Coopérer c’est refuser les oppositions de principe, c’est avoir l’audace de relever les défis, c’est avoir la conviction qu’ensemble on est plus forts, et qu’ensemble on peut agir pour le bien commun. C’est sur cette valeur fondamentale que les coopératives agricoles se sont construites et se sont développées. C’est la force du modèle que veut démontrer Coop de France : une alimentation plus saine et plus durable, des territoires plus dynamiques et une place plus juste de l’Homme dans l’économie. Pascal Viné, délégué général de COOP DE France, a répondu à nos questions, alors que vient de se clôturer le salon de l’agriculture. Pascal Viné est l’ex directeur général des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires au Ministère de l’Agriculture et l’ex-directeur de cabinet du ministre Bruno Le Maire en 2009. Il milite pour faire bouger les lignes dans l’agriculture française en défendant un raisonnement « de la fourchette à la fourche » et en insistant sur l’importance de redonner du pouvoir économique aux agriculteurs.
Aujourd’hui, les 2 600 coopératives agricoles de France font face à un nouveau défi : développer un modèle qui respecte encore plus les ressources de la terre et les animaux, proposer des produits de qualité toujours plus sains. Un modèle qui réconcilie les intérêts des agriculteurs et ceux des consommateurs, réconcilie les villes et les campagnes, l’innovation et le goût des choses vraies. Un modèle pour toute la société.
UP’ : Vous vous êtes donné un défi ambitieux : faire naître un nouveau modèle agricole et agroalimentaire en phase avec les attentes de la société. Quelles sont selon vous les caractéristiques principales de ce nouveau modèle que vous appelez de vos vœux et en quoi est-il différent de l’ancien ?
Pascal Viné : Le modèle d’entreprise coopérative se déploie en agriculture depuis plus d’un siècle, mais son identité est pétrie d’une exceptionnelle modernité : l’économie au service de l’Homme et non l’inverse ! Pour autant, aujourd’hui, et quelles que soient les filières, nous sommes tous engagés dans des transitions économiques, écologiques, sociétales ou numériques. Ces transitions sont souvent issues de grands déséquilibres comme, par exemple, l’urgence environnementale, les fractures alimentaires ou les déséquilibres entre ruralité et urbanité. Face à ces transformations, le schéma agricole traditionnel « Je produis donc je vends ! » est dépassé ! Nous devons aujourd’hui adapter notre production aux attentes des marchés, des clients et des consommateurs, en réinterrogeant nos projets stratégiques d’entreprise.
UP’ : Les Français semblent avoir compris l’importance d’une alimentation saine et durable. En quoi les coopératives sont-elles en mesure de garantir la qualité et la durabilité de l’alimentation de nos concitoyens ?
PV : Il faut dire aux français, qui ne le savent pas assez, qu’ils disposent depuis des années d’une alimentation saine, dont la sécurité sanitaire est l’une des plus élevées au monde ! De plus, dans les coopératives, ce sont les agriculteurs-coopérateurs qui produisent et qui, en même temps, transforment, voire commercialisent. Nous sommes de véritables circuits courts. Nous disons à nos concitoyens que « Consommer coopératif », c’est soutenir une agriculture de paysans réunis !
Aujourd’hui, des attentes s’expriment sur des modèles qui utilisent moins d’intrants, qui préservent plus les ressources naturelles, qui encouragent l’économie circulaire, la lutte contre le gaspillage alimentaire…. De nombreuses coopératives agricoles sont déjà pleinement engagées dans ces démarches et le prouvent concrètement en témoignant sur notre site internet www.lacooperationagricole.coop.
UP’ : Comment envisagez-vous de concilier les nouvelles attentes des consommateurs avec les intérêts des agriculteurs ?
PV : Pour cela, il faut que chacun écoute l’autre. Les agriculteurs veulent répondre aux attentes des consommateurs qui sont multiples : ils l’ont dit tout au long du Salon de l’agriculture. Le consommateur doit aussi prendre en compte que les efforts qu’il demande aux agriculteurs sont complexes, évolutifs et pluriels. Si on veut que la relation soit durable, il faut que le prix payé soit au rendez vous. Il ne s’agit pas d’opposer le revenu des paysans au pouvoir d’achat des français, mais de trouver un équilibre satisfaisant pour tous. C’est l’avenir de notre souveraineté alimentaire et de nos territoires ruraux dont il s’agit !
UP’ : Votre nouveau positionnement que vous présentez au SIA est résumé dans une formule ; « Coopérer pour le bien commun ». Tout le monde sera d’accord avec cette belle promesse mais comment comptez-vous la mettre en œuvre de façon concrète, sur le terrain ?
PV : « Coopérer pour le bien commun » n’est pas un simple slogan ! C’est une vision de la société que nous défendons au nom de notre modèle. Les coopératives sont fondées sur des principes de solidarité, de démocratie, d’indépendance de l’individu dans l’interdépendance du groupe. La coopérative est aussi un réseau de partages, de compétences, de formation et d’innovations pour l’avenir. Enfin parce que la coopérative est un acteur économique majeur, elle tisse du lien social dans la ruralité et la vie locale en repoussant l’isolement. Non OPAbles, non délocalisables, les coopératives incarnent un modèle entrepreneurial à visage humain, en phase avec les attentes de la société. Quel est le modèle d’entreprises qui peut afficher autant de contributions positives dans tous les territoires français, même les plus reculés, et pour le plus grand nombre d’agriculteurs ? Pour autant, « COOPERER POUR LE BIEN COMMUN » n’est pas une démarche « hors sol », mais un projet collectif ouvert à tous, basé sur le progrès partagé et le réalisme économique sans lequel rien n’est possible : sans revenu pour les agriculteurs, il n’y aura pas de vitalité territoriale, ni d’emploi de proximité.
