L’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne (IAC) propose Otium #4, rassemblant les expositions personnelles de trois artistes d’une même génération : Leone Contini, Maria Laet et Kate Newby, du 29 mai au 11 aout 2019. La réunion de ces trois jeunes artistes venus de trois continents permet, chacun à leur façon, un recentrement, un souffle, le plus souvent en lien avec la terre et l’environnement. Ils œuvrent à initier ou rétablir des liens entre les humains et les choses, souvent les plus ordinaires… L’IAC, qui place la recherche au cœur de ses activités, se présente ponctuellement comme lieu de l’otium, un laps de temps intermédiaire propice à la réflexion, à la méditation, à la prise de conscience. Les jardins, comme les espaces intérieurs, sont alors ouverts comme pour initier un autre espace-temps.
Avec des gestes simples et mesurés, ces artistes partagent le désir d’initier d’autres modes d’être, en porosité avec l’environnement, auquel ils accordent leur attention et leur soin. Ils proposent un recentrement, un souffle, le plus souvent en lien avec la terre, entre germination, collecte et réparation. Dans ce temps ralenti, Leone Contini, Maria Laet et Kate Newby œuvrent à initier ou rétablir des liens entre les humains et les choses, souvent les plus ordinaires, que l’on ne regarde plus ou que l’on ne peut pas voir. Leur pratique est synonyme d’organicité et d’inframince.
Appréhendées de façon cosmomorphe*, ces trois expositions proposent des œuvres qui tels des « cosmo-gestes », conduisent à la transformation de notre rapport au monde.
* Alternative au schéma anthropomorphe qui marque notre civilisation moderne occidentale, la pensée cosmomorphe se représente le monde comme relation, en dehors de toute dichotomie et catégorie. Introduite par l’anthropologue Maurice Leenhardt et réactivée par le philosophe Pierre Montebello, elle se fonde sur la coactivité qui mobilise chacun des acteurs du cosmos, en décentrant et en élargissant notre perception. Un monde cosmomorphe est conduit par un processus en mouvement continu dont chaque terme est inséparable. Il entrelace ainsi l’homme à la multiplicité des êtres qui le composent, leur redonne la parole et repositionne l’humain comme acteur solidaire du milieu dans lequel il vit.
Leone Contini, Foreign Farmers, Palermo 2018 /Photo : Can Aksan – Courtesy de l’artiste
Né en 1976 à Florence, Leone Contini, artiste anthropologue de formation, vit et travaille en Toscane. Sa pratique, entre action artistique et recherche, mêle performances-lectures, interventions collectives, textes, dessins, vidéos et collaborations sur le long terme avec les territoires sur lesquels il intervient, en prise directe avec un contexte historique et social donné. Les conflits interculturels, les flux migratoires et leurs effets sur le paysage anthropologique et végétal sont au cœur de sa réflexion.
Cultivateur de l’ère post-anthropocène, Leone Contini sème, récolte, diffuse, des graines et des plantes qui sont pour lui des outils d’exploration des questions de déplacement, d’hybridation, d’enrichissement entre cultures autochtones et allochtones mais aussi des symboles de partage, de solidarité et d’échange entre différents groupes.
Le projet de Leone Contini pour l’IAC prend appui sur deux axes : d’un côté, sa rencontre avec les membres d’une importante communauté italienne, originaire de la ville de Roccasecca, installée à Villeurbanne la suite de la grande vague migratoire italienne du début du XXe siècle.
De l’autre côté, l’artiste réalise des semis de graines de différentes provenances, notamment des graines de baobab qui sont plantés à l’intérieur et à l’extérieur de l’IAC, comme pour laisser, à terme, la nature reprendre sa place, voire déloger toute activité humaine et urbaine.
Maria Laet, Untitled (Gauze), 2013 – Courtesy de l’artiste
Née en 1982, Maria Laet vit et travaille à Rio de Janeiro. Maria Laet constitue par sédimentation un univers sensible qui mêle le geste humain, simple et précis, aux matériaux organiques et à leur surface.
