétaux ou l’agroforesterie. Et toute la filière est concernée, des agriculteurs aux transformateurs et distributeurs, jusqu’aux collectivités territoriales et aux citoyens.
Plus de 550 villes et communautés de communes allemandes ont d’ores et déjà décidé de se passer de pesticides, totalement ou en partie, pour la gestion de leurs espaces verts. Certaines éliminent progressivement une catégorie précise de substances actives ou une substance active en particulier, comme le glyphosate, tandis que d’autres ont totalement cessé tout usage des pesticides. C’est le cas de Saarbruck, la capitale du Land de la Sarre, qui n’en utilise plus depuis 25 ans. Nombre de villes et de régions dans l’Union européenne (UE) ont établi des zones sans pesticides – en Italie, en Belgique, aux Pays-Bas et au Luxembourg. Ces mesures ne concernent toutefois que les les espaces verts publics et de nombreuses exploitations agricoles continuent d’en utiliser. En 2007, le Danemark a décidé d’interdire, au niveau national, l’application de pesticides dans l’espace public.
Parallèlement, les responsables politiques se sont employés à faire baisser la consommation de ces produits dans tout le pays. Résultat : le Danemark a réduit l’utilisation de pesticides de plus de 40 % depuis 2011 et il applique à l’heure actuelle 40 % de pesticides en moins, en moyenne, que ses voisins de l’UE. Malgré ces efforts, le pays est encore loin d’avoir complètement éradiqué leur utilisation.
L’un des pionniers européens en la matière est le Luxembourg, qui a interdit tout pesticide dans l’espace public en 2016. Depuis 2021, il est également interdit d’appliquer du glyphosate sur les terres agricoles, alors que l’UE a décidé de l’autoriser jusqu’en 2022. La commune italienne de Malles Venosta, dans le Tyrol du Sud – première région productrice de pommes d’Europe – entend elle aussi œuvrer en faveur d’un environnement et d’une économie débarrassés des pesticides dangereux. Lors d’un référendum organisé en 2014, la majorité de ses habitants a voté pour l’interdiction de ces substances sur le territoire communal et les surfaces agricoles.
La résolution a toutefois rencontré une forte opposition chez les professionnels : les grands propriétaires de vergers ont saisi la justice dans le but d’empêcher l’entrée en vigueur de l’interdiction et ce, avec succès, puisque le tribunal administratif a rejeté le référendum, arguant que la municipalité n’était pas compétente en matière de protection de l’environnement. Cela n’a pas empêché la démarche de la société civile d’être partout saluée et, en 2020, la municipalité a reçu le prix EuroNature pour sa persévérance dans la lutte contre les pesticides.
Des avancées sont à saluer dans le reste du monde également. En 2018, le Mexique a été réprimandé par la Commission nationale de défense des droits humains pour avoir failli à ses obligations en n’interdisant pas les pesticides extrêmement dangereux (HHP). Ce n’est que deux ans plus tard que le ministère de l’Agriculture, sous la pression d’organisations de la société civile, a proposé un ensemble de règles destinées à éliminer progressivement le glyphosate à l’horizon 2024 et à instaurer une période de transition pour préparer l’après-glyphosate. Les autorités compétentes ont en outre été sommées de développer des solutions de substitution non chimiques aux herbicides en circulation.
D’autres pays sont plus ambitieux. Le Kirghizstan prévoit même d’éliminer complètement l’utilisation des pesticides. Le Parlement a en effet décidé en 2018 que tout le secteur agricole devait se convertir à l’agriculture biologique en l’espace de dix ans, et donc renoncer aux insecticides, herbicides, fongicides et autres substances de synthèse, ainsi qu’aux régulateurs de croissance. Seules les substances biologiques restent autorisées. En Inde, plusieurs États ont entrepris de tourner la page de l’agriculture conventionnelle et des pesticides : le petit État du Sikkim sera ainsi la première région au monde à avoir une agriculture 100 % biologique. Il s’agit d’un changement radical de paradigme dans ce pays qui, des dizaines d’années durant, a fait un usage massif des engrais et des pesticides de synthèse. Si le Sikkim a pris cette décision, c’est notamment parce qu’il a constaté une hausse du nombre de cancers, de cours d’eau pollués et de terres devenues stériles à cause des pesticides. Le gouvernement a également été motivé par le fait que des résidus de pesticides – souvent interdits dans d’autres pays – ont été retrouvés dans les aliments de base que sont le riz, les légumes et le poisson. En Inde toujours, l’Andhra Pradesh – un État grand comme l’Autriche, le Danemark et les Pays-Bas réunis – a annoncé en 2018 que ses quelque six millions d’agriculteurs allaient devoir se passer de pesticides de synthèse à partir de 2024 au plus tard.
