UP’Magazine a rencontré Alexandre Gérard, Président d’un groupe « familial » à multiples facettes dans le secteur du BTP qui développe au quotidien des services innovants autour de deux pôles d’activité : intervention sur site, conseil & communication. Entreprise particulièrement innovante en management qui prône de nouveaux concepts pour libérer l’entreprise pour mieux la ré-inventer : la culture d’une certaine idée du bonheur.
En voici le témoignage.
L’entreprise CHRONO Flex s’adresse au secteur du BTP, auquel elle propose le dépannage de flexibles hydrauliques sur site. Des flexibles qui se trouvent sur des machines de chantier comme les tractopelles ou les nacelles. Ce sont des éléments à la fois fragiles et indispensables.
Leur idée ? Placer dans un fourgon tout ce qui est nécessaire pour démonter et réparer le flexible, directement sur le chantier. C’est-à-dire les compétences humaines d’une part, et les moyens techniques (stock, machines, outillage) d’autre part. Nous aimons présenter cette innovation de service comme une sorte de « SAMU du flexible ». Ce que nous annonçons à nos clients, c’est : « arrivé dans l’heure, dépanné dans l’heure, 24h/7j sur toute la France».
Le service proposé inclut aussi des innovations technologiques : les clients peuvent nous appeler sur un numéro unique 24h sur 24 et 7 jours sur 7 ; grâce à la géolocalisation des unités d’intervention, ils sont en mesure de proposer un délai d’intervention optimal, annoncé en quelques secondes ; immédiatement après l’intervention, un rapport électronique comprenant performance de l’intervention, photos, traçabilité, empreinte carbone… est envoyé au client.
Aujourd’hui, ce service permet aux clients de diviser par deux le coût global de la rupture d’un flexible hydraulique.
Tout commence à Nantes, en 1995…
En 1995, le seul moyen pour réparer les flexibles hydrauliques des machines de chantier, consiste à faire intervenir son propre mécanicien qui va passer son temps à faire des allers-retours entre l’entreprise, le chantier et le comptoir professionnel où il se fournit en pièces de rechange. Ça dure des heures ! Et pendant ce temps les machines sont immobilisées.
Trois chefs d’entreprise, issus du BTP et confrontés à ces immobilisations fréquentes et coûteuses, ont l’intuition d’un service à développer autour de la réparation de flexibles hydrauliques. Ils confient la gestion de l’entreprise qu’ils viennent de créer à Alexandre Gérard. A ce stade, l’entreprise se résume à Joël, le premier mécanicien, et Alexandre. La toute première décision consiste à aller acheter un seau, une serpillère, une table et un téléphone. L’aventure est lancée.
Durant un an et demi, ils affinent le modèle sur la région nantaise et préparent la croissance. En Juin 1997, ils font appel à des financiers qui les rejoignent pour construire le réseau national. Une période incroyable démarre : ils découvrent la croissance à 3 chiffres (100% de croissance par an), ils embauchent toutes les semaines. En tant que chef d’entreprise, le métier change en permanence. Ils doivent s’adapter à la gestion d’une équipe qui passe de 10 salariés à 20 puis 40, 80, 160… Ces années sont enivrantes. Ils vivent un tourbillon ! Pourtant, ils conservent un train de vie très modeste. Ce qui les anime, c’est une forte envie de réussir et beaucoup de plaisir dans l’action.
2007, la consécration
En 2007, les cinq entreprises créées font plus de 24 M€ de chiffre d’affaires. A elle seule, CHRONO Flex, l’entreprise principale, réalise 22 millions. Cette année-là, ils assurent près de 100 000 interventions, 85 000 en France et 15 000 dans les DOM-TOM et les autres pays européens. Et pour la première année, ils affichent un résultat positif significatif de 1.8 M€ avant impôts.
Tout semble au beau fixe. Ils ont réussi leur pari ! L’entreprise est belle, structurée, puissante et efficace, comme un porte-avion.
Face à la crise, comment réinventer l’entreprise ?
