Nous sommes en 2022.
Le très haut débit est maintenant monnaie courante dans une grande majorité des foyers des pays développés, dont la France. Plus de 95% de la population dispose d’au moins 100 Mbits/s chez soi et consomme régulièrement des contenus vidéo en résolution 4K sur les différents écrans de son foyer, des surfaces de travail aux écrans de télévision qui font en moyenne 65 pouces de diagonale. La télévision est encore diffusée par les ondes (TNT ou satellite) mais l’essentiel de la consommation passe par le réseau Internet qui est enfin entièrement sous TCP/IP V6.
Deux acteurs règnent en maîtres dans cet univers : Google et Apple. Google a réussi à imposer sa solution Google TV qui est devenue aux télévisions ce que Windows était aux PC à la fin du 20ième siècle. Apple a sorti sa première télévision en 2015 après de nombreux retards et celle-ci a réussi à capter 5% du marché mondial. Ce qui a permis à Apple de poursuivre sa croissance insolente et de dépasser allègrement les $250B de chiffre d’affaire. Et Apple se prépare discrètement à se lancer dans des marchés connexes : l’électroménager connecté et l’ e-santé. Mais le monde Apple est toujours aussi intégré verticalement ce qui limite comme d’habitude sa capacité à dominer le marché. Il se rattrape par des prix toujours élevés et sa diversification sans cesse galopante, surtout depuis l’arrivée du successeur de Tim Cook, un certain Mark Zuckerberg, suite au rachat de Facebook par un Yahoo! qui a repris des couleurs grâce à Marisa Mayer qui est toujours CEO depuis 10 ans. Il faut dire qu’elle n’a que 47 ans !
La généralisation de Google TV a été provoquée par la rupture progressive de plusieurs digues : les constructeurs ont cédé les uns après les autres à Google dès 2014 et les opérateurs télécoms, du câble et du satellite ont progressivement abandonné leurs set-top-box pour des applications accédant à leurs services sur les différents écrans du foyer. Ils avaient commencé avec la XBOX 360 vers 2011 et l’ont fait ensuite pour l’ensemble des plateformes du marché, notamment Google TV et les écrans d’Apple. Enfin, le marché en a eu assez de la fragmentation des plateformes de TV connectée et a préféré se focaliser sur Android, la seule plateforme multi-constructeurs.
En quelques années, Google TV s’est ainsi imposé sur l’ensemble des gammes des principaux constructeurs de TV, hormis Apple bien entendu. La télévision n’est d’ailleurs plus qu’un écran assez indifférencié, au-delà de sa taille. Google TV fonctionne surtout sur une box connectée aux TV devenues de simples moniteurs généralement dépourvus de tuners.
Les prix ont tellement baissé et notamment pour les écrans OLED que l’on peut assembler des dalles d’écran sur le mur de son salon et construire en Lego un écran géant capable de présenter toutes sortes d’informations. La télévision et la vidéo y sont bien visibles mais entourées d’une flopée d’applications : météo, vidéoconférence, news, indicateurs de pollution et de consommation d’énergie, réseaux sociaux, etc. Android est devenu un système d’exploitation tentaculaire qui gère non seulement tous ces écrans mais est relié à Android Cloud, qui coordonne tous les services Internet en les alimentant. La majorité des applications de tous les jours sont des applications écrites pour Android.
Google a surtout réussi son pari de transformer entièrement le marché de la télévision. Les chaines de TV gratuites moribondes ont vu leur modèle économique s’effondrer à l’instar de celui de la musique. Leurs revenus publicitaires ont été aspirés par Google TV et sa capacité à alimenter les postes de TV avec des spots ciblés tenant compte des faits et gestes de leurs utilisateurs et sur l’ensemble des écrans utilisés (mobiles, tablettes). Ces spots sont vendus aux enchères et en temps réel grâce à un maillage informatique tellement complexe que seul Google et les agences de VATO (Video Ads Targeting Optimization) savent le maîtriser.