Le Sri Lanka suit le même chemin : en avril 2021, pour atteindre l’objectif d’une agriculture 100 % biologique, le gouvernement a temporairement interdit les importations d’engrais et de pesticides de synthèse. Il est toutefois revenu sur sa décision quelques mois plus tard suite à la crise économique. Le Sri Lanka n’a pas pour autant renoncé à combattre les substances toxiques : depuis plusieurs années, le gouvernement renforce son arsenal juridique et interdit au total 36 pesticides extrêmement dangereux. C’est à ce titre que le pays a reçu un prix spécial Future Policy en 2021, qui récompense les politiques les plus efficaces en matière de protection de la santé humaine et de l’environnement vis-à-vis des pesticides dangereux.
Alternatives aux pesticides en France
Si la France est loin d’être sortie des pesticides, malgré leur impact négatif sur l’environnement et la santé, de nombreuses initiatives sur les territoires visent à réduire ou supprimer l’utilisation des pesticides, menées par différents types d’acteurs à des échelles diverses : agriculteurs, entreprises, collectivités territoriales, associations, organismes de recherche…
Les agriculteurs sont les premiers acteurs concernés. L’Agriculture biologique, seul label qui garantit la non-utilisation de pesticides de synthèse, progresse, avec 13,4% de fermes bio fin 2021 (près de 60 000). La surface en agriculture bio est passée de 2% de la surface agricole française en 2005 à 10,34% en 2021. Et 8 départements sont à 30% ou plus de surface en bio (Var et Hautes-Alpes 43%, Bouches-du-Rhône 40%, Pyrénées Orientales 39%, Drôme et Alpes de Haute-Provence 32%, Vaucluse et Gard 30%). La moyenne européenne est autour de 9 % de surface agricole bio, loin de l’objectif de 25% pour 2030. D’autres agriculteurs réduisent leur utilisation de pesticides sans passer en bio, avec des pratiques agroécologiques diverses. Le réseau de fermes Dephy, lié au plan Ecophyto, rassemble environ 250 groupes d’agriculteurs, et plus de 1900 exploitations engagées dans la baisse des pesticides.
La suppression des pesticides ne peut se faire durablement sans un changement de système agricole, car il est nécessaire de combiner un ensemble de pratiques : cultures plus diversifiées, rotations plus longues, cultures associées, couverts végétaux, voire agroforesteries ou haies, lutte biologique… Aussi, des régions ont misé sur la formation, comme le Centre Val de Loire, avec le lycée agricole de Montloire-sur-Cher : la région a racheté une ferme d’application pour en faire un lieu d’apprentissage de l’agriculture biologique. Des expérimentations de systèmes agricoles innovants sans pesticides sont également menées par divers acteurs, comme le verger circulaire agroécologique de Gotheron, porté par l’Inrae (Institut national de recherche agronomique et en environnement), qui crée une biodiversité maximale limitant maladies et ravageurs, comme alternative aux pesticides. D’autres acteurs proposent des produits alternatifs pour les agriculteurs : semences biologiques, starts up proposant des substances alternatives non toxiques …
Un autre enjeu concerne la poursuite de la culture des sols dans des zones contaminées aux pesticides, comme les Antilles. En Martinique, des initiatives permettent de recultiver des terres polluées, tandis que la culture de l’igname « koko milé » hors sol permet d’éviter la contamination. Dans d’autres régions, des agences de l’eau financent la conversion en agriculture bio, pour réduire la pollution de l’eau.
Les pesticides sont aussi utilisés en dehors du secteur alimentaire, pour produire des fleurs ou des plantes décoratives, et là aussi des initiatives émergent. Par exemple, l’association Sapins bio de France regroupe des producteurs de sapins dans 6 régions françaises. La tige locale, en Mayenne, produit des fleurs coupées sans pesticides, alors que beaucoup de fleurs sont importées et produites avec de nombreux traitements chimiques.
Les alternatives concernent également les espaces verts publics (forêts, jardins publics, cimetières, etc.). La loi Labbé y interdit depuis 2017 l’usage de pesticides chimiques. Ils sont interdits dans l’entretien des forêts publiques en 2019. Depuis juillet 2022, l’interdiction s’étend aux propriétés privées, aux lieux accueillant du public ou à usage collectif. Pour les stades, l’interdiction ne sera effective qu’en 2025. Certaines municipalités ont été pionnières : la ville de Rennes, depuis déjà 2011, n’utilise plus de pesticides sur ses 23 terrains de sport. De nombreuses communes en France se sont engagées vers le « zéro phyto ». Certaines sont très actives, comme Langouët en Bretagne, qui a fait un arrêté pour interdire l’usage de pesticides à moins de 150 m d’une habitation. Depuis janvier 2019, les pesticides chimiques sont interdits pour les particuliers (vente et usage). Seuls les produits de biocontrôle, à faible risque, ou permis en agriculture biologique restent autorisés dans tous ces usages. Là encore, certains ont devancé l’appel, comme les jardineries Botanic, qui ont cessé de vendre des pesticides dès 2008, et qui collectent depuis 2014 les pesticides auprès des jardiniers amateurs, en leur proposant des alternatives.