2008, la crise. 2009, le choc pour CHRONO Flex. En 2009, ils perdent 34% de leur chiffre d’affaires. C’est très compliqué à gérer. Ils devront se battre pendant huit mois en cherchant à réinventer l’entreprise mais le marché s’effondre. Ils ne parviendront pas à lutter et seront forcés de licencier pour pouvoir sauver l’entreprise. Se séparer de personnes qu’ils ne veulent pas licencier est une expérience terrible. Tout cela crée une ambiance épouvantable dans l’entreprise. Et les contraintes du droit du travail français ne font qu’accentuer la crise qu’ils traversent.
En 2007, ils étaient tous fiers de cette aventure. Deux années auront suffi pour que tout ce qui avait été construit s’évapore d’un coup. Ces moments sont très difficiles pour tous.
La quête et la rencontre
Conscient de sa responsabilité de chef d’entreprise, Alexandre se demande alors ce qu’il peut faire pour que cette situation ne se reproduise pas. Il se met à chercher … sans bien savoir quoi en réalité. Et puis, un jour, se produit « la » rencontre qui va changer sa vie :
« Au printemps 2010, je reçois une invitation à une conférence intitulée « L’entreprise du XXIeme siècle existe, nous l’avons rencontrée ». L’intervenant est un certain Jean-François Zobrist, chef d’entreprise à la tête de la fonderie Favi, en Picardie , une entreprise leader de la fourchette de boîtes de vitesse. L’intitulé m’interpelle et je décide de m’y rendre. Quand j’arrive dans l’amphithéâtre, je découvre un petit monsieur, barbu, dégarni, et… vêtu d’une blouse. Je me fais la remarque : « Et bien si c’est ça l’entreprise du XXIeme siècle ! ».
Je commence à comprendre lorsqu’il se met à conter son histoire. « Oui, c’est ça l’entreprise du XXIème siècle ! » Jean-François Zobrist parle d’amour, de rêve et de vision partagés, de valeurs co-construites, de supprimer les contrôles. Ça me percute ! Je sais intuitivement que c’est ça ! Dès qu’il a terminé de parler, je me précipite vers lui et je lui demande : « Comment fait-on pour aller plus loin ? » Et là, il me répond : « Démerde-toi ». « Il y a du bruit, j’ai mal compris » lui dis-je. Et il me répète : « Tu as bien compris, démerde-toi ! ». Fin de la discussion. Je rentre au bureau dans une colère noire : « la solution est là, à portée de main, et je n’y ai pas accès. »
La prise de conscience
Je ne baisse pas les bras pour autant. J’achète les quatre livres de Jean-François Zobrist et je les lis chacun deux fois. Je comprends alors que j’ai commis, en tant que chef d’entreprise, deux grandes erreurs, dont je n’étais pas conscient.
Première erreur : je manage l’entreprise pour 3% des salariés, à savoir ceux qui ne respectent pas les règles du jeu de l’entreprise. Par exemple, ceux qui mettent un peu de gasoil pro dans leur véhicule perso, ou ceux qui font leurs courses le weekend avec la carte bleue de l’entreprise. A chaque nouveau cas, la direction de l’entreprise décide d’ajouter une ligne sur le règlement intérieur pour endiguer les dérapages de ces 3%. Au final, ces nouvelles règles ne les empêchent pas de continuer à essayer « d’arnaquer » l’entreprise mais en revanche elles créent des barrières invisibles autour des 97% restants, ceux qui font bien leur travail. Ces règles neutralisent peu à peu toutes leurs initiatives.
Deuxième erreur : j’ai oublié mes cours de mathématiques de l’école primaire. J’ai oublié que 1 est inférieur à 20, à 50 et a fortiori que 1 est inférieur à 300. Dans les faits, qui décide dans l’entreprise ? C’est mon équipe de direction et moi, qui prenons quasiment toutes les décisions. Et tandis que l’entreprise grandit, je continue sur cette voie, sans me poser de question. En 2007, l’entreprise comprend plus de 320 personnes et c’est toujours nous qui décidons de tout. J’ai occulté que 1 est inférieur à 20 et non pas supérieur. Ce faisant, je prive l’entreprise d’une richesse extraordinaire : l’intelligence collective. Imaginez la puissance de 300 cerveaux mobilisés vers un même objectif !
