La Dislocation, de Louise Browaeys – HarperColins Publishers, 26 août 2020 – 320 Pages
Il faut imaginer G. heureuse.
Un monde en miettes. Tout au bord, dérive une jeune femme. Au bord de son histoire. Au bord de la bascule entre tous les possibles. Celle d’une lucidité douce et sans rancune. L’étroit rebord qui vous sauve.
Avec ce premier roman, La dislocation, Louise Browaeys questionne l’errance d’une femme nommée G., sans passé, en quête d’une vérité organique, d’une terre nourricière. L’amour lui donne racine. Celui de la passion d’abord avec Watji, celui de l’enfantement… Mettre au monde un fils dans un monde en ruines. Voilà l’insoutenable, le mensonge radical pour un enfant tout entier promesse. La vie de G. s’effondre comme le vivant pillé qui la soutient. Elle tâtonne, s’invente un temps décousu, furtif. G. est vive, sensible, offerte comme un fruit mûr. Elle appartient à la race des femmes assoiffées, branchées à la source vitale. Déesses-mères ou sorcières-sentinelles qui inquiètent.
L’existence de G. tient dans un effort de subsistance, sans consistance. Face à sa dislocation intérieure, elle se love dans un corps dense et vibrant, sa planche de salut. Mais ceux qu’elles rencontrent lui renvoient une autre dislocation, extérieure cette fois. La catastrophe écologique est imminente. Comme dans le film Mélancholia de Lars von Trier, ce sont les femmes qui regardent en face l’instant fatal s’approcher. Tous les autres sont des zombies désaffectés. Des pantins pathétiques et drôles qu’on croit sortis de l’univers d’un Michel Houellebecq.
Au bord de la dislocation, Louise Browaeys installe la possibilité d’une anamnèse. Car l’apocalypse que les collapsologues incorporent et digèrent est le lieu de la révélation. Non pas logée au coin de l’espérance mais inscrite dans une matière noire qui résiste au fond du monde. Si les parents de G. ont cru pouvoir déjouer la mort en s’installant dans l’Arche II, installation new Age close sur elle-même, il semble bien que l’avenir ne soit pas dans ce pauvre rêve survivaliste. Car la dislocation s’achève sur un sublime voyage entre d’autres survivants, le fils de G. et la mère de son amant le plus chéri. Ces deux-là se comprennent sans les mots. Ils sont vastes comme des passeurs entre générations. Ils tissent une autre arche d’alliance, sans regret ni amertume. Sur les épaules d’une femme aux allures d’un Sysiphe heureux. Camus donc pour conclure, avec son discours à la réception de son prix Nobel : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le fera pas ; mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse ».
Ingénieure agronome (diplômée de AgroParis Tech) et autrice, Louise Browaeys accompagne les organisations sur des sujets variés comme l’agriculture bio, l’alimentation saine, la RSE (Responsabilité sociale des entreprises), la CNV (Communication non violente) et la permaculture.
Consultante, conférencière et facilitatrice, elle travaille sur les « trois écologies » : intérieure, relationnelle et environnementale. Elle est l’autrice d’une quinzaine de livres en lien avec l’alimentation saine, la transition écologique des organisations, la permaculture.
Elle a 34 ans et vit à Paris.
Auteur de « La part de la Terre, l’agriculture comme art », avec Henri de Pazzis, édition Delachaux, 2014; « Permaculture au quotidien », Terre Vivante Editions, 2018 ; « Accompagner le vivant », édition Diateino, octobre 2019 ; …
Nathalie de Geyter