Un des principaux leviers d’action pour les collectivités est la restauration collective dans les cantines, de la crèche au lycée. Des plateformes, souvent coopératives, initiées par différents acteurs, mettent en contact les établissements scolaires avec les producteurs ou transformateurs locaux. À cela, certains territoires rajoutent une incitation financière pour les établissements qui proposent plus de produits bio, comme les collèges de la Drôme. D’autres communes ont encouragé des agriculteurs bio à s’installer sur leur territoire pour produire pour les cantines de la ville…
Pour qu’une agriculture sans pesticide puisse être viable, il faut aussi penser l’ensemble de la filière, incluant le stockage et la transformation, garantissant un débouché aux agriculteurs et à leurs produits. La demande citoyenne a « tiré » le développement de l’agriculture bio, mais les transformateurs et distributeurs ne savent pas toujours où s’approvisionner. La Fnab (fédération nationale des agriculteurs bio) travaille depuis 2017 avec Picard pour faire le lien avec des producteurs de légumes bio et créer des filières durables et équitables de légumes surgelés. Ces initiatives sont souvent « multi-acteurs », avec des groupements d’agriculteurs bio et des coopératives ou transformateurs, à l’exemple d’un silo dédié au stockage de céréales bio à La Rochelle, ou d’une nouvelle filière d’orge de brasserie bio en Franche Comté.
C’est toute cette panoplie d’initiatives, souvent en avance sur les lois, associant des acteurs locaux qui, si elles continuent à essaimer et sont soutenues par les politiques publiques à différentes échelles, pourra permettre de dessiner une France sans pesticides.
« Les faits sont têtus : l’utilisation des pesticides de synthèse, si elle profite à quelques-uns, a surtout des effets néfastes sur la santé des personnes exposées et des écosystèmes. Pollutions des milieux, perte en biodiversité, augmentation des risques de développer des maladies chroniques… A contrario, les systèmes agricoles non dépendants à ces intrants chimiques dangereux voient leurs milieux reprendre vie, la diversité biologique augmenter, la qualité des eaux s’améliorer. Cet Atlas permet de rendre ce constat tangible et doit inciter nos décideurs à prendre les mesures devenues indispensables : alors que les alternatives sont là, il faut mettre un terme à l’usage de ces substances mortifères et au plus tôt ! Nos ONG s’emploient en ce sens et mèneront le combat jusqu’à ce que cela advienne » commente Nadine Lauverjat, déléguée générale de Générations Futures.
Les Amis de la Terre Europe, PAN Europe – dont Générations Futures est membre – et la Heinrich-Böll-Stiftung exigent des objectifs de réduction des pesticides plus ambitieux et un soutien plus efficace aux agriculteurs dans leur transition vers l’agroécologie. Les organisations demandent en outre davantage de données et de meilleurs indicateurs pour mesurer la réduction des pesticides. L’indicateur actuel proposé dans le nouveau règlement européen sur les pesticides est contre-productif [2] et compromettra la mise en œuvre du règlement. Ils appellent également à la fin des doubles standards via une nouvelle loi forte pour mettre fin à l’exportation de pesticides interdits par l’UE vers les pays tiers. L’Allemagne et la France avancent déjà et le bloc de l’UE doit emboîter le pas.
Espérons que cet Atlas saura être un terreau fertile pour permettre à de nouvelles initiatives soutenues par des politiques publiques de fleurir, en apportant du grain à moudre au débat démocratique indispensable autour des pesticides.
Lire l’avant-propos de l’Atlas des pesticides
[1] L’Atlas des pesticides est un aperçu complet des faits et des chiffres sur la production et la consommation mondiales de pesticides, son impact sur les personnes, la biodiversité et le climat, et les solutions alternatives.
[2] “HR1 : A risk indicator to promote toxic pesticides ?”
Sources : Fondation Heinrich Böll, Générations Futures
Nous sommes à longueur d’année en jaune dans le bocage normand dans l’Orne entre Argentan et la Ferté Macé, ce qui veut dire que l’agriculture intensive y est trop présente avec sa horde de pesticides et entrants chimiques! Ceci est dommageable pour notre santé!