L’équipe de Deep Climate, dirigée par l’explorateur-chercheur Christian Clot, est de retour de sa troisième expédition après 40 jours passés dans les chaleurs du désert aride du Néfoud, au cœur de la Réserve King Salman, en Arabie Saoudite. Avec pour but : aider l’humain à mieux vivre demain, dans des climats en bouleversement. Des traversées dans des conditions de terrain particulièrement hostiles, mais également splendides, vecteurs d’émerveillement, important pour générer une adaptation dans un nouveau territoire de vie.
Elles sont loin les « grandes découvertes » des XVe et XVIe siècles où le but était de trouver de nouvelles routes commerciales, d’évangéliser des peuples, ou encore d’agrandir des territoires. Aujourd’hui, les explorateurs du XXIe siècle changent d’échelle pour faire progresser la connaissance mais avec des moyens et des outils scientifiques d’aujourd’hui dans des conditions de confort et de sécurité qui n’ont plus rien à voir avec les dernières grandes expéditions des années 50 et 60.
Qu’il s’agisse de biodiversité ou de climat, les nouvelles grandes expéditions sont rendues nécessaires par l’état de la planète et l’urgence à faire progresser le savoir : sauver la mémoire des glaciers de montagne, inventorier la biodiversité pour recenser le patrimoine vivant – notamment dans des écosystèmes et des territoires mal inventoriés -, installer des stations météo,…
Après 40 jours au cœur du désert, la mission Deep Climate a terminé une succession unique d’expéditions dans différents climats de notre planète. Une première mondiale qui est pourtant loin d’être terminée : des milliers de données scientifiques ont été récoltées aussi bien en termes cognitif que physiologique ou concernant l’organisation sociale que les équipes scientifiques vont maintenant dépouiller et analyser.
Une première mondiale
L’ultime expédition de Christian Clot (1) avec ses étendue de dunes, de plateaux rocheux et de collines, d’une beauté fascinante autant que redoutable, a mis les climatonautes à rude épreuve, progressant tous les jours en raft et à pied (forêt), à ski-pulka (polaire) et en tirant des chariots (désert), en autonomie, sans moyen motorisé ni assistance, afin de réaliser un trajet de plusieurs centaines de kilomètres à chaque fois. Elle les a exposés à des températures dépassant les 45°C à l’ombre en journée tout en se maintenant proche des 30°C la nuit. Des conditions de chaleur constante durant plusieurs semaines qui sont particulièrement pénibles et impactant pour nos organismes, plus encore pour des personnes habituées à vivre en milieu tempéré.
Choisis après un processus rigoureux, l’équipe de 10 femmes et de 10 hommes, ne sont ni professionnels ni spécialistes des conditions difficiles, et viennent de différents milieux socioprofessionnels : responsable de communication, joaillière, biologiste, agent de sécurité … Il est indispensable aujourd’hui de mener ces travaux sur des groupes mixtes et proches des réalités de nos sociétés, qui seront les personnes touchées par ces changements.
L’équipe a pu réaliser un trajet de 250 kilomètres à pied, en tirant des chariots, tout en réalisant quotidiennement des protocoles scientifiques complets dans le but de comprendre la capacité humaine d’adaptation face aux changements et à de nouveaux climats.
Tous les dix jours, des puits ont permis à l’équipe mixte de se ravitailler en eau. Des points de passage indispensables lorsque 8 litres par jour et par personne sont nécessaires pour faire face à de telles conditions. En reprenant la progression, ce sont des chariots de 140 à 200 kilos qu’il fallait tirer, impliquant des efforts importants, réalisables uniquement lors des heures les plus fraiches de la journée.
Dès 9h du matin, les chaleurs deviennent trop importantes et il est nécessaire de réduire son activité et de se mettre à l’ombre pour laisser passer les heures les plus chaudes : alors la difficulté physique fait place à la difficulté morale pour accepter l’attente immobile durant plusieurs heures. Une nécessité pour éviter l’hyperthermie dans ces chaleurs intenses.
