Le débat chauffe, chauffe… : l’explosion de l’accès à l’internet a donné l’impression que tout le monde pouvait devenir journaliste. Les titulaires des cartes de presse ont hurlé… et hurlent encore. Chez les communicants, finalement des cousins germains des journalistes, on a eu le même son de cloche face à ceux qui estimaient que la communication était le parent pauvre de la science, mais le digne écho de l’artiste, un autre charlot au fond.
Journaliste un jour, journaliste toujours m’a dit un collègue… Si on touche à ce destin du plumitif quand bien même il aurait troqué son stylo contre un micro ou une caméra, on n’échapperait donc plus à cette vocation : mettre en scène la vérité pour ses lecteurs, pour son public, le tout au nom de l’intérêt public. On changerait de travail, la greffe du journalisme serait indélébile, non comme une flétrissure mais comme un saut génétique inexpugnable.
Mon propos n’est pas de vérifier cette affirmation. Il est de s’interroger sur ce mur que certains chantres du journalisme et de la communication aiment à dresser entre les deux professions. Cette réflexion a fait jour en moi quand on m’a prié de me mettre en garde contre les dérives du commentaire face au sacro-saint factuel. Le commentaire serait à proscrire, car subjectif et partial. Le factuel serait à vénérer car tout droit descendu de la cuisse de Jupiter transformé en dieu tutélaire de l’information. En bref, le fait, c’est vrai.
Je n’ai jamais complètement souscrit à cette division hermétique entre factuel et commentaire. Un article composé d’un pur factuel n’est pas pour moi forgé des ingrédients du journalisme. Un reporter, en effet, est rarement l’émetteur direct de l’information : il la recueille…des mains d’un autre. Se cantonner au factuel pur, ce n’est plus faire œuvre de journalisme, mais se limiter à une fonction de porte-parole. Et encore… Un journaliste a un autre rôle que de faire le trottoir à tendre son micro aux bruissements de la vie publique.
Le journaliste est un artiste
A l’opposé, on ne demande pas plus au journaliste de brandir son point de vue comme élément d’information. On lui demande de passer le factuel au crible de capacités de commentaire, les siennes comme celles des personnes compétentes, afin d’éclairer cette information, afin de voir en quoi elle est neuve, utile et sert la vérité. La personnalisation des journalistes via les blogs dits de presse, via le vedettariat (cf par exemple Audrey Pulvar et sa sortie contre le journal Elle) participe à ce gonflement indu du nombril du commentaire. Cela n’est pas une fatalité que de confondre polémisme et journalisme. En réalité, factuel et commentaire sont membres d’une même fratrie, pourvu que lecteur puisse faire la différence.
Je concède que cet exercice d’équilibre n’est pas toujours évident. A cela une bonne raison : le journaliste est un artiste. Mais oui, il est créatif et doit être créatif, encore et encore. Pourquoi ? Parce qu’il doit attirer le regard et les neurones de son public. Parce que ses articles et ses sujets ne seront jamais autant lus qu’un avis de faire-part de décès ou de mariage. Parce que la concurrence neuronale est féroce.
Pour être pédagogue et écouté, le journaliste doit donc être créatif. Sinon, il faillit à sa mission. Sinon, il ouvre la voie à tous les manipulateurs et autres communicants.
Mais alors, journalistes et communicants, ce sont des frères ennemis ? Pas forcément. Le fossé peut être ici creusé par les communicants qui veulent se distinguer du côté artiste des journalistes ou du côté soutier de l’information, genre intégristes du factuel. Le communicant a sa cible qu’il vise en peaufinant son message. Point.
C’est le journaliste qui tient la plume ou le micro
J’ai dit dans mon précédent article sur More Than Words ce que je pensais de cette stratégie de communication à court terme. Elle équivaut pour moi à partir à la chasse à l’éléphant avec une balle dans son fusil. En cas d’échec sur ce fameux public ciblé par des entreprises de saucissonnages scientifiques, on est mort parce qu’on a pas pensé à viser le public qui est connecté à notre public principal. Et si on rate l’éléphant avec la première et unique balle, autant écrire à l’avance son épitaphe. La communication qui fonctionne doit toucher la seconde ligne de front.
Revenons à notre fossé qui séparerait journalistes des communicants. Ces derniers ont autant de raisons de se montrer artistes pour séduire leur public que les journalistes doivent en avoir pour convaincre de la pertinence de leurs informations. Certes, la séduction serait plus œuvre de communicant car elle joue plus sur la sensibilité. Mais ce n’est pas un absolu. Je connais des communicants qui mettent un point d’honneur à être froid et ennuyeux, à être selon eux, corporate. D’un autre côté, le journaliste n’utilisera pas des dépliants pour passer ses informations. Cela constitue-il pour autant un fossé ?
Si différence il y a, je crois que de nombreux ponts permettent de relier ces deux professions. Le communicant souffre parfois du fait qu’il travaille pour le compte d’un donneur d’ordre. Son propos n’est donc pas le bien public. Pour autant, il ne lui est pas nécessairement opposé. Sinon, le communicant se double d’un manipulateur et cela donne du grain à moudre à ceux qui voient dans les lobbyistes et autres communicants des suppôts de la propagande. Le communicant se doit donc de rester dans les clous de la vérité pour ne pas verser dans le sillage de sa tombe. En cela, il se rapproche du journaliste.
Le gazouilli de Twitter
Il me semble que les deux professions ont tout intérêt à mieux se connaître parce que l’une a besoin de l’autre et réciproquement. J’ai entendu dire un jour qu’il ne fallait plus considérer les journalistes comme un rouage de transmission mais comme un public à part entière. Quel scoop ! Quand on a dit ça, on n’est pas allé bien loin…
Et rien n’est plus irritant d’entendre un communicant dire à ses troupes qu’il a besoin d’histoires bien écrites à faire avaler à ses journalistes. Rappelons-le, c’est encore le journaliste qui tient la plume, le micro ou la caméra. Si l’histoire est toute écrite, à quoi sert-il ? Cela n’empêche pas le communicant de présenter aux journalistes un menu où les différents ingrédients permettront de proposer un repas intéressant…signé du journaliste.
Alors bien sûr, cela implique que les journalistes se lèvent de leurs bureaux, éteignent leur ordinateur et vérifient. Cela implique qu’ils cessent de considérer le gazouilli de twitter comme gage de leur crédibilité. Si les communicants sont fabricants d’image, les journalistes ne sont pas pour autant paparazzi.
Philippe de Casabianca, Communicant Corporate et stratège de contenus
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