Sur mon invitation, toute l’équipe de direction lit « La belle histoire de Favi » de Jean-François Zobrist. Nous échangeons, réfléchissions, débattons puis nous prenons la décision d’engager l’entreprise sur ce chemin… Cela sans bien savoir ou ce chemin nous conduirait !
La mutation de CHRONO Flex
Les premières démarches : ensemble, avec mon équipe, nous tentons de comprendre les concepts mis à l’œuvre chez Favi, puis nous décidons d’engager trois démarches :
• reconstruire tous ensemble notre chapiteau, c’est-à-dire à la fois la vision partagée qui soutient l’édifice et nos valeurs. Ce travail prend plusieurs mois sous la forme de petites réunions aux quatre coins de France.
• enlever les « petits cailloux dans les chaussures », ce qui signifie supprimer toutes les petites choses qui pourrissent le quotidien de la vie des salariés.
• nettoyer les signes de pouvoir. Nous demandons à dix salariés, choisis de manière aléatoire, ce qu’ils en pensent. Nous ne sommes pas déçus ! « Qui a un grand bureau ? Une place de parking proche de l’entrée ? Qui a des ordinateurs sans filtre qui permettent d’aller sur Facebook ? » Aujourd’hui je n’ai plus d’assistante, plus de bureau, plus de titre sur mes cartes de visite et lorsque je viens au bureau, je me gare toujours dans le fond du parking.
Tout cela s’est passé très vite, en quelques mois, en 2010.
La découverte de l’entreprise libérée
C’est aussi en 2010 qu’Hervé, un ami, me fait parvenir « Freedom inc » un ouvrage d’Isaac Getz et Brian Carney, deux auteurs qui ont visité trente entreprises atypiques dans le monde et ont rassemblé un véritable trésor. Mais l’ouvrage, dont je sais qu’il contient les ingrédients de la recette que je tente de réaliser, est en anglais. Grosse frustration pour moi car mon niveau d’anglais ne me permet pas d’en percevoir les subtilités. Et du coup je n’ai qu’un accès limité à ce trésor.
Les caractéristiques de ces entreprises hors du commun sont les suivantes :
– Ces entreprises surperforment au regard de leur secteur d’activité ;
– Ces entreprises offrent une grande liberté d’action à leurs collaborateurs et une forme de quête collective du bonheur.
Parmi les exemples cités, je découvre Harley Davidson, Gore et … l’entreprise Favi, de Jean-François Zombrist.
Je fais quelques recherches et je découvre qu’Isaac Getz est professeur de management et de leadership à l’ESCP, une école de commerce parisienne. Je le contacte. Il m’accorde un entretien. Le courant passe tout de suite. C’est le début d’une véritable relation d’amitié. J’en profite pour lui proposer de créer un petit club d’entrepreneurs afin d’offrir à des chefs d’entreprise comme moi un espace pour nous soutenir dans notre cheminement.
Voilà comme Isaac Getz et Brian Carney ont modélisé les facteurs clés de succès de ces entreprises. Pour basculer d’une entreprise X à une entreprise Y (MacGrégor) , la « recette » tient en quatre points :
1. « Cesser de parler et commencer à écouter. Ensuite, renoncer à tous les symboles et à toutes les pratiques qui empêchent les salariés de se sentir intrinsèquement égaux.
2. Commencer à partager ouvertement et activement sa vision de l’entreprise pour permettre aux salariés de se l’approprier. Mais il ne faut pas le faire avant l’étape 1, car des gens qui ne sont pas considérés en égaux ne s’intéresseront pas à cette vision.
3. Arrêter d’essayer de motiver les salariés. Vous avez bien lu. Il convient plutôt de mettre en place un environnement qui leur permettra de se développer et de s’auto diriger, et de les laisser se motiver eux-mêmes. S’ils comprennent la vision dont il est question à l’étape 2, ils se chargeront du reste, pourvu qu’on les laisse faire.
