Les scientifiques de Harvard prévoient de lancer un ballon à haute altitude au-dessus de la Laponie en juin prochain, première phase d’une expérience de géoingénierie. Objectif : refroidir la Terre en atténuant, par le lâcher de microparticules, le rayonnement solaire. Les groupes environnementaux suédois s’insurgent contre l’adoption d’une technologie potentiellement « dangereuse, imprévisible et ingérable ».
Un projet de vol scientifique en ballon dans le nord de la Suède suscite la vive opposition de groupes environnementaux qui craignent que cette expérience n’entraîne l’utilisation de la géoingénierie solaire pour refroidir la Terre et combattre la crise climatique en imitant l’effet d’une grande éruption volcanique.
En juin, une équipe de scientifiques de Harvard prévoit en effet de lancer un ballon à haute altitude depuis Kiruna en Laponie pour tester s’il peut transporter l’équipement nécessaire à une future expérience consistant à disséminer des particules réfléchissant les radiations dans l’atmosphère terrestre.
Un comité consultatif indépendant se prononcera sur l’approbation du vol d’essai du ballon le 15 février. Des groupes environnementaux suédois ont écrit au gouvernement et à la Swedish Space Corporation (SSC) pour exprimer leur opposition. Des organisations telles que la Société suédoise pour la conservation de la nature, Greenpeace Suède et les Amis de la Terre Suède ont déclaré que bien que le vol en ballon prévu pour le mois de juin n’implique pas le rejet de particules, il pourrait être le premier pas vers l’adoption d’une technologie potentiellement « dangereuse, imprévisible et ingérable ».
Plan B pour contrôler la température de la Terre
Les aérosols stratosphériques sont un élément clé de la technologie de géoingénierie solaire que certains ont proposé comme plan B pour contrôler la température de la Terre, ans l’hypothèse où la crise climatique rendrait les conditions intolérables et que les gouvernements ne prendraient pas de mesures suffisantes.
Des études ont montré que l’adoption généralisée de la géoingénierie solaire pourrait être peu coûteuse et plus sûre que ce que certains craignent. Mais les critiques soutiennent que les conséquences de son utilisation ne sont pas bien comprises et que les injections d’aérosols stratosphériques (SAI) à grande échelle pourraient endommager la couche d’ozone, provoquer un réchauffement de la stratosphère et perturber les écosystèmes.
Le professeur Frank Keutsch de Harvard, qui dirige le groupe de recherche espérant mener l’expérience SCoPEx – expérience de perturbation contrôlée de la stratosphère – a déclaré qu’il partageait de nombreuses préoccupations des environnementalistes. Il a déclaré que la recherche pourrait aider les scientifiques à mieux comprendre les risques potentiels de la géoingénierie solaire, si les expériences sont autorisées.
« Le risque de ne pas faire de recherches sur ce sujet est plus grand que le risque de faire ces recherches », affirme Frank Keutsch au Guardian, en proposant de parler aux groupes environnementaux suédois des questions qu’ils ont soulevées. « Je suis vraiment inquiet pour le monde vers lequel nous nous dirigeons. Pour moi, c’est une raison de faire des recherches sur la gestion du rayonnement solaire. Le changement climatique est un problème d’une grande ampleur et qui pourrait avoir un impact profond sur l’humanité. Je pense que nous devrions envisager toutes sortes d’options, car il est peu probable qu’il y ait une solution miracle qui puisse tout régler. Nous devons envisager toutes les options et nous devons faire des recherches sur celles-ci ».
Jusqu’à présent, la technologie en est à un stade théorique. Elle reproduirait l’effet des particules de dioxyde de soufre libérées lors des éruptions volcaniques ; celles-ci s’attardent dans la stratosphère terrestre et reflètent le rayonnement solaire. Les particules provenant de l’éruption du Mont Pinatubo aux Philippines en 1991 ont de cette façon refroidi les températures mondiales d’environ 0,6°C pendant 15 mois.
Les chercheurs de Harvard espèrent que SCoPEx fera progresser les modèles de géoingénierie solaire et améliorera la compréhension des risques et avantages potentiels de cette technologie grâce à des expériences à petite échelle sur des aérosols de carbonate de calcium et d’autres substances à environ 20 km au-dessus de la surface de la Terre.