Elle explore les propriétés physiques et symboliques de matériaux, souvent fluides et volatils, tels le sable, le lait, l’encre ou le souffle. Ces matériaux font écho à l’écoulement du temps et ont la malléabilité nécessaire pour accompagner les formes du réel. Ainsi, Maria Laet s’intéresse davantage à leur présence qu’à leur potentielle transformation par sa main. En choisissant pour sujet le souffle, elle accepte que le processus ne soit pas complètement maîtrisé, laissant place à l’imprévisibilité.
Dans une économie de moyens, ses performances incitent au ralentissement, pour prendre conscience de ce qui habituellement nous échappe.
Intimistes et proches du rituel, celles-ci se concentrent sur ce qui reste : l’empreinte, la trace après le geste, le silence après le souffle. Elles sont parfois des actes de soin, de réparation, comme quand l’artiste remplit des fissures au sol avec du lait ou recoud la terre avec du fil et une aiguille.
La couture s’envisage alors comme une manière de lier les éléments et leur surface.
La notion de peau, comme transmetteur de ses intentions, est primordiale dans le travail de Maria Laet. La peau sépare et connecte à la fois. Associée à la respiration, au souffle, et au toucher, elle est comme un lieu de rencontre et d’interaction, et permet à l’artiste de relier l’intérieur et l’extérieur.
De la terre à la lumière, en passant par le souffle, le travail de Maria Laet exprime la prise de conscience d’un tout vivant hétérogène, au sein duquel la nature et l’humain sont des parties dont la coexistence est essentielle.
Kate Newby, Swift little verbs pushing the big nouns around, 2018 – Courtesy de l’artiste
Née en 1979 à Auckland, Kate Newby, artiste néo-zélandaise installée à New York, porte son attention sur les menus objets de notre environnement quotidien, afin de ralentir le temps, pour apprécier la valeur d’un moment ou d’un détail.
Avec des matériaux et des gestes simples qui impliquent souvent son propre corps, elle s’intéresse aux situations éphémères, pour créer des rencontres avec les objets habituellement négligés, qu’elle déploie dans l’espace avec précision et sensibilité.
C’est après avoir scruté intensément l’espace et toutes ses composantes que Kate Newby conçoit ces environnements sensibles. Son travail se fond en effet dans le lieu de leur réalisation. Il faut accepter la possibilité de ne pas le voir, à moins de s’engager activement dans l’espace. On peut alors accéder à de micro-révélations et éprouver la cohésion que l’artiste façonne entre le lieu et l’œuvre.
À l’IAC, Kate Newby trouble la frontière entre l’intérieur et l’extérieur, les renvoie l’un à l’autre, en les reliant par différents procédés, comme par une ligne de tuiles ou par un fil d’or et d’argent. Son œuvre, à la fois aérienne et ancrée, invite à se détacher d’elle-même pour tourner son attention vers l’extérieur. Elle offre alors une double impression, de permanence par son adhérence au lieu qui l’accueille et qu’elle délimite, contredite aussitôt par une sensation d’éphémère que procurent ses interventions en extérieur. Les changements de luminosité, les variations météorologiques sont alors signifiés comme faisant partie intégrante de l’œuvre, affectée par ces fluctuations.
L’œuvre de Kate Newby devient un outil pour réaliser tout ce qui peut être vu et ressenti, elle est l’environnement lui-même.
Exposition à l’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne (IAC), du 29 mai au 11 aout 2019 – 11 rue Docteur Dolard – 69100 – Villeurbanne
Commissaire d’exposition : Nathalie Ergino,, assistée d’Elli Humbert
Photo d’entête : Oeuvre de Kate Newby, « I am actually weirdly excited », 2018 – Vue de l’exposition, Biennale de Sydney
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