Malgré ces difficultés, ces études en condition réelles de vie sont aujourd’hui indispensables, comme le précise Christian Clot : « Ces températures arides ou humides comme en Amazonie correspondent à ce qui nous attend en Europe, en France, à l’horizon 2050 si rien ne change. Les études récentes annoncent des conditions de chaleurs extrêmes dans plusieurs grandes villes, dont Paris ou Marseille. Comprendre les risques sur la santé physique et mentale et les mécanismes d’adaptation que nous pouvons développer est donc nécessaire pour se préparer à – et si possible éviter – ces conditions futures ».
La traversée du désert du Néfoud était la troisième et dernière expédition de Deep Climate, après celles menées dans la forêt équatoriale de Guyane (milieu chaud et humide) et les étendues glacées de Laponie (milieu au froid versatile).
Une immersion dans les différents climats de la planète
Après 40 jours au cœur du désert, les climatonautes ont terminé une succession unique d’expéditions dans différents climats de notre planète. Une première mondiale qui est pourtant loin d’être terminée : des milliers de données scientifiques ont été récoltées aussi bien en termes cognitif que physiologique ou concernant l’organisation sociale que les équipes scientifiques, sous l’égide du Human Adaptation Institute, vont maintenant dépouiller et analyser.
Ce protocole scientifique d’envergure a pour but de proposer des solutions adaptatives au travers de nos capacités humaines et comportementales plutôt qu’uniquement au travers des adaptations structurelles et technologiques. Mais les premiers résultats sont déjà là. L’équipe – pourtant novice pour la plupart de ces conditions climatiques et de vie et issue de tous les horizons socio-professionnels – a réussi trois traversées sans accident ni blessure majeure, malgré des conditions de vie extrêmes et totalement différentes d’un milieu à l’autre.
Elle a montré que, grâce à la coopération, à une volonté commune et la recherche de l’émerveillement même dans les moments les plus difficiles, nous pouvons faire face aux changements et plus encore, agir collectivement pour modifier des trajectoires qui paraissent inéluctables. Une belle réussite, à l’heure où les défis qui s’annoncent sont d’une intensité encore inconnue à ce jour.
Anticiper la transformation et l’adaptation humaine
Les bouleversements climatiques ne sont plus seulement des alertes scientifiques au travers des rapports du GIEC. Ils sont une réalité comme en témoignent les mois à plus de 50°C au Pakistan, les canicules de l’été 2022 en France ou les inondations récurrentes depuis deux ans. Il faut bien entendu réduire nos pollutions et émissions, afin que les prévisions les plus pessimistes ne se réalisent pas. Mais nous n’éviterons pas des modifications profondes des conditions de vie dans le monde : 50°C sont prévus en été à Marseille dès le milieu du siècle.
Ces situations et ces changements, nous le sentons bien, ont un impact important sur les humains. Pourtant, nous manquons de données pour savoir plus précisément les contraintes physiologiques et cognitives qu’elles impliquent et nos capacités individuelles et collectives d’adaptation. « Nous avons constaté que lorsqu’il s’agit de mener des études pour comprendre ces phénomènes au niveau humain, on constate qu’on est très démuni. On a de superbes outils de scientifiques et des chercheurs, des instituts de recherche extraordinaires qui sont capables d’évaluer ce qu’est la physiologie et la cognition humaine. Mais cela se fait la plupart du temps en laboratoire après les événements, une fois que les choses sont terminées. Il est donc difficile d’en tirer une compréhension de ce que sont les mécanismes de la transformation et de l’adaptation humaine », explique Christian Clot, co-fondateur du Human Adaptation Institute et leader des expéditions Deep Climate.
« Ce constat nous a amené à questionner ce qu’est la condition extrême, comment un humain se transforme lorsqu’il est confronté à une condition extrême. Une condition extrême c’est chaque fois qu’on se retrouve en désorientation, en déstabilisation voire en douleur par rapport à la situation qu’on est en train de vivre. La question qu’on doit se poser pour le futur est donc : qui va se retrouver confronter à de nouvelles situations extrêmes à l’échelle des personnes qui vont les vivre ? »
« C’est l’objectif du Human Adaptation Institute (HAI) que nous avons créé en 2014 : essayer de questionner non plus de manière passive, en observation externe ou après les événements, mais observer de façon directe, durant les situations de vie, ce que signifie s’adapter à ces nouvelles conditions. Le projet Deep Climate, plus particulièrement, questionne deux choses : d’un côté, le changement climatique en termes d’impact sur l’humain et de l’autre, comment un système sociétal réduit sur une vingtaine de personnes fait face à de nouvelles conditions de fonctionnement de vie. Et ce sont ces deux notions que nous avons explorées à travers nos missions. »
En menant successivement trois traversées dans trois milieux climatiques extrêmes et représentatifs de climats possibles dans un futur proche, Christian Clot et les climatonautes ont mené un vaste protocole d’étude sur les impacts d’un changement de climat et de conditions de vie sur des personnes vivant habituellement en milieu tempéré.
