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Alzheimer cerveau

Un bain de gènes dans le cerveau pour prévenir la maladie d’Alzheimer

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Ne serait-ce qu’en France, la maladie d’Alzheimer touche un million de personnes, mobilise deux millions de soignants et coûte 20 milliards d’euros à la collectivité. Mais il n’existe aucun traitement. Pourtant, régulièrement, les scientifiques annoncent des découvertes et des expérimentations qui s’avèrent vite inefficaces. Le rêve de proposer un traitement qui empêche de développer Alzheimer semble être un rêve impossible. Mais cette fois-ci, on peut se prendre à y croire. Des médecins américains sont partis sur une autre piste que celles qui sont actuellement explorées : celle de la thérapie génique. Une démarche originale et audacieuse dont les premiers résultats semblent très prometteurs.
 
Faisons un rêve : imaginez que la maladie d’Alzheimer puisse être traitée comme une affection courante. Au lieu de vous inquiéter à la perspective de perdre lentement la mémoire, on vous administrerait, à l’âge mûr, un traitement conçu pour prévenir l’apparition de ce cauchemar neurologique. Ce n’est malheureusement qu’un rêve car la maladie d’Alzheimer est, pour l’instant, impossible à déjouer. Pourtant les médecins ne rechignent pas sur les efforts et les moyens pour trouver la solution miracle. Mais la série de médicaments qui promettaient beaucoup est longue : aucun n’a pu démontrer son efficacité et passer la barrière des essais cliniques.
 
Cette maladie dégénérative qui touche des dizaines de millions de personnes dans le monde bloque les chercheurs depuis des années. On sait pourtant à peu près correctement comment cette maladie fonctionne. Elle se développe lorsque deux protéines – A-bêta et tau – s’accumulent dans le cerveau. L’A-bêta s’accumule à l’extérieur des cellules nerveuses, et tau, à l’intérieur. Des décennies d’études suggèrent que l’A-bêta entraîne d’une manière ou d’une autre l’accumulation de tau, ce qui entraîne à son tour la mort des cellules nerveuses. Selon Marc Diamond, un éminent spécialiste de cette maladie, la neurodégénérescence commence par un changement de forme de la protéine tau, qui forme alors des assemblages toxiques, ou « touffes », dans le cerveau. Ces assemblages sont mobiles et semblent transmettre des pathologies entre différents groupes de neurones causant la progression de la maladie. Comme la protéine tau semble jouer un rôle central dans la destruction des cellules cérébrales et parce que les neurones perdus ne peuvent être remplacés, les chercheurs travaillent à mettre au point des outils pour détecter les premiers signes de la protéine tau toxique. Cela peut se produire de nombreuses années avant que les symptômes cognitifs ne deviennent apparents. Mais, malheureusement, ces travaux n’ont pas encore réussi à franchir le seuil des labos.
 
La découverte d’un médicament pour soigner Alzheimer est une question à plusieurs dizaines de milliards de dollars ; un jackpot qui semble, en l’état actuel des connaissances, très improbable. Alors pourquoi ne pas changer de stratégie ? Pourquoi s’acharner à chercher un médicament ? Pourquoi plutôt ne pas chercher un moyen d’éviter le développement d’Alzheimer au stade le plus précoce possible ? C’est là qu’entre en scène une équipe médicale de Weill Cornell Medicine à Manhattan, dirigée par le Dr Ronald Crystal. Sa tactique est d’éviter le débat sans fin sur la véritable cause de la maladie d’Alzheimer.  « Certains pensent que c’est l’amyloïde qui est responsable ; d’autres disent que c’est la protéine tau dont on trouve des enchevêtrements dans les neurones détruits. » On ne sait pas, affirme-t-il à la Revue du MIT. Aussi a-t-il adopté une stratégie qui ignore ces débats et se concentre uniquement sur le point de vue génétique.
 

La redécouverte du gène de l’oubli

L’idée du Dr Crystal est de s’appuyer sur une découverte vielle de vingt-cinq ans. Dans les années 1990, des chercheurs de l’Université Duke aux États-Unis sont allés pêcher toutes les protéines qu’ils ont pu trouver attachées aux plaques amyloïdes. Ils ont identifié l’apolipoprotéine E, une protéine codée par le gène APOE. En séquençant ce gène sur une cohorte de patients, ils ont déterminé qu’une version de ce gène, APOE4, était inexplicablement courante chez les personnes atteintes de la maladie.
La fonction de ce gène n’est pas encore bien comprise (il joue un rôle dans le transport du cholestérol et des graisses) mais son statut de facteur à risque reste redoutable. Selon l’Association Alzheimer, environ 65 % des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer possèdent au moins une copie du gène à risque. Pour les personnes nées avec deux copies à risque élevé, une de chaque parent, la démence devient presque certaine si elles vivent assez longtemps.
 