Les scientifiques ont déclaré qu’ils se conformeraient à la décision du conseil, et le groupe consultatif a déclaré au Guardian que toute expérience impliquant un rejet de particules nécessiterait un examen plus large, y compris un engagement avec la société civile suédoise.
La lettre des groupes environnementaux à Per Bolund, le ministre suédois de l’environnement et du climat, alerte : « Alors que le premier vol stratosphérique proposé à Kiruna a pour but de tester le ballon et l’équipement de la nacelle, le but déclaré du vol est de se préparer à la libération d’aérosols dans la stratosphère plus tard dans l’année. » Ils appellent le gouvernement suédois à s’opposer à l’implication du CSE dans les tests proposés par SCoPEx, « car ils sont fondamentalement incompatibles avec le principe de précaution, en violation des normes internationales, et incompatibles avec le cadre de la politique climatique propre à la Suède ainsi qu’avec sa réputation de leader international en matière de climat ».
Épée de Damoclès sur l’humanité
Raymond Pierrehumbert, physicien de l’Université d’Oxford et spécialiste de la dynamique du climat, a appelé à la création d’un organisme international pour régir les expériences de géoingénierie. Il affirme que l’adoption généralisée de cette technologie serait une « épée de Damoclès » sur l’humanité. « Si nous ne réduisons pas réellement nos émissions de CO2 à presque zéro, en raison de la durée de vie multimillénaire du CO2 dans l’atmosphère, chaque année qui passe, vous aurez plus de CO2, ce qui vous donne une force de réchauffement plus importante qui doit être contrecarrée par une quantité encore plus importante de géoingénierie. ». Il poursuit : « Vous entrez dans cette spirale de la mort, où vous essayez de maintenir la Terre habitable face à un CO2 toujours croissant et vous vous préparez à un risque de catastrophe de plus en plus grand ».
Le projet ScoPEx est cofinancé par le programme Harvard’s Solar Geoengineering Research qui bénéficie du soutien d’une large palette de donateurs dont le fondateur de Microsoft, Bill Gates.
Taquiner la Nature est un jeu risqué
Les projets de géoingénierie suscitent inévitablement la controverse ; leur impact potentiel sur l’environnement et les populations inquiète et soulève des questions d’ordre éthique. Le soleil est, avec l’eau, une source de vie fondamentale. Il rend la Terre suffisamment chaude pour être habitable, il donne aux plantes l’énergie dont elles ont besoin pour la photosynthèse, formant ainsi un élément crucial de la chaîne alimentaire et de la production de l’oxygène nécessaires à la vie sur Terre. Sans la chaleur et la lumière du Soleil, la Terre ne serait qu’une boule de roche glacée, sans vie. Penser que l’humanité puisse contrôler le Soleil, cette force vitale, si tant est qu’elle ait les capacités scientifiques pour le faire, semble bien audacieux.
La nature s’efforce en permanence de maintenir des équilibres délicats et subtils. Les humains ont pris un malin plaisir, en la taquinant avec constance, à les rompre. Le dérèglement climatique avec le cortège d’effets domino qu’il produit en est une illustration quotidienne. Après avoir tout déréglé, nous nous efforçons maintenant d’échafauder des plans pour sauver la planète. Parmi ceux-ci, l’idée de pulvériser des poussières dans l’espace pour réduire la chaleur du soleil ressemble à un plan de dernière extrémité, auquel nous aurions recours quand tout sera perdu, c’est-à-dire quand nous aurons démontré que nous sommes incapables de réduire le réchauffement climatique en modifiant nos modes de vie et corriger notre empreinte carbone. Si nous nous montrons incapables de faire cela, pourquoi notre science et nos techniques seraient-elles suffisamment avancées et matures pour être en mesure de réparer les dégâts que, nous et elles, avons commis ? Cette simple idée ressemble singulièrement à une pathétique fuite en avant.
Il y a peut-être un risque à utiliser cette technique mais compte tenu que visiblement certains grands responsables économiques et politiques n’ont pas pris la mesure de l’urgence de la situation ( ils ont des enfants ces gens là ??), il serait plus risqué pour nous tous, de ne rien expérimenter, pour faire face à une conjoncture qui peut dégénérer rapidement et ainsi avoir un recours même s’il n’est pas idéal, sans inconvénient. Il faut envisager que nous serons peut-être dans un contexte où il faudra choisir le moins pire.