4. Rester vigilant. Pour préserver la liberté de son entreprise, le dirigeant doit devenir le garant de sa culture. En l’occurrence, comme le dit le libérateur Bob Davids : « Une vigilance de chaque instant, tel est le prix de la liberté. »
Je comprends alors que « je » vais être le principal problème dans l’équation ! Il s’agissait de changer complètement mon attitude de patron. Par exemple : Arrêter de parler… or, qui parle dans une entreprise ? Celui qui décide, donc moi !
Libérer une entreprise, c’est d’abord la libérer de son dirigeant
La première étape a consisté à gérer le problème de fond, à savoir moi. Libérer une entreprise c’est d’abord la libérer de son dirigeant ! J’ai décidé de me faire accompagner par un coach. J’ai eu la chance de travailler avec Jean-Loup Péguin, qui m’a permis de lâcher-prise, de m’explorer et d’apprivoiser certaines de mes croyances. J’ai eu aussi la chance que toute mon équipe de managers décide, elle aussi, de travailler sur elle-même durant l’année 2011, avec le concours de plusieurs coachs.
Vis-à-vis des équipes de terrain, même si nous testions pas mal de petites choses, nous ne communiquions pas encore. Notre principe : « Tu fais les choses et seulement ensuite tu expliques ». C’est à la fin de 2011, que nous nous sommes sentis fin prêts à faire notre saut en parachute !
La mise en place du changement
Jour J : le saut en parachute
Dans le jargon de l’entreprise libérée, le « saut en parachute » correspond à la mise en place d’un acte irréversible. Cette métaphore est claire : il est impossible de remonter dans l’avion une fois qu’on a sauté. Cet acte montre à tous que jamais plus demain ne sera comme hier. Le samedi 7 janvier 2012 est le jour que nous avons choisi. Depuis des semaines nous préparons notre « saut » méticuleusement. Ce jour-là, nous avons convié la totalité de l’entreprise à la grande messe annuelle.
Passer du porte-avion aux speed-boats
Notre objectif pour cette journée ? Réinventer l’entreprise. Le porte-avion a démontré qu’il n’était pas suffisamment agile lors des tempêtes. Qu’à cela ne tienne ! A la place nous proposons à tous les présents, de faire renaitre l’entreprise sous forme d’une « Armada de Speed-Boats ». Pourquoi des speed-boats ? Parce qu’ils sont petits, agiles, rapides. Lancés dans une même direction, c’est l’armada toute entière qui converge vers un même objectif.
Redessiner les territoires d’action et se doter de « capitaines »
Nous avons alors distribué des cartes de France et demandé aux collaborateurs : combien voulez-vous de speed-boats ?, sous-entendu, combien voulez-vous de régions ? Au terme de trente minutes, les équipes avaient décidé de créer treize régions.
Puis, nous avons dit : « Sur un bateau il faut un Capitaine, selon vous, quel est son rôle ? » Les équipes ont déterminé les missions du capitaine en trente minutes. Enfin, nous avons continué à les challenger : « maintenant que vous avez décidé la création de 13 speed-boats, que vous avez décidé le rôle du capitaine… Qui parmi vous incarne le mieux l’exemplarité nécessaire pour assurer ce rôle ? Cooptez-les ! ».
A la fin de cette session de travail, onze capitaines avaient été désignés, un groupe avait choisi de reporter sa décision au lendemain car il y avait des absents, et un autre groupe qui ne souhaitait pas de « capitaine » a envoyé un représentant. Nous avions reconstruit l’entreprise en une heure et demi seulement !
Permettre aux anciens managers intermédiaires de dessiner leurs nouvelles fonctions
Trois mois avant le grand « saut », nous avons dit aux managers intermédiaires : « Vous avez trois mois pour réfléchir à un autre métier. Imaginez le poste que vous voulez dans lequel vous allez prendre du plaisir et créer de la richesse. Ce que vous voulez. Vous ne changerez pas de salaire. »
Le jour J, les managers intermédiaires ont eu l’opportunité d’annoncer, à tour de rôle, qu’ils changeaient de métier. Deux sont devenus capitaines, un a rejoint le service commercial, un autre est parti monter sa société d’assurances et un dernier a essayé une nouvelle mission. Cela n’a pas marché. Il a depuis quitté l’entreprise.
