Les chefs d’États et de gouvernement ont dû batailler pendant une longue nuit de négociations pour acter l’objectif européen de baisse des émissions de gaz à effet de serre en dix ans. Parmi les opposants, la Pologne et d’autres pays d’Europe centrale ont passé des heures à bloquer les négociations, avant de finalement céder aux premières lueurs de l’aube ce vendredi 11 décembre. Finalement, l’Europe est parvenue à un accord obligeant une réduction des émissions de gaz à effet de serre à hauteur de 55 % d’ici à 2030. Tout ce ramdam pour aligner le continent européen sur l’Accord de Paris signé il y a tout juste cinq ans et à viser la neutralité carbone pour 2050. Pendant ces séances de négociations de marchands de tapis, l’urgence climatique s’accélère et la machine s’emballe de plus belle.
Les États membres de l’Union européenne ont fini par se mettre d’accord ce 11 décembre sur un nouvel objectif climatique pour 2030, à l’issue d’une longue nuit de négociations. Ces émissions devront décroître « d’au moins 55 % » d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990, contre un précédent objectif de baisse de 40 %.
Le nouvel objectif climatique doit permettre à l’Europe de parvenir à la neutralité carbone en 2050, une échéance considérée par les scientifiques comme le dernier délai pour éviter les effets les plus dramatiques du changement climatique. L’Union européenne présentera son nouvel objectif à l’occasion d’un sommet en ligne de l’ONU avec les dirigeants de la planète.
« L’Europe est le leader de la lutte contre le changement climatique. Nous avons décidé de réduire nos émissions de gaz à effet de serre […] d’au moins 55 % d’ici 2030 », a souligné sur Twitter le président du Conseil européen, Charles Michel. « Cela nous met sur une voie claire vers la neutralité climatique en 2050 », s’est félicitée pour sa part la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
Discussions de marchands de tapis
Les négociations ont duré toute une nuit, la Pologne et d’autres pays d’Europe centrale dépendants du charbon se sont battus jusqu’à l’aube pour obtenir l’assurance que leurs économies ne subiront pas de coûts disproportionnés engendrés par la transition vers une économie décarbonée.
Les conclusions tirées à la suite du sommet ont tenté de les rassurer sur ce point, en affirmant que la prochaine réforme du marché européen du carbone tiendra compte « de la nécessité de répondre aux préoccupations en matière de répartition et de lutter contre la précarité énergétique », de même qu’elle abordera « le problème des déséquilibres pour les bénéficiaires du Fonds pour la modernisation » qui, selon la Pologne, désavantage les États membres les plus pauvres de l’UE par rapport aux nations les plus riches.
La Pologne, la Hongrie et la République tchèque ont demandé plus d’aides européennes pour financer la transition verte et ont appelé la Commission à fournir des précisions sur le « cadre favorable » qu’elle proposera l’année prochaine pour atteindre les nouveaux objectifs de 2030.
Budapest et Varsovie ont également insisté pour que les dirigeants européens soient consultés dans le cadre de la mise en place prochaine de législation sur le climat, afin de garantir que les décisions clés soient prises à l’unanimité. Au cœur de leurs préoccupations, se trouve la crainte que les pays les plus pauvres de l’UE finissent par assumer une part disproportionnée de la charge pour atteindre l’objectif climatique de 2030.
Pour financer la transition, les pays de l’Est de l’Europe ont demandé que des objectifs nationaux soient fixés en matière de dépenses de l’UE en fonction du PIB, ce qui permettrait de garantir qu’une plus grande partie de l’argent soit destinée au financement de la transition énergétique dans les États membres les plus pauvres.
La Pologne, en particulier, dépend à 80 % du charbon pour son électricité et a exprimé à plusieurs reprises ses inquiétudes quant à l’insuffisance des fonds européens disponibles pour financer la modernisation de son système électrique. L’association polonaise de l’électricité, PKEE, estime que la réalisation des objectifs climatiques actualisés de l’UE pour 2030 coûtera 68,5 milliards d’euros d’ici à 2030. Pour le financer, elle a demandé à la Commission européenne « d’augmenter considérablement le nombre de quotas alloués au Fonds de modernisation et au “pool de solidarité” » mis en place pour soutenir 10 pays de l’UE à faible revenu dans leur transition vers la neutralité climatique.
Les pays occidentaux de l’UE, faisant pression pour une plus grande ambition en matière de changement climatique, ont fait valoir que le financement de l’UE était déjà disponible, et mis en avant le budget septennal de l’UE et le plan de relance pour l’Europe, d’une valeur totale de 1 800 milliards d’euros, qui a été convenu plus tôt, ce jeudi 10 décembre. « Un objectif climatique global d’au moins 30 % s’appliquera au montant total des dépenses au titre du CFP et de Next Generation EU », peut-on lire dans le document.
Neutralité technologique
Un autre point de discussion lors du sommet portait sur les sources d’énergie parmi lesquelles les États membres de l’UE peuvent choisir pour atteindre leurs objectifs climatiques. La Pologne, la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie, la Bulgarie et la Roumanie ont appelé à la « neutralité technologique » pour atteindre l’objectif revu à la hausse à l’horizon 2030. « Ce qu’ils entendent par-là, c’est permettre que les investissements dans le gaz et l’énergie nucléaire soient classés comme “verts”. La Bulgarie et la Hongrie sont les plus explicites à ce sujet », a expliqué Sebastian Mang, chargé de la politique climatique et énergétique à Greenpeace. Lors d’un sommet en octobre, la République tchèque a annoncé qu’elle était prête à soutenir l’objectif climatique de 2030 à condition que la Commission européenne autorise l’aide publique prévue par Prague pour la construction d’un nouveau bloc nucléaire à Dukovany.
« Le Conseil européen est conscient de la nécessité d’assurer les interconnexions, la sécurité énergétique pour tous les États membres et une énergie à un prix abordable pour les ménages et les entreprises, et de respecter le droit des États membres de décider de leur bouquet énergétique et de choisir les technologies les plus appropriées afin de réaliser collectivement les objectifs climatiques à l’horizon 2030, y compris des technologies de transition telles que le gaz », reconnaît la déclaration finale du sommet.
Le nouvel objectif doit encore être approuvé par le Parlement européen, qui souhaite quant à lui une réduction encore plus ambitieuse, de 60 %. Les deux institutions négocient actuellement une loi climat, qui comporte à la fois l’objectif de neutralité climatique d’ici 2050 et celui de réduction des émissions en 2030. Elles devraient parvenir à un accord dans les prochains mois.
La Commission européenne a prévu de publier, en juin prochain, un vaste paquet législatif pour aligner divers textes européens avec les nouveaux objectifs. Il s’agira notamment de relever les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre par pays, mais aussi de modifier le fonctionnement du marché du carbone ou encore de renforcer les règles sur les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique.
Avec Reuters et Euractiv