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Marlène Dumas au Louvre : une entrée historique qui bouscule les codes du musée universel

"Liaisons" de Marlène Dumas

Pour la première fois, une femme artiste contemporaine entre dans les collections permanentes du Louvre. Avec Liaisons, série de neuf toiles monumentales commandée spécialement pour la Porte des Lions, Marlène Dumas fait dialoguer la peinture actuelle avec les maîtres anciens. Entre audace et symbolisme, cette installation soulève une question essentielle : comment le public accueillera-t-il ces œuvres nouvelles au cœur du temple de l’art classique ?

Marlène Dumas

Le Louvre a annoncé l’entrée dans ses collections permanentes d’une œuvre majeure de l’artiste Marlène Dumas : la série Liaisons, composée de neuf grands formats réalisés spécialement pour le musée. Cet événement marque une étape historique : c’est la première fois qu’une femme artiste contemporaine est intégrée aux collections permanentes du plus célèbre musée du monde.

Commandée par l’institution, la série « Liaisons » a été conçue pour orner l’entrée de l’aile Denon, à proximité de la nouvelle Galerie des Cinq Continents, un espace dédié aux arts non-occidentaux et à la peinture. Les neuf toiles de Dumas répondent aux dimensions des anciens bas-reliefs en marbre qui ornaient autrefois ce mur de la Porte des Lions. Présentée à la presse le 6 novembre 2025, cette installation s’inscrit dans le vaste programme de transformation du musée engagé sous la direction de Laurence des Cars, intitulé « Nouvelle Renaissance du Louvre ».

Le choix de Marlène Dumas n’est pas anodin. Née en 1953 en Afrique du Sud et installée aux Pays-Bas, l’artiste est aujourd’hui reconnue comme l’une des grandes figures de la peinture figurative contemporaine. Ses œuvres, souvent inspirées de photographies, d’archives ou d’images de presse, explorent les thèmes du corps, du visage, du désir et de la mémoire. Sa peinture, à la fois sensuelle et mélancolique, interroge la représentation et la manière dont les images construisent notre perception du monde. Quel que soit le thème abordé, il est impossible de s’y méprendre : une toile de Marlene Dumas se distingue entre toutes. La maîtrise du trait, l’intensité des regards, la force contrastée des couleurs (ou du noir et blanc), l’absence de profondeur de champ et le caractère souvent monumental des corps ou des visages composent une signature unique, reconnaissable depuis les années 1980.

Selon le Louvre, Dumas s’est imposée comme « le choix évident » pour incarner la peinture contemporaine au cœur de cette institution emblématique. Avec Liaisons, elle crée un ensemble où les visages, les corps et les gestes deviennent autant de liens — entre les êtres, entre les époques, entre les cultures. Le titre lui-même évoque cette volonté de tisser des correspondances : entre la peinture ancienne et la création d’aujourd’hui, entre l’art européen et les expressions artistiques venues d’ailleurs.

L’entrée d’une femme artiste contemporaine dans les collections du Louvre revêt une portée symbolique considérable. Elle vient combler, en partie, un déséquilibre historique dans les musées occidentaux, où les femmes créatrices ont longtemps été marginalisées. Ce geste s’inscrit aussi dans une volonté d’ouverture : le musée, tout en restant fidèle à son héritage, affirme son désir d’accueillir des formes nouvelles et des récits multiples. En plaçant Dumas à l’entrée de la Porte des Lions, le Louvre fait de son œuvre un seuil, un passage entre le passé et le présent, entre la tradition et la modernité.

Pour Marlène Dumas, cette reconnaissance représente l’aboutissement d’un parcours exceptionnel : celui d’une artiste qui, de l’Afrique du Sud de l’apartheid à l’Europe contemporaine, a construit une œuvre à la fois intime et politique. Pour le public, c’est une invitation à voir autrement la peinture contemporaine, désormais pleinement intégrée dans l’un des temples de l’art classique.