Google a par ailleurs défini et standardisé les formats de publicité interactive qu’il a réussi à imposer aux annonceurs et aux agences de publicité. Comme il a pu le faire avec YouTube, il émaille les contenus télévisuels de publicités pre-roll, mid-roll et post-roll en plein écran ou avec des bandeaux recouvrant partiellement l’image du programme. Elles sont toutes cliquables. Le placement de produit automatisé fait des merveilles. Non seulement les produits qui apparaissent dans les contenus sont cliquables mais ceux qui intéressent potentiellement le téléspectateur sont soigneusement mis en évidence. Google sait ce qui vous intéresse et l’utilise à fond !
Grâce à cela, Google capte maintenant un tiers du marché publicitaire lié à la consommation de contenus gratuits pour l’écran de télévision. Le reste de la consommation relève de la TV et de la VOD payantes qui échappent à la publicité et aux chaines publiques mais les crises économiques à répétition ont régulièrement rogné leurs sources de financement et de ce fait, leur part d’audience. Cela se traduit aussi par une baisse du financement des documentaires.
Au passage, Google a réussi à détrôner Facebook dans les réseaux sociaux grâce à sa maitrise des plateformes systèmes. Facebook n’a pas résisté à une spirale descendante amorcée en 2012 après son introduction en bourse ratée. En cause: l’impossibilité de monétiser convenablement l’usage grandissant de son application sur mobile. Il s’était trompé de direction ! Il fallait aller vers le grand écran, pas le petit ! Les talents ont progressivement quitté Facebook pour rejoindre diverses startups dont certaines ont atteint rapidement la taille critique et capté des centaines de millions d’utilisateurs… et un Google requinqué.
Les contenus ? Ils sont essentiellement consommés à la demande. Il s’agit toujours de films et de séries TV qui sont toujours produites à la chaine, mais de moins en moins à Hollywood qui a perdu de son lustre. Les telenovelas d’Amérique du Sud et les séries asiatiques s’exportent mieux dans le monde, d’autant plus que les flux migratoires se sont accélérés. Dans ce qui reste de l’Europe, les productions locales sont encouragées et financées par Google qui contrôle ainsi directement le marché en amont. Google a trouvé une astuce financière avec un fort effet de levier permettant de limiter son risque et le poids de ces financements dans son bilan.
De leur côté, Les journaux télévisés sont devenus des agrégats de journaux TV du monde entier produits par de petites équipes dont certaines sont financées par Google avec un système de financement de chasseurs de scoops. Ces agrégats sont au journal TV ce que Google News est à la presse écrite. Et la télé-réalité ? Elle existe toujours mais s’est mondialisée. Les émissions deviennent régionales. Elles sont traduites simultanément grâce aux nouveaux logiciels de traduction en temps réel. Il n’est plus nécessaire de les adapter à chaque pays, tout du moins dans les grands blocs régionaux. Il en va de même avec les grandes compétitions sportives qui sont produites à l’échelle mondiale comme le furent les JO de Londres en 2012. Les « marques chaines » ont presque entièrement cédé le terrain aux marques « contenus », produites par les sociétés telles que Endemol et Freemantle Media ou les fédérations sportives, en liaison directe avec Google et Apple. Les sports populaires pour Google (football, hockey, vélo, tennis) et les sports plus élitistes pour Apple (rugby, golf, …). Google comme Apple achètent aux Emirats Arabes les droits de diffusion des compétitions sportives internationales.
Techniquement parlant, les applications Android sont toujours développées en Java. Certes HTML 5 a enfin été standardisé en 2015, mais le W3C peine à faire avancer la version 6 pour lui faire intégrer une véritable 3D, indispensable pour les applications de jeux. Qui plus est, Google et Apple ont chacun de leur côté amplifié une initiative parallèle à celle du W3C, qui n’est plus soutenue que par un Microsoft moribond allié pour la bonne cause à la Fondation Mozilla et aux apôtres de l’open source. Bref, le web se fragmente encore plus. Résultat, un affaiblissement continu des applications développées autour des standards du web, au profil des applications natives Android et iOS. HbbTV ? Mort et enterré avec les chaines de télévision et la fin du broadcast.