Créer des groupes projets pour prendre les décisions business
Toujours le 7 janvier, nous avons annoncé aux équipes que ce serait désormais à eux de prendre les décisions pour gérer le business. Chacun a eu l’opportunité de s’inscrire dans un des vingt groupes projet. Cela n’a pas été aisé. Ces groupes n’ont pas fonctionné tout de suite mais nous avons appris en marchant.
Notre rôle d’ex-équipe de direction, rebaptisée Team Inov’On (maison mère de CHRONO Flex) consiste désormais à accompagner les groupes de décision à la gestion de projet pour traverser les différentes étapes. Cet accompagnement est important car la majorité des collaborateurs sont des mécaniciens et il est de notre responsabilité de leur transmettre de notre mieux le savoir-faire nécessaire.
Comment ça marche ? Prenons l’exemple du contrat de téléphonie qui arrive à échéance et qu’il faut renouveler. Nous diffusons l’information sur le réseau social de l’entreprise. Ceux que cela intéresse se réunissent et choisissent un représentant, ou animateur, qu’ils cooptent. Une fois l’animateur choisi, le processus est le suivant : d’abord, rappeler la raison de leur présence, à savoir servir la vision de l’entreprise et non pas celle du chef ou leur propre intérêt. Deuxièmement, s’entourer de tous les experts qu’ils jugent utiles, qu’ils soient internes ou externes. A ce titre, les anciens managers sont régulièrement consultés. Ils sont devenus des experts, des facilitateurs, des référents. Après cette phase de consultation, le groupe de travail prend une décision.
La Team Inov-On intervient uniquement si nous pensons que la décision prise par le groupe de travail risque de ne pas servir la vision de l’entreprise. Le groupe projet est alors invité à retravailler sa décision. C’est une première limite au fonctionnement autonome des groupes de travail. La deuxième c’est le budget. Si le budget associé à la décision est égal ou inférieur au budget précédent, alors la décision est libre. Mais si le budget est supérieur, alors la Team Inov-On participe à la décision, pour ne pas mettre l’entreprise en risque. Hormis ces deux limites, nous n’intervenons pas sur les décisions des groupes de travail qui sont applicables à tous.
S’éloigner …. loin, très loin.
Cinq mois après notre saut en parachute, je suis parti faire un tour du monde avec ma famille. C’était pour moi un rêve d’enfance, un besoin de passer du temps avec ma femme et mes trois enfants, un besoin physique de changer de rythme et de vivre des choses uniques. Ce voyage m’a permis de me désintoxiquer du travail. J’étais « accro » à l’entreprise. Cela a aussi, je l’espère, représenté un formidable témoignage de confiance pour les équipes. Quand je suis parti, je leur ai simplement dit : « faites de votre mieux. »
Et lâcher-prise, même sur les rémunérations !
Pendant mon absence, alors que j’étais à l’autre bout du monde, le groupe de travail sur le « bien-être » a décidé de lancer le sujet des rémunérations. Cela peut conduire à faire exploser l’entreprise. « Gloups ! » Je dois dire que je n’étais pas très serein d’apprendre cela. Mais impossible de leur dire Stop, on attend mon retour pour en parler.
Pendant neuf mois de travail, chacun des collaborateurs de l’entreprise a donné son avis, à plusieurs reprises, pour que l’on parvienne à construire un système de rémunérations qui a été mis en place en mars 2013. Il existe désormais un compte d’exploitation par véhicule d’intervention. C’est la transparence absolue. Chaque mois, 15% de la marge du véhicule revient au technicien qui assure les interventions. 15% supplémentaires sont distribués à part égale entre tous les collaborateurs de la région sur la marge régionale. Tous les semestres nous faisons la même chose au niveau de l’entreprise, en répartissant 15 % de la marge à part égale entre tous les salariés de l’entreprise. Résultat ? A partir de mars 2013, le chiffre d’affaires a fait un bond de 15 % sans autre action de notre part ! Les résultats eux ont été multipliés par quatre. Lorsque j’ai constaté que l’entreprise était en meilleure santé lorsque je l’ai retrouvé que lorsque je suis parti, j’ai dû mettre mon ego dans ma poche. L’entreprise avait démontré qu’elle faisait mieux collectivement.