L’installation de Liaisons dépasse donc le simple cadre d’une acquisition. Elle symbolise un moment charnière pour le musée comme pour l’histoire de l’art : un signe d’ouverture, de dialogue et de réinvention. À travers ce geste, le Louvre réaffirme que la peinture, loin d’être un médium du passé, demeure un langage vivant, capable d’exprimer les tensions et les beautés du monde contemporain. Comme l’a déclaré l’institution dans son communiqué officiel, « Liaisons devient partie intégrante de l’histoire du Louvre ».

Œuvre Marlène Dumas pour la rétrospective « The image as burden » au Stedelijk museum d’Amsterdam en 2014

Reste une question essentielle : comment le public réagira-t-il face à ces œuvres nouvelles pour un musée comme le Louvre ?

Un face-à-face attendu : le public du Louvre à l’épreuve de la peinture de Marlène Dumas

La question de la réception publique des œuvres de Marlène Dumas au Louvre ouvre un champ de réflexion passionnant. L’entrée de Liaisons dans les collections permanentes ne constitue pas seulement un geste institutionnel fort : elle engage une rencontre, parfois déstabilisante, entre la peinture contemporaine et un lieu profondément ancré dans l’imaginaire classique.

Le Louvre est perçu par beaucoup comme un sanctuaire de la beauté canonique, un espace où la perfection formelle, héritée de la Renaissance et du néoclassicisme, règne en maître. Les visiteurs viennent y contempler La Joconde, La Vénus de Milo ou Le Sacre de Napoléon : des œuvres qui incarnent la permanence, l’ordre et la maîtrise technique. En plaçant Liaisons à la Porte des Lions, au seuil de la nouvelle Galerie des Cinq Continents, le musée propose une rupture. La peinture de Dumas, expressive, parfois trouble ou inachevée, se tient à l’opposé de cette perfection figée. Elle montre le visage humain dans toute sa fragilité, sa sensualité, sa tension intérieure.

Certains visiteurs pourraient être déroutés par cette présence. La peinture de Dumas n’offre pas la séduction immédiate des chefs-d’œuvre anciens : elle demande un regard plus lent, plus intérieur. Elle interroge le spectateur autant qu’elle le séduit. Le public familial ou touristique, souvent en quête d’icônes rassurantes, pourrait être surpris par ces visages flous, ces regards ambigus, ces carnations faites d’ombres et de transparences. Mais c’est précisément dans cette surprise que réside la force de l’expérience.

D’autres, au contraire, accueilleront cette intégration avec enthousiasme. Beaucoup verront dans cette ouverture une preuve que le Louvre n’est pas un musée figé, mais un organisme vivant, capable d’évoluer et de dialoguer avec son temps. En invitant une artiste femme, née en Afrique du Sud, à dialoguer avec les maîtres anciens, le musée affirme une vision plus inclusive, plus plurielle de l’histoire de l’art. Les amateurs de peinture contemporaine y trouveront la confirmation que le médium pictural, souvent relégué au second plan face à l’art conceptuel ou numérique, garde toute sa puissance d’émotion et de questionnement.

La réaction du public dépendra sans doute de la médiation mise en place. Si le musée accompagne cette œuvre d’un discours clair, d’une contextualisation sensible, elle pourra devenir un véritable pont entre les époques et les sensibilités. Sans explication, elle risque d’être perçue comme une étrangère dans un décor monumental. Mais avec un regard guidé — par des textes, des dispositifs visuels ou même par le simple dialogue entre les salles —, Liaisons pourra s’imposer comme un moment d’équilibre entre l’ancien et le contemporain.

Ce qui est certain, c’est que la présence de Marlène Dumas au Louvre provoquera des émotions fortes. Certains ressentiront la tension entre tradition et modernité, d’autres y verront une respiration nouvelle dans un musée parfois perçu comme immobile. Le succès de cette intégration se mesurera moins à l’unanimité des réactions qu’à la richesse des débats qu’elle suscitera. Car c’est bien là la mission d’un musée universel : non pas apaiser, mais interroger.

Peut-être, au fond, la véritable « liaison » imaginée par Marlène Dumas ne se joue-t-elle pas seulement entre les continents et les styles, mais entre le musée et son public — entre ce que le Louvre fut et ce qu’il s’apprête à devenir.

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