Dans cette histoire, les grands perdants sont les chaines de télévision. Elles sont devenues des applications multi-écrans et peinent à atteindre la taille critique tant le marché des contenus s’est fragmenté. Quant aux producteurs de contenus, ils sont toujours aussi nombreux mais leur sort dépend étroitement des évolutions incessantes des politiques de distribution de Google et Apple, sans compter la dime qu’ils perçoivent, toujours à hauteur 30% de leur chiffre d’affaire. Elle enrichi les détenteurs de plateformes que sont Google et Apple, mais la fragmentation du marché des contenus empêche les créateurs de s’en sortir. Ce, d’autant plus que la création de contenus reste l’activité la plus risquée qui soit avec beaucoup d’échecs financés par quelques réussites. Mais la fragmentation du marché a conduit à une réduction des budgets des grandes productions. Il y a plus de Paranormal Activity que de Batman et autres Avengers. Seul James Bond survit avec le jeune acteur qui a succédé à Daniel Craig pour l’incarner. La franchise va alors fêter ses 60 ans !
Les autres perdants sont les fabricants de consoles de jeux. Ceux-ci ont quasiment disparu car ces consoles ont été remplacées par les plateformes tournant sous Google TV et exploitant à la fois le très haut débit et les capacités du cloud que lui seul pouvait construire à l’échelle planétaire. Résultat, Google TV est aussi une console de jeu. Et les plus jeunes passent plus des trois quarts de leur temps sur grand écran à jouer plutôt qu’à consommer des contenus vidéo.
Les gagnants sont Google et Apple. Mais aussi des sociétés comme Qualcomm qui ont réussi à imposer leur architecture de processeurs mobiles dans tous les objets de la vie quotidienne, y compris dans les tablettes qui ont définitivement remplacé les laptops. Intel s’est décidé à acquérir l’anglais ARM pour éviter de perdre la main. Il a progressivement enterré l’architecture i86 datant du début des années 1980 pour la remplacer par celle d’ARM, qui domine maintenant l’industrie. Les constructeurs asiatiques fabriquent toujours à bas coût des écrans de toutes tailles mais leurs marges restent faibles, et ce d’autant plus que le coût du travail s’est renchéri dans les pays de production, même s’ils restent toujours compétitifs par rapport aux pays occidentaux.
Les opérateurs télécoms ne sont ni gagnants ni perdants. Ils sont certes redevenus des tuyaux banalisés mais leur source de revenu reste stable et confortable et les marges toujours assez élevées. Et ils ont fusionné à l’échelle régionale. En Europe, France Telecom a fusionné avec Deutsche Telecom et Telefonica. Aux USA, il ne reste plus que Verizon et AT&T qui ont absorbé tous leurs concurrents.
Les gros investissements consentis pour le passage au très haut débit sont en phase d’amortissement. Les opérateurs sont revenus sur le marché des communications grâce à l’explosion de la visioconférence. Celle-ci a été enclenchée par le triplement du prix du pétrole en quelques années. On a définitivement dépassé le fameux pic de production en 2018. Le renchérissement du cout des transports a créé une migration de valeur du transport physique vers le transport virtuel : la visioconférence ! Mais celle-ci est ultra-réaliste, encore plus que la solution de téléprésence de Cisco créé au milieu des années 2000. Elle s’appuie sur les réseaux multi-gigabits en cours de déploiement. Elle permet de vendre de la qualité de service et la neutralité du net est un vague souvenir. Les législateurs ont été dépassés par la politique de fait accompli des opérateurs.
On pourrait continuer ainsi l’histoire et ce petit exercice de prospective dont la plausibilité n’est pas forcément évidente. La réalité est en effet toujours très différente de l’anticipation. Certaines évolutions arrivent beaucoup plus lentement que prévu. Les gagnants attendus deviennent des perdants et de nouveaux gagnants surgissent de nulle part. Les sociétés qui feront le marché en 2022 ne sont peut-être pas encore nées !
Alors rêve ou cauchemar ? Si l’on en croit certaines déclarations récentes (consolidées par Pascal Lechevallier), certains envisagent déjà le pire. Nous en sommes encore loin ! Surtout pour ce qui concerne Google TV. Revenons donc au présent !
Suite de l’article sur le blog d’Olivier, Opinions Libres. (1er octobre 2012)
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