Quel est le rôle du chef d’entreprise d’une entreprise libérée ?
Rappeler la vision, jour après jour, plusieurs fois par jour
Mon premier rôle, c’est de rappeler la vision, jour après jour, plusieurs fois par jour. Car même si la vision a été co-construite, elle a tendance à s’évaporer dans le quotidien. Lorsqu’un membre des équipes sollicite la Team Inov-On, nous lui demandons quelle est la décision qui servira au mieux la vision de l’entreprise.
Construire un environnement nourricier
Mon deuxième rôle, c’est de contribuer à construire un environnement nourricier. En effet, je ne crois pas que l’on puisse bien décider si l’on n’est pas bien formé, ni bien informé. Nous proposons donc des parcours de formation via nos «Universités Permanentes» où chaque salarié peut venir se former. Nous proposons aussi des journées «Vis Mon Job », à date anniversaire de l’entrée dans l’entreprise. Cette journée appartient au salarié qui peut venir se « nourrir » en découvrant le quotidien de travail d’un autre salarié, d’un fournisseur ou d’un client. Enfin, les équipes peuvent participer à des «Learning expéditions» pour découvrir la démarche d’autres entreprises, souvent sur le chemin de la libération.
Préserver le champ de liberté créé
Mon troisième rôle, c’est de préserver la liberté que nous avons créée. Cette liberté est fragile et je suis le gardien du temple.
Voir les autres grandir, c’est un plaisir extraordinaire.
Partager notre aventure aussi.
Et nous ne sommes qu’au premier quart du chemin.
Les dernières avancées de CHRONO Flex sur le chemin de la libération
Nouvelles arrivées, nouvelles responsabilités, niveaux hiérarchiques
– Lors de l’intégration de nouveaux équipiers, ces derniers sont invités à prendre l’engagement solennel d’adopter nos valeurs et d’en devenir ambassadeur. S’ils refusent ? On boit un verre ensemble et ils retournent chez eux.
– Pour chaque nouveau recrutement, c’est l’équipe qui accueille, recrute à l’unanimité le nouvel équipier qui valide sa période d’essai.
– Chaque équipe coopte son capitaine pour une durée de trois ans.
– Ce système de cooptation a été étendu s’il y a un changement à la tête d’une équipe.
– Deux équipes, les RH et Fruizz, notre agence de communication, fonctionnent en autogestion complète.
– Nous sommes revenus à trois niveaux hiérarchiques : les responsables de pôle qui sont des « entraineurs », les Team Leaders (dont les capitaines) qui animent et coordonnent l’activité et les équipiers qui font le business. La Team Innov reste en soutien.
Les groupes projets et les décisions d’investissements
Nos investissements sont aujourd’hui décidés par les équipes. En 2013, nous avons fait un tour de France pour rencontrer les équipes et évoquer avec elles deux sujets phares : les parts de marché – spécifiquement comment on gagne ou on perd des parts de marché – et les impacts des investissements. Nous avons observé au niveau des régions des décisions de tout type : certaines excellentes et d’autres franchement trop timides. Ce sont les règles du jeu : laisser liberté et autonomie. Il nous faut encourager l’apprentissage et pour cela valoriser tous les types d’enseignements, autant ceux des échecs que des réussites, afin de développer l’initiative.