UP’ : COOP de France représente un poids économique considérable (85.9 milliards de CA, 165 000 salariés, 2600 entreprises coopératives…). Cette énorme machine n’est-elle pas trop lourde pour faire bouger les lignes et changer non seulement les modèles mais aussi les mentalités ?
PV : Coop de France représente 2500 entreprises, dont 93 % sont des TPE-PME et dont 74 % ont leur siège en milieu rural. Notre véritable force n’est pas notre taille, mais notre nombre. Chaque coopérative est indépendante, dirigée par des agriculteurs. Nous allons engager dès le mois de mars un grand débat coopératif pour interpeller nos entreprises sur les changements en cours. Nous souhaitons également consulter via une plateforme digitale les 350.000 agriculteurs-coopérateurs et les 165.000 salariés sur ce qu’ils pensent aujourd’hui de là Coopération et sur ce qu’ils en attendent. Nous allons nous redonner l’agilité nécessaire pour relever les défis qui sont devant nous.
UP’ : Où les efforts doivent-ils être portés en priorité pour remplir vos objectifs ? L’éducation, la formation aux nouvelles pratiques agricoles, la transformation des relations entre producteurs, distributeurs et consommateurs ?…
PV : Nous n’avons pas d’autre choix que d’agir sur tous les fronts. Et nos entreprises sont d’ores et déjà mobilisées. Mais la priorité est pour nous de redonner aux consommateurs la confiance dans nos produits, bien trop souvent stigmatisés. Le « food bashing » est permanent et incompréhensible pour nos agriculteurs dont l’action au quotidien est de nourrir de la meilleure façon possible les consommateurs. Sanctionnons les fraudes, mais mettons aussi en avant les multiples réussites, les savoir-faire, les efforts réalisés. Nous sommes fiers de notre gastronomie, n’oublions jamais que nous le devons avant tout aux agriculteurs.
UP’ : Dernière question. Elle concerne l’usage des produits phytopharmaceutiques dans l’agriculture. On pense évidemment au glyphosate. En juin 2016, Coop de France appelait le gouvernement français à voter en faveur de l’autorisation du glyphosate, en cohérence avec ses orientations en faveur des stratégies de production durable comme l’agriculture de conservation. En l’absence d’alternative, l’interdiction de cette solution remettrait en cause des pratiques en plein développement faisant partie intégrante de l’agroécologie : non-labour, couvert permanent des sols, cultures intermédiaires,… L’an dernier, la Commission européenne avait voté in extremis un prolongement d’autorisation pour dix-huit mois dans l’attente d’un nouvel avis de l’agence européenne chargée des produits chimiques (ECHA). Depuis, l’ECHA a estimé qu’il n’y avait pas de raison d’interdire la molécule, ralliant ainsi les avis déjà rendus par les autorités sanitaires allemandes (BfR) – pays chargé de l’évaluation de la molécule – et françaises (ANSES), ainsi que par l’Agence européenne chargée de la sécurité des aliments (EFSA), l’OMS et la FAO. Coop de France appelle donc une nouvelle fois le gouvernement français à soutenir la réhomologation du glyphosate lors du prochain vote européen, en cohérence avec les avis des agences indépendantes d’évaluation du risque, ainsi que les stratégies nationales en matière d’agroécologie et de lutte contre le réchauffement climatique. Aujourd’hui, quelle est la position de votre organisation sur ce sujet ?
PV : Nous partageons la trajectoire de baisse des phytosanitaires décidée par le Gouvernement. Mais nous parlons bien de transition ! Pas de rupture ! Rappelons au citoyen que nous traitons ici de la santé des plantes, et donc aussi de leur santé ! Alors, travaillons sans tarder pour faire émerger des solutions alternatives, car le champ des possibles est immense ! Les agriculteurs ont droit, comme dans les autres secteurs de l’économie, a l’innovation et à la recherche. L’agriculture française peut être à la fois proche des consommateurs et à la pointe des nouvelles technologies. C’est l’avenir de nos agriculteurs qui se joue ici.
Propos recueillis par Fabienne Marion, Rédactrice en chef UP’ Magazine
COOP DE FRANCE – Chiffres clés :
– 85,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires global représentant 40% du secteur agroalimentaire français
– 2 600 entreprises coopératives (dont 91% sont des TPE).
– plus de 165 000 salariés et 450 000 agriculteurs.
– 40 % du chiffre d’affaires de l’agroalimentaire français,
– 1 marque alimentaire sur 3 est coopérative,
– ¾ des agriculteurs adhèrent à au moins 1 coopérative,
– 550 coopératives engagées dans le bio,
– 74 % des sièges sociaux se situent en zones rurales,
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