Muni de la Bible, des Evangiles et du corpus doctrinal de l’Eglise orientale, Michel Maxime Egger propose une plongée dans l’écospiritualité, une approche renouvelée de l’écologie ancrée sur de fortes bases théologiques chrétiennes. Rien à voir donc avec un vernis spirituel new age. Il s’agit d’une véritable philosophie, d’une nouvelle manière d’être de l’Homme face à la Nature, qui se traduit dans l’émergence d’un seul et unique mot, « écospiritualité », car « l’Homme et la Nature sont indissociables ».
Au final, il doit en émerger un « homo alternativus qui sommeille en chacun –antidote à l’homo economicus – pour donner naissance à une nouvelle forme d’engagement : le méditant militant. » Il ne s’agit donc pas seulement de penser mais aussi d’agir. « Il s’agit de mettre en boucles écologies intérieure et extérieure. »
Le chemin est ardu, il nécessite de recourir à de nombreux outils – spirituels, philosophiques, psychologiques – et donc la démonstration de Egger, passant allégrement de la théologie des logoi de Maxime le Confesseur à celle des énergies divines de Grégoire Palamas en passant par Martin Buber ou l’écopsychologie est parfois ardue.
Mais, finalement « l’écospiritualité se résume à l’Amour » car « on ne peut sauver ce que l’on n’aime pas. » D’où le titre du dernier ouvrage de Egger, La Terre comme soi-même, en référence au second commandement de l’Evangile – « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
Cet homo alternativus suppose trois changements majeurs : changer notre regard sur la création, changer notre regard sur l’être humain et procéder à une transformation intérieure autrement dit « travailler sur ses peurs, celle du manque et de la mort », « accepter notre finitude, passer d’une conscience de pénurie à une conscience d’abondance ».
Avant tout, il faut « sortir de la vision réductionniste et utilitaire de la nature pour lui redonner sa dimension sacrée. » Ici, d’un côté, le sociologue se réjouit de ce que le mot « sacré » ait retrouvé une place dans le débat public comme l’illustre un colloque qui s’est déroulé à la Sorbonne en 2012 intitulé « Y a-t-il du sacré dans la nature ? ».
De l’autre, il prend garde à ne pas tomber dans le piège du paganisme, jamais loin lorsqu’il est question de « resacraliser » la nature. « J’essaye d’ouvrir une troisième voie entre une vision matérialiste et une vision panthéiste de la nature, celle que j’appelle le panenthéisme, autrement dit la doctrine du Tout en Dieu. Dieu est dans l’univers et l’univers est en Dieu. »
A la lisière du spirituel et de la psychologie, le philosophe juif, Martin Buber, distinguait deux types de relations : celle du Je-Cela où la relation à l’autre est unilatérale, purement instrumentale et celle du Je-Tu où l’Autre est un sujet impliquant la réciprocité. Or, « Buber considérait qu’il existe des relations Je-Tu entre l’Homme et les autres créatures non-humaines » ; c’est donc cette relation qu’il nous est donnée d’établir ou de rétablir.
Quant au changement de regard sur l’être humain, Egger explore aussi une nouvelle approche. « Il existe deux pôles : un pôle anthropocentriste où l’être humain est au centre de tout, il est gestionnaire de la Nature. Et à l’opposé, il existe un pôle bio ou cosmocentriste où l’être humain n’est qu’une créature parmi d’autres, ni plus ni moins importante qu’un brin d’herbe ou qu’un insecte. Là encore, j’essaye de tracer une troisième voie que j’appelle cosmothéantropique.
L’idée est qu’il existe une unité structurelle entre Dieu, le cosmos et l’être humain. Nous sommes les enfants de la Terre Mère. Nous sommes dans une relation d’interdépendance. Tout ce que nous faisons à la Nature, c’est à nous-mêmes que nous le faisons. » A cet égard, le courant de l’éco-psychologie, peu connu encore en dehors du monde anglo-saxon, montre « l’interrelation entre les maladies de l’Homme et celles de la Terre. On ne peut penser le Moi sans intégrer la Nature. »
Si les sources théologiques faisant l’apologie de la Mère Nature ne manquent pas, le sociologue reconnaît volontiers que la bible n’est pas sans ambiguïté à l’égard de la Création. Ainsi, d’un côté la Genèse appelle à « garder et cultiver le Jardin » (2-15) mais le texte exhorte aussi l’Homme à dominer la nature lorsqu’il mentionne «Remplissez la terre et soumettez-la » (1-28), comme l’a rappelé l’un des auditeurs de cette soirée aux Bernardins.
Egger souligne qu’il existe une conception chrétienne anthropocentriste, dénoncée comme la principale cause de la crise écologique par le célèbre médiéviste américain Lynn White dès 1966. « Les Eglises ont ignoré cette critique mais je pense qu’elle doit être prise au sérieux. Il y a un travail auto-critique à faire.
Cependant, il faut distinguer les textes, leur interprétation et leur utilisation par l’Eglise. Ainsi, ce passage de la Genèse où l’Homme est appelé à dominer la Nature est à resituer dans le contexte où il est écrit. C’est un texte qui date, sans doute, du 6ème siècle avant Jésus-Christ, ce qui correspond à l’exil des juifs à Babylone. La parole divine de ce verset est donc donnée à un peuple désespéré.
Interpellé sur l’absence de philosophie politique dans son exposé, Egger fait une réserve importante : l’articulation entre le politique et le spirituel peut bien sûr exister – et lui-même la fait tous les jours dans le cadre de son travail de lobbying à Alliance Sud, une ONG suisse -, mais il prend aussitôt soin de préciser que « la spiritualité ne se décrète paspolitiquement, sinon on aboutit à un système totalitaire. On peut faire une loi verte mais on ne peut pas faire une loi sur la métanoia personnelle. Et heureusement. » Autrement dit, chacun doit trouver sa propre voie vers l’écospiritualité à son rythme, avec ses outils propres. Un chemin, long et complexe, à n’en pas douter.
Michel Maxime Egger – Observatoire de la modernité, Collège des Bernardins – Séminaire 2013 – 2014 « Quelles ressources face à la crise ? » – Séance du 14 Mai 2014
Synthèse : Catherine Dupeyron
– Écologie et spiritualité : un entretien avec le philosophe Pierre Rabhi 29 juillet 2013 :
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<p>- Ivan Illich (1) – « Table ronde » avec J-P Dupuy, P. Viveret, Th. Paquot et S. Latouche :</p>
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<p>- <span style="line-height: 1.3em;">Edgar Morin : « Pour une politique de civilisation » – Conférence à l’Université Intégrale Mars 2014 :</span></p>
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