Ce qu’il faut savoir, c’est que chacun d’entre nous possédons deux copies de ce gène APOE : une de sa mère, une de son père. Ce gène existe en trois versions communes appelées type 2, type 3 et type 4. La roulette russe de la génétique va vous attribuer l’un ou l’autre de ces types. Or ce que l’on sait maintenant c’est que le gène APOE de type 2 détermine un risque faible de développer la maladie d’Alzheimer, le type 3, un risque moyen et le type 4, c’est le gros lot, détermine le risque maximum. Le risque est tel que les médecins refusent de faire passer un test à leur patient pour vérifier la présence de ce gène ALOE 4 ; en effet, le savoir ne servirait à rien sinon inquiéter gravement les sujets car la médecine ne dispose d’aucun remède et qu’il n’y a tout simplement rien à faire.
 
Les médecins de l’équipe du Dr Crystal ont choisi de ne pas se soumettre à cette fatalité. L’idée qu’ils ont développée est simple : si l’on trouve dans votre cerveau des gènes de type 4, pourquoi ne pas injecter à forte dose, des gènes de type 2 –les moins risquées – pour changer radicalement les proportions et faire des gènes de type 2 les gènes dominants ?
L’objectif des médecins est ainsi de ralentir la maladie d’Alzheimer chez les personnes qui en sont déjà atteintes, et mener éventuellement à un moyen de prévenir la maladie.
 

Nouvelle tactique

L’essai clinique, dirigé par Ronald Crystal chez Weill Cornell Medicine à Manhattan, est une nouvelle tactique contre la démence ainsi qu’un nouveau tournant pour la thérapie génique. En effet, jusqu’à présent, ce type de thérapie consiste à envoyer, de façon ciblée, des virus porteurs d’instructions ARN vers les cellules d’une personne atteinte par exemple d’une maladie rare, comme l’hémophilie. Mais pour Alzheimer, les causes son multifactorielles et ce type de traitement s’est avéré impropre. En revanche, on sait aujourd’hui que les personnes qui héritent d’un gène de type 4 associé à un gène de type 2 présentent un risque moyen ou faible de développer la maladie. Ceci donne à penser que la version protectrice du gène compense les effets du gène à risque.
C’est exactement l’effet que les médecins de Weill Cornell vont essayer de copier. Le centre est maintenant à la recherche de personnes ayant deux copies du gène à haut risque qui ont déjà des pertes de mémoire, ou même un diagnostic avéré de la maladie d’Alzheimer. À partir d’environ un mois, dit Crystal, les premiers volontaires recevront une infusion dans leur moelle épinière de milliards de virus porteurs du gène 2.
 
Sur la base de tests sur des singes, le Dr Crystal s’attend à ce que les virus propagent le gène de la chance aux cellules du cerveau des patients. Les souris traitées de la même manière, selon son centre, accumulaient moins d’amyloïdes dans leur cerveau. La stratégie, répète Ronald Crystal, ne dépend pas de tout savoir sur les causes réelles de la maladie. « Ce qui nous attire vers la maladie d’Alzheimer, c’est que l’épidémiologie génétique est si évidente », dit-il. « Alors la stratégie est simple :  peut-on baigner le cerveau dans de l’APOE de type 2 ? Nous avons l’infrastructure pour le faire, alors nous nous sommes dit : pourquoi pas ? Ce faisant, nous contournons le problème du mécanisme de la maladie. ».
 
L’étude de New York est préliminaire. Crystal dit que son équipe doit déterminer si le gène ajouté fonctionne à un niveau détectable. Les médecins prélèveront du liquide céphalo-rachidien des patients et verront s’il contient le mélange prévu de protéines – le type 4 prévu, mais maintenant avec une quantité égale ou supérieure de type 2 mélangés.
 
Cette première expérimentation ne va pas changer la vie des malades qui font l’objet de ce premier test. En effet, quand les gens commencent à oublier des noms et ne savent plus où se trouvent les clés de leur voiture, c’est que le processus de la maladie a déjà commencé depuis longtemps, au moins dix ans. A un certain stade, toute action médicale est inutile ; il faut agir plus tôt.
 
Cela étant entendu, la méthode du Dr Crystal semble suffisamment intéressante et prometteuse pour que la Fondation Alzheimer, qui œuvre pour la découverte de médicaments, décide de financer cette nouvelle recherche à hauteur de trois millions de dollars.  « Nous ne savons pas encore ce qui va se passer », confie Nick McKeehan, directeur adjoint de la fondation. « Mais c’est un tremplin. Nous devrons peut-être traiter les gens plus tôt. C’est ouvrir la porte à ce type de thérapie. »
En fin de compte, les scientifiques espèrent que les personnes d’âge moyen ayant des gènes à risque pourraient subir des ajustements génétiques ponctuels. Même une petite réduction du rythme auquel se produisent les changements cérébraux pourrait faire une grande différence avec le temps.
 
Les médecins sont optimistes mais prudents. Pour Susan Hahn, une conseillère en génétique interrogée par la revue du MIT, « certes, la maladie d’Alzheimer est la maladie la plus redoutée au monde, parce qu’il est horrible de perdre la tête. Les gens préféreraient avoir un cancer ou une crise cardiaque ». Mais ajoute-t-elle aussitôt « il ne faut pas que les gens fassent tester leur taux de gène APOE sans raison valable. Vous devez vous préparer à ce que vous allez entendre, car c’est définitif. Vous ne pouvez pas changer vos gènes ; toutefois, avec cette recherche, vous pourrez en quelque sorte le faire ».
 
 
 
Source : MIT Technology Review
 

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