Développer un projet professionnel au sein de l’entreprise
A l’automne nous réactiverons « InLab ». L’idée est de donner l’opportunité aux salariés de développer de nouveaux métiers. Chacun des salariés pourra présenter un projet de développement avec pour unique cadre la vision du groupe, à savoir « la passion d’entreprendre différemment pour la réussite de notre client. » C’est un collectif issu des équipes qui décidera si oui ou non l’entreprise l’accompagne ce salarié pour l’aider à réaliser son projet. C’est comme cela que nous créerons les métiers qui feront notre futur.
L’engagement des salariés
Notre plus grand souhait est qu’un maximum de salariés prennent plaisir à travailler dans cette entreprise et donc qu’ils soient engagés.
Si j’en crois le rapport Gallup qui rend compte du taux d’implication des collaborateurs dans le monde – engagés, désengagés (ils viennent pour repartir) et activement désengagés – La France est dans la queue du peloton européen, à quasi égalité avec les Pays-Bas avec un taux de 9% d’engagés, tandis que les Etats-Unis comptent 30% de leur population engagée. Cela signifie qu’en moyenne, seulement 9% des salariés tirent toute leur entreprise vers l’avant.
Notre rêve ? Compter plus de 50% de salariés engagés. Les conséquences en seraient très positives. Par effet de contagion, l’entreprise peut rapidement passer à 70% de personnes très impliquées. Cela se traduit par du plaisir, de la créativité, de l’initiative et au final de la performance. La croissance endogène de ce type d’entreprise est souvent de 10 à 20% par an. Et en présence de mécanismes de partage de résultats, cela entraîne un cercle vertueux, à la fois pour les salariés et pour l’entreprise. Ce qui fait dire à Jean-François Zobrist qui adore la provocation : « Il n’y a pas de meilleur moyen de faire de l’argent que d’être humaniste. »
Bonheur et performance
Pour Laurence Vanhee l’équation de ce dispositif repose sur quatre mots : Liberté + responsabilité = bonheur + performance.
La liberté donnée aux collaborateurs additionnée à la responsabilité qu’ils endossent, tant au niveau de la vision que des valeurs, produit du bonheur pour le salarié et une meilleure performance pour l’entreprise.
Nos quatre valeurs
Voici les règles de vie ou valeurs que nous avons collectivement choisies :
– La performance par le bonheur : si on est heureux chez nous on sera plus performant ;
– Cultiver l’amour du client : le client nous aime, nous entretenons un rapport affectif avec le client ;
– Une équipe respectueuse et responsable ;
– Une ouverture d’esprit, un esprit d’ouverture.
En guise de conclusion
Ce qu’il faut retenir ? Libérer l’entreprise c’était la libérer de soi-même (se libérer du dirigeant). Le collectif est plus performant que le management top-down.
Une citation ?
»Demain ne sera pas comme hier.
Il sera nouveau et il dépendra de nous. Il est moins à découvrir qu’à inventer. » Gaston Berger
Un conseil à un chef d’entreprise intéressé par l’entreprise libérée ? « Lis les livres de Jean-François Zobrist et d’Isaac Getz et démerde-toi. »
Un mot à destination des chefs d’entreprise sceptiques ? On vient à ce modèle par deux portes :
– L’épuisement de mettre autant d’énergie dans l’entreprise pour si peu de résultats : la douleur ;
– L’admiration du modèle : la séduction. Je crois qu’on est sensible à ce type d’organisation si cela réveille des valeurs intrinsèques profondément ancrées.
Ensuite il faut du temps, du travail sur soi et encore beaucoup de temps car changer de culture ne se décrète pas. Nous avons eu la chance de voir un retour économique quatorze mois seulement après notre saut en parachute. Ce n’est pas le cas de toutes les entreprises libérées. Harley Davidson a mis dix ans à basculer.
Des projets ? Continuer à travailler sur l’environnement nourricier pour que les équipes puissent encore grandir. Garder une attention bienveillante auprès des équipes…
Et repartir en voyage en famille pour découvrir le monde !
Crédits : Réalisation : Maria Boutet – Rédaction : Laurence Postic / ©Pois Chiche films – France 3 Pays de la Loire
Propos recueillis par Christine Marsan et co-rédigés avec Thomas-Emmanuel Gérard pour UP’