Plutôt qu’en laboratoire, ce sont dans des milieux naturels, représentatifs des conditions du futur, que les recherches sont menées. De la forêt équatoriale de Guyane et sa chaleur humide au désert aride d’Arabie dépassant les 45°C en passant par les terres glacées au-delà du cercle polaire arctique finlandais, chaque traversée en immersion a duré exactement 40 jours, avec 30 jours de repos et d’études entre chaque étape.
Et maintenant ?
De retour en France, toute l’équipe va réaliser les protocoles scientifiques post-traversée à l’Institut du cerveau (ICM) à Paris pour compléter les données déjà recueillies sur place. Et sous l’égide du Human Adaptation Institute, un ensemble de données scientifiques colossal va maintenant être dépouillé et analysé par la quarantaine de scientifiques qui participent au projet, dans une approche intégrative et pluridisciplinaire. De la cognition humaine aux systèmes organisationnels en passant par la physiologie générale, les émotions ou le microbiote, ce sont les trois strates de fonctionnement qui sont étudiées au niveau individuel, collectif et environnemental, avec trois axes principaux : impact d’un nouveau climat sur les humains, capacité d’adaptation face à de nouvelles conditions de vie et d’organisation sociale, rapport à la nature et capacité à la projection dans le futur lors de conditions difficiles.
Les données sont collectées en « pre » et « post » expédition, notamment sur machines lourdes comme des IRM aussi bien qu’in situ, chaque jour des traversées. Si les missions de terrain sont terminées et que de premiers résultats ont déjà émergé, les études ne font en effet que commencer et le travail va se poursuivre durant plusieurs mois et années.
Cette équipe « a montré que, grâce à la coopération, à une volonté commune et la recherche de l’émerveillement même dans les moments les plus difficiles, nous pouvons faire face aux changements et plus encore, agir collectivement pour modifier des trajectoires qui paraissent inéluctables. Une belle réussite, à l’heure où les défis qui s’annoncent sont d’une intensité encore inconnue à ce jour« , explique Christian Clot.
- Température : de +45°C dans le désert, et +70°C en ressenti à -30°C en polaire et jusqu’à -50°C en ressenti.
- Humidité : de 100% d’humidité dans la forêt équatoriale à moins de 8% dans le désert.
- Versatilité : des vents de plus de 100 km/h dans le désert et le polaire et des dizaines de changements de conditions météorologiques dans le monde polaire.
- Durée : 40 jours dans chaque milieu et 30 jours entre chacun.
- Trajet : des traversées en autonomie, sans moyen motorisé, en transportant nourriture et équipement.
- Science : 50 protocoles scientifiques différents et plus de 3600 heures cumulées de prise de données in situ.15 laboratoires et universités associés dans 9 domaines de recherche
- Equipe : 20 climatonautes, 35 chercheurs et chercheuses, une cinquantaine d’équipe support et bénévoles.
(1) Christian CLOT, Fondateur et CEO du Human Adaptation Institute, créateur et chef d’expédition de Deep Climate. Depuis près de 30 ans, cet explorateur chercheur suisse et français mène des expéditions de recherche dans le monde entier axées sur les aptitudes humaines à l’adaptation. Il a été à l’origine de nombreuses expéditions de recherche, dont Deep Time, 40 jours hors du temps ou 4X30 Jours dans les extrêmes, dont les résultats l’on poussé à créer DeepClimate et les recherches associées (voir www.christianclot.com).
Photo d’en-tête : Equipe Deep Climate dans le désert du Nefoud – KSA-04-Human Adaptation Institute-